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  • Toi, je t'avais dans le regret - Jessica Soror - Edition de l'Amandier

    Toi, je t'avais dans le regret,

    Jessica Soror,

    Collection Accents graves / Accents aigus,

    Éditions de l'Amandier,

     

    ISBN : 978-2-35516-030-1

    74 pages

    12 €

                                                                                                       Une note de France Burghelle Rey

    À travers la voix singulière de Jessica Soror la collection " Accents graves / Accents aigus " des éditions l'Amandier atteint son objectif, celui de publier, selon la définition de sa directrice Claude Ber, " une parole chercheuse, insoumise, ludique ou résistante ". Le titre lui-même tord déjà le cou à la langue courante et se veut provocation pour cette apostrophe, véritable flèche que décoche l'amoureuse endeuillée.

    Les premiers textes définissent les sentiments, les actes, la personne même des deux partenaires. À chaque instant, dès le début et jusqu'à la fin du recueil, la forme réserve des surprises. La poète utilise des appositions : " ton pas aquarelle ", une syntaxe libérée : " Je fais ton horizon se tordre " avec des images originales et un travail sur les sonorités comme, par exemple, dans les titres : " Et malade mon amer " ou " Aurore écrouée ". Le vocabulaire surprend également par sa richesse et développe autour du deuil une isotopie de la maladie et de la mort : " Je m'habille de cendres… Je te parcours, cimetière ". Pour  " l'automate " qu'est la narratrice - son identité, en effet, est menacée - il s'agit d'une cérémonie funèbre à laquelle deux corps participent.

    Si l'imparfait marque la répétition des rites amoureux, les questions se posent au présent : " Entends-tu la nuit…Entends-tu la vie battre ".

     S'ajoute aussi l'usage récurrent de l'apostrophe et de l'exclamation qui sont autant de cris à la naissance de sensations : " Étincelle " ou " Vertige " et l'expression en devient rimbaldienne.

    Par ce vertige qu'elle interpelle Jessica Soror accède à un monde rêves. Ce qui compte le plus c'est, jusque dans la folie, la danse : " Je danse au bal de la démente "  car, pour le dernier baiser, il faut lever le pas.

    Dans ces conditions, la mort devient un état présent : " Je suis morte " qui refait vivre l'amour et le deuil passé : " Je t'ai quitté toujours ".

    Puis le doute s'installe à l'intérieur d'une enveloppe corporelle aux sens perturbés et où la voix elle-même est source de trahison : " Ma bouche ment… Ma bouche trompe ". Mais heureusement chaque texte nouveau correspond à un sursaut et dans le texte " Bon heurt " la mort semble,  cette fois, vaincue " : " J'ai frappé la ténèbre dans l'eau de sa glace ". Car n'est-ce pas elle qui est, en fin de compte, trahie : " J'ai trompé mon amour la mort " ? Peut-être parce que la douleur est sainte et que se fait la rédemption quand la bouche déterminée : "Ma bouche affamée par où je passe, passerais " se tourne vers l'horizon. 

    Ainsi, dans le second mouvement, " Le blanc Testament", et dès son premier texte " Lieu ", est exprimée l'affirmation d'une renaissance par la création : " Je saurais te donner vie " que confirme la suite du texte : " Je te crée… Tu es ma création ".

    Cependant tout se fait une fois de plus dans la douleur puisque le texte " Lacune " commence par " Je m'abîme " et que tout se casse à l'aide de sonorités dentales et gutturales et avec les mots symboliques " fissure " et " ruine " en même temps que La Faucheuse, s'il est ici question d'elle, après avoir pris le nom de " tordeuse ", prend celui de " Vénéneuse ".

    Ensuite vient la peur de l'oubli de l'amour et, par l,à de celui de la langue dans une question-réponse : " Est-ce toi qui t'éloignes ? / Ton alphabet m'est devenu lointain ". Mais cette peur s'efface au moment où, dans la mort commune, se fait de nouveau l'union et où l'amante est encore  belle et réelle avec son " squelette fardé " et son " spectre effervescent ".

    À l’issue de l'opus surgit un doute plus profond, celui de l'existence de l'aimé qui n'est peut-être que le fruit de l'imagination poétique de l'auteure face à celui qu'elle appelle " le parasite de mes lunes ".

    Mais, pour finir, à quoi bon se poser cette question ultime quand " La mort avance sur ( un ) cheval " dont les sabots frappent " A l'éternel " le corps  de l'endeuillée ?

     

    France Burghelle Rey  ( juillet 2014 )