Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

art

  • Les morceaux de l'image

    Colette Deblé

    « ficelle n° 95 », avec des poèmes de Jacques Ancet. Atelier Vincent Rougier, Soligny la Trappe

    6 €

    Non paginé                                                                               

     

    Chimie  ou   les Elles du désir

    Colette Deblé ne cesse de créer des images où les "faces opposées des choses" coexistent et où le féminin prend toute sa dimension et son accomplissement dans une enquête filée tout au long de l'histoire de l'art, à la recherche des images de la femme. Plus de deux mille lavis, dessins et peintures constituent une sorte d'essai plastique sur la représentation des femmes dans l'histoire de l'art. Ce projet, l'artiste l'a clairement défini :

    "A-t-on jamais tenté d'explorer par des seuls moyens plastiques l'histoire de l'art ou l'un de ses aspects, comme le font l'historien et l'essayiste à l'aide de l'écriture. Mon projet est de tenter, à travers une infinité de dessins, de reprendre les diverses représentations de la femme depuis la préhistoire jusqu'à nos jours afin de réaliser une analyse visuelle des diverses postures, situations, mises en scène."

    Chaque œuvre saisit une attitude, une posture, un simple geste d'une femme appartenant à une scène peinte, sculptée ou photographiée provenant de n'importe quelle époque. Émerge donc toujours un personnage féminin prélevé par l'artiste de la configuration d'origine, de son sanctuaire premier. Mais la re-présentation ignore le contexte tout en conservant se trace fantomatique. Des « idoles légères » comme les définit Jean-Paul Goux arrachées aux carrières antiques montent vers des plafonds célestes ou vers des îles sous le vent.

    La femme est donc déesse mais à la religion païenne. L'artiste en est la prêtresse libératrice et gorgeant les clés de voûtes de leurs nouvelles cathédrales aux ogives parfois ouvertement érotiques. Condensation et déplacement, brutalité d'un désir féminin, féminisation de la sexualité qui du phallus passe à la cascade. Colette Deblé crée une pluie, un ruissellement dont le cercle ne cesse de s'agrandir. On est dedans sans y être, mais on espère ne pas en être exclus et ce depuis une scène primitive où immanquablement l'artiste finira par nous faire remonter.

    Même si ce n'est pas son objectif premier elle nous permet de savourer jusque dans l'écart la substance de l'intimité utérine. Car ici est le lieu et la réalité, l'identité suprême, la nuit d'été. Les figures féminines de l'artiste harcèlent donc l'origine jusqu'où elle ne sera plus, où nous serons enfin. Arrachant à la barbarie iconographique et « male-igne » des siècles passés ses figurines, Colette Deblé corrige le un avec le deux. Elle soigne le fruit plus que le tronc. Elle ne loge pas l'air dans la racine, mais sur la fleur. Le sexe masculin glisse ainsi à l'oubli, s'ampute de lui-même car il fut toujours peu prolixe sinon de sa déité auto programmée.

    Colette Deblé démembre ainsi certains rêves de jouissance pour en remonter d'autres. Quelque chose communique avec tout. Le sexe féminin soudain est non seulement à mais notre image. Nous sommes (nous les mâles) son reste qui se consume : une évanescence à peine visible qui se désagrège en tant que promesse si souvent non ou mal tenue.

    Les unes de nues, les voilées ou les dévêtues par nuées parviennent malgré tout à modérer le froid de l'hiver sur les îles de leurs corps telles que Colette Deblé les a réinventées afin que si selon Roberto Juarroz

    « Le centre de l'amour

    Ne coïncide pas toujours

    Avec le centre de la vie »,

    en de telles propositions un recentrage ait lieu.

    JP-GP

      

     

     

               

                                                                          

  • A wonderful day - François DOMINIQUE

    wonderfulDAY.jpgÉditions Le temps qu'il fait

    77 pages

    N° ISBN : 2-86853-388-4

    Oct 2003

    14 €

     

    Biobibliographie de François Dominique

    A wonderful day est paru aux éditions Le temps qu’il fait en octobre 2003. Ce livre de François Dominique est accompagné de photographies, noir et blanc, de Bernard Plossu. Elles résonnent de sujets suscitant désirs ou quêtes (jambes de femmes, tableau de nus, une porte, une étoile dans une nuit) et montrent parfois des horizons scindés. Comme cette photographie sur la page de couverture laissant deviner comme une règle de topographe coupant verticalement un paysage. Le poète à sa manière est aussi topographe, il use des mots pour jauger les territoires de l’être.

    A wonderful day, littéralement une journée merveilleuse use de cet adjectif emprunté au Merveilleux, ce monde en marge de la réalité tangible.

    Merveilleux ? Que pourrions-nous bien qualifier de merveilleux dans notre société ? Tant et tant de choses à la fois auxquelles nous ne croirions pas vraiment. Hormis peut-être les rêves des enfants qui nourrissent dans leurs songes les plus inconscients leur bel avenir en devenir. Alors, A wonderful day serait possiblement ce nouveau jour à naître. Un jour inaugural qui porterait en lui une lumière révélatrice de toutes les promesses. Un horizon d’espérance qui transformerait le jour à vivre en une quête durant la vie entière.

       / J’ai rêvé que le « Traité de l’iris » était à l’abri des regards depuis trois siècles, dans un mur, et que je le découvrais en plaçant devant mes yeux une manière de sextant composé de trois phrases : noir secret de la vue/par échange de rayons/la lumière est du temps/  

    Qui n’a jamais rêvé de percer un secret ? Que recèle l’œuvre ou les vies de Spinoza, Vick Muniz, Modigliani cités dans le livre et dont la nature interroge François Dominique ? Quel mystère, quel mutisme incantatoire les suscitent ? /« Can things be dust ? » Est-ce que les choses sont de poussière…/ Ce vers est peut-être celui qui sous-tend le livre. Cette question sous jacente qui poème après poème interroge le monde.

    La poésie en petites proses questionne l’innocuité du blanc, là où l’œil n’y voit goutte :

    / Mais le poème approche, fouille la neige, tel un chien de montagne flairant sous l’avalanche un souffle enseveli./ 

    Ce que nous cache le monde, la poésie peut le révéler!

    Comme le surgissement d’une espérance et la réalisation de ce qui est implicitement promis dès l’enfance, cette journée merveilleuse s’ouvrirait sur l’Autre dans une vraie rencontre qui ne décevrait - enfin !- aucune attente :

    /  La main se tend, une main attend, ne donne rien, ne reçoit pas, aucune main ne donne rien, aucune main prise, aucun don, les mains se ferment, nul ne les voit, nul ne les compte, le monde est vaste, les gestes vides,… /

    L’homme serait-il un individu fragmenté, traversé d’une fracture séparant l’enfant de l’adulte devenu ? Une brisure en lui qui dissocierait dans le même temps le postulat du rêve et sa réalisation. N’existe-t-il donc aucune possibilité de relier les rives de ces deux horizons ? Des isthmes invisibles pourtant les relient quand la poésie  conçoit cet      œuf né du vent       ou fait entendre cet accord       de blues unique au monde      se jouant sur les cordes de sentiments intimes qui s’emmêlent, s’opposent  et  s’accordent dans le même temps. Alors oui dans ces instants la poésie peut réparer le monde.

     

    / Voici le centre de la pensée /

    Cette phrase extraite d’une prose a surgi de la rencontre du regard et d’une scène saisie au cœur d’une forêt, sans que le poème ne s’écrive sur la page. Parfois, la vie peut se suffire à elle-même lorsque la réalité comble l’entier du désir. La poésie nous dit aussi cela.

    J’entends  A wonderful day  comme la quête d’un état merveilleux où possédé par tous ses sens, l’être, — Poète devenu — l’instant d’un instant, vibre en symbiose avec le réel en éprouvant une plénitude intense. Ce livre est une quête qui tente de circonscrire ces instants merveilleux.

    Le calepin du mendiant   cité dans un poème est assurément le carnet dont le Poète est muni pour saisir ces éclairs soudains qui le submergent. Qu’y note-t-il ? Peut-être ces quelques mots extraits d’un poème :  / J’ai reconnu Robert et Clara Schumann… / Cette annotation, fruit d’une anamorphose poétique est alchimie complexe œuvrant à l’élaboration du poème.

    Entre le jaillissement d’un instant inouï qui préside à l’écriture du poème d’une part et le désir, le manque, la quête du pays perdu de l’enfance d’autre part, le livre balance sans cesse, en  recherche d’un territoire rêvé. Celui d’un monde où ne serions simplement  plus humains et où l’esprit des lumières avait souhaité nous conduire. À ce "rêve qu'on appelle nous" un vers de Tristan Tzara que François Dominique ne renierait pas.

     Hervé Martin

     

  • Les gémissements du siècle - Paul-Louis ROSSI

    Édition Flammarion/Collection Poésie

    247 pages

    18,29€

    N° ISBN : 2-08-068128-1

    Mars 2001

     

     

    Le titre de ce livre Les gémissements du siècle fait référence à ce qu’écrivait Isidore Ducasse, comte de Lautréamont dans les Poésies : Les gémissements poétiques de ce siècle ne sont que des sophismes…

    J’ai lu ce livre comme une invitation au voyage. Paul Louis Rossi, avec une érudition toute ludique entraîne le lecteur dans ses pérégrinations passionnées en quête de la Poésie. Approchant toujours plus près son sujet, resserrant avec précision et finesse ses propos, il traque et esquisse jusqu’au plus dicible ce qui peut définir la poésie.

    C’est sur le ton de la confidentialité amicale et éclairée que nous partageons avec lui, à travers plus d’un siècle, ce vagabondage poétique. Un voyage dans les livres et les vies de – Segalen, Breton, Michaux, Reverdy, Ponge ou Claudel… – qui n’a pour objectif que de retenir et préciser ce qui est remarquable et qui demeure vif dans ces œuvres. Nous côtoyons ces figures et les suivons dans les rues de Paris, Nantes, Namur ou Strasbourg où leurs traces demeurent. Sans oublier les poètes contemporains auquel un chapitre est consacré sous l’égide du chiffre quatorze du sonnet, Paul Louis Rossi donne une large place à l’art des musiciens et à celui des peintres. Un livre qui nous tient notre attention et dont les inlassables digressions donnent au ton l’agrément d’une conversation amicale ou celui d’un récit inépuisable dont le lecteur attend avec impatience, la chute.

    Mais ici tout est prétexte pour discerner, extraire, isoler des arguments, des caractéristiques, des propriétés à même de définir ce qui dans l’histoire de la poésie constituerait les matériaux propres à ses soubassements.

    La comptine, le compte, qui de sept à huit pieds oscille entre chanson et poésie ; la prosodie, le chant, la sonorité ; la forme du sonnet et son compte quatorze ; l’esprit des formes ; le lyrisme mais aussi ses envers, la doxa, ces croyances communes d’une époque ; le vers libre indéterminé ; le poétisme, qu’il faut entendre par le-tout-poétique ; le patois incomparable des avant-gardes des années soixante…

    Paul Louis Rossi au cours de ce livre énumère, relève, note… Il accumule des traces. Il élabore les lignes — ces traits- d’un possible idéogramme du vocable Poésie, pour dépasser cette image d’une définition occidentale, sur laquelle d’ailleurs nul ne s’entend.

    Il veut montrer qu’il existe une — liaison — entre le monde et la poésie. Sans toutefois en ignorer la difficulté, celle d’énoncer en fin d’expérience que la pensée se renverse et qu’il s’agit justement de retrouver une sensation.

    Peut-être celle d’un temps -juste – entre l’énoncé du monde et le tracé du geste.

    Hervé Martin

  • CHAOS - Franck Venaille

    Chaos

    Franck Venaille

    Le Mercure de France

    ISBN : 2-7152-2646-2

    Octobre 2006

    190 pages

    14 €

     

     

     Une bibliographie de Franck Venaille sur le site du Matricule des Anges

     

     

    Papier d’Identité le premier livre de Franck Venaille est paru chez Pierre-Jean Oswald en 1966. Entre ce premier livre et Chaos, ce livre inventaire, plus de cinquante années et une bibliographie impressionnante : L’apprenti foudroyé ; Cavalier/Cheval ; L’Homme en guerre ; La descente de l’Escaut ; Capitaine de l’angoisse animale… Une œuvre ! Celle d’une vie entière pour tenter de nommer sa propre identité de vivant.  

     

    Chaos est composé de 13 ensembles dissemblables par la variation de leurs formes : vers et prose ; Poèmes courts ou longs ; Ensembles composés de vingt-deux poèmes pour Noordzee à un seul, celui qui clôt le livre comme pour une signature qui atteste de la qualité du signataire et de l’identité (re) trouvée. Ce livre composite, marque sa singularité dans sa forme et ressemble à la vie même tant par la sensibilité des humeurs qui se dégagent de l’écriture que par la diversité des événements imprimés dans ses pages qui ont jalonnés l’existence de Franck Venaille.

     Il n’est pas nécessaire – même si cela est souhaitable – d’avoir déjà goûté l’écriture de Franck Venaille pour ressentir dès les premiers poèmes la présence de l’être et la prégnance du corps dans ses humeurs, sa dynamique et sa colère. Le mot chaos qui intitule le livre est tangible à plusieurs titres. Dans la langue d’abord à la lecture du texte bien sûr, mais aussi dans le contraste entre les textes qui le composent par les interpellations perçues au détour d’un vers ou d’un poème, aux césures des mots ou encore dans la variation de la forme que l'on vient d'évoquer. C’est tout cela qui du début L’épitaphe Venaille jusqu’au dernier poème construit ce canevas qui charpente le livre.

    Les divers ensembles du livre peuvent être envisagés comme des stations évoquant des périodes, des épisodes ou des espaces particuliers à la sensibilité du poète. Comme lorsque Franck Venaille rappelle ce qui le relie à Brecht ou encore dans les ensembles Visages mémorables du malin, Le souffre-souffrances, Homme pour homme, qui évoquent les thèmes de la tentation, le bien et le mal, la mort, la poésie, le corps souffrant… Car la souffrance de l’être est omniprésente dans le livre. Comme l’est la mort, son ombre sans cesse ; le langage des mots ; l’enfant-de-la-douleur-première… Voilà ce qui hante vivement la poésie de Franck Venaille qui est servie tout au long du livre par la langue. Une langue vive, heurtée avec des mouvements : accélérations ou lenteurs. La langue de Venaille est vivante. Son rythme qui nous provient et nous apostrophe, rapproche de nous la présence du poète. Celle du corps vivant, gueulant, éructant, invectivant contre toutes angoisses ancrées à l’être depuis ses premiers temps. La poésie est rythme, nervosité de verbe, mouvement de la troupe des mots. Ces soldats luttant contre l’irrémédiable temps, la décrépitude des corps, l’inadmissible mort, la souffrance et l’angoisse irréductibles du vivre. Les souvenirs s’égrènent en poèmes syncopés, le langage les revisite et tente des ouvertures vers d’autres cieux possibles. La langue triture cette réalité enfuie, la passe au crible et ose avec le bleu du ciel des éclats salvateurs.

    « Mais qui crie là » interroge un vers du livre ? Qui est donc celui qui écrit ce livre ? Un tout dernier vers le clôt en appariant au nom de Franck Venaille à cette identité, peut-être et enfin trouvée, d’officier : « Moi, Venaille, officier de l’armée des morts ».

     

    Hervé Martin

  • Un pré chemin vers - Yves di Manno

    Éditions Flammarion

    143 pages

    Oct 2003

    16 Euros

    N° ISBN 2080684388

     

    Bio-bibliographie de Yves di Manno

     

     

    Ce livre témoigne en son cœur d’un événement – inouï . Une scène sous les yeux à jamais présente. À la fois ineffaçable et ineffable, mais que les poèmes dans leur quête tentent d’interroger.

    L’ouvrage est formé de huit ensembles, dont trois sont composés d’un seul poème. À partir de « Au terme » titre du poème qui débute le livre jusqu’à celui qui l’achève « Au seuil », le lecteur traverse ce pré dans un voyage à rebours.

    Dans le premier des ensembles « Définition », les poèmes nous entraînent dans ce qui semblerait être la vie d’une civilisation ancienne ou d’une communauté tribale. Un peuple de paysans subsistant des fruits de la terre. Nous pensons alors à la vie d‘aborigènes ou d’Indiens d’Amazonie. À moins que cette vie-là soit celle de lointains ancêtres. Nous découvrons ici, comme paisible, leurs occupations quotidiennes faites d’habitus et d’atavismes qui perpétuent la vie :

     

    « parler ne sert à rien »

     

    Dans ce lieu, on dort, on mange, on sème, on chasse, on pêche… : on s’active dans cette existence  rythmée par des rites ou des cérémonies profanes. Et la vie s’écoule, s’échappe des corps, mais qui en garde mémoire ?

    « La pierre dressée sert de tombeau

    certains gravèrent les dates

    d’autres gravèrent le nom

    mais l’histoire est figée

    et nous les ignorons. »

     

    C’est de mémoire dont il est question dans le livre. De la remémoration, et plus encore peut-être, d’une commémoration, nécessaire et précise :

    « car l’oubli nous recouvre

    et nous ne savons plus

    quel est notre passé. ».

    Après la lecture de ce premier ensemble, nous assistons à des scènes effroyables ! Les poèmes de « Biographie » évoquent des rites,

    « éclate un œuf incolore

    transparent

    qu’un doigt étale sur leurs membres », ;

    nous font témoins de cérémonies macabres et de tueries sanglantes.

    « Ils couchent les premier cadavres

    aux neuf antres obstrués »,

    Sont-ce là les mœurs d’un autre temps que le nôtre ?

    Des scènes d’orgies et de massacres insoutenables !­­­ – se succèdent ainsi dans un climat d’une bestialité crue. La barbarie nous est montrée ici sans retenue.Que s’est-il donc passé ? Quels souvenirs président aux poèmes de ce livre dont certaines images me sembleraient issues de cauchemars ? Sont-ils le fruit d‘une imagination ou le produit de faits réels ? Sont-ils nourris par des observations d’œuvres d’arts ou nés de la fréquentation de sites archéologiques ?

    C’est un climat étrange et violent qui émane de ce livre qui suscite par ailleurs tant d’interrogations.

    De quelles horreurs se voudrait-il témoin ? De celles que l’espèce humaine a commises contre les siens dans les camps d’exterminations nazis ou dans ceux du goulag ? Des atrocités du génocide cambodgien ou plus récemment des crimes commis contre les peuples des Balkans ? On pourrait rechercher des sources possibles encore longtemps tant les atrocités commises par le genre humain sont funestement nombreuses.

    C’est de cette mémoire dont il est question. De la responsabilité qu’elle implique dans nos engagements présents. Responsabilité sur nos actes et sur nos engagements qu’il nous faut honorer pour demeurer fidélité à notre parole humaine. Et souvenons-nous que lorsque la barbarie et l’instinct dominent le comportement des hommes, la culture – fragile en nous – demeure l’ultime rempart pour les contenir encore.

    La poésie répond au besoin de mémoire, dont il est rappelé dans ce livre l’impérieuse nécessité. Celle de Yves di Mano est ici énumérative. Des observations sont rapportées. Des scènes sont minutieusement relatées. Des descriptions établies comme le ferait un ethnologue ou un archéologue, en scribe soucieux d’être précis et juste. Le poète évite ainsi avec le plus grand soin, dans une rigueur toute scientifique – l’interprétation –, toujours soumise aux limites de nos connaissances et à l’irrationnel de nos affects. Pour cela Yves di Manno écrit :

     « Il est grand temps de naître

    et de nommer

    le mot, l’objet

    correctement ».

    Il souligne ainsi l’importance primordiale des mots, leur précisons nécessaires, pour la pérennité de ce qui fut, – sera – notre passé.

    Les mots du chanteur – le Poète –, peuvent préserver, avec cette volonté qui revendique justesse et justice, notre patrimoine de mémoire. Le Poète alors, dans l’exercice des responsabilités qui lui incombent peut œuvrer par une écriture fidèle, à la transmission d’une parole détachée de tout affect.

    En adéquation avec ce principe, la poésie de Yves di Manno est précise, concrète, expurgée de l’engouement lyrique pouvant brouiller le sens intrinsèque des signes écrits. Elle n’en garde pas moins une large place à la beauté des vers, dont de nombreux alexandrins entiers ou coupés irrégulièrement sur la page, qui retrouvent en nos bouches la dimension de la voix.

    « Une femme accroupie colorie une assiette

    des jeunes gens ramènent

    des brassées d’herbe sèche. »

    Que s’est-il donc passé ? Quel inouï événement est au cœur de ce livre ? Cela demeure imprécis et flou. Mais la lecture du livre laisse en nous le spectre trouble d’une inquiétante et imminente menace.

     

     

    Hervé Martin

  • La brûlure - Jacques ANCET

    Éditions Lettres Vives

    Collection Terre de Poésie

    13 €

    2002

    ISBN: 2914577117

     

    Le site de Jacques ANCET

     

    Le Blog de Jacques ANCET

     

    Biobibliographie

     

     

    Dans la volubilité de sa langue — la profusion de la parole poétique — Jacques Ancet cherche les lieux où naît le souffle de son écriture et d’où sourd cette énergie vitale qui nourrit de passion sa Poésie. Dès les premiers poèmes il me semble chercher l’horizon de sa propre voix. Il s’appuie pour cela sur un rythme qu’il maintient tout au cours du livre. Celui d’une voix qui dicterait ?

     

    « Je ne sais plus/parler et je parle quand même je parle/de cette voix que je ne reconnais pas : elle vient d’ici d’ailleurs du plus profond/du plus léger… »

     

    En tout cas une voix intérieure qui le guide et l’entraîne. Et qui possède en elle tous les signes emmêlés d’une raison tangible. Hélas indéchiffrable ! Mais qui porte et qui brûle !

    Ce n’est qu’après le premier tiers du livre, comme par incantations répétées ou psalmodies auxquelles le rythme donne naissance peu à peu à ma lecture, que l’écriture s’ordonne et m’acquiert à sa cohérence en laissant filtrer sous ses signes les signifiances de ce langage. Ce qui justement brûle. Ce feu de vie qui dans la métamorphose de sa quête traverse, dans les vers des poèmes, plusieurs figures : amour, inspiration, écriture, désir, enfance…

     

    «/et s’il faut que je répète tu me brûles/c’est que je ne sais pas dire cette chose/un matin ou une épine qui s’enfonce/ou peut-être les deux c’est comme trop d’air/… »

     

    Ces vers qui suivent méritent une attention particulière dans l’intérêt qu’ils portent aux blancs, ces espaces de l’écriture.

     

    «… mais son coupé n’est pas silence tout juste/absence de bruit car dire et répéter/le silence n’est pas le faire poètes/aphones célébrants du culte du blanc/ô Saint Stéphane lavez pour nous un coup/de dés et votre page sera plus blanche/… »

     

    Les blancs qui aèrent certaines écritures poétiques sont peut-être équivalents dans leurs nécessités à la fulgurance et l’exubérance d’une langue exacerbée et proférée. Car en quoi la difficulté à dire d’une écriture, qui se traduirait par des blancs dans le texte, ne serait-elle pas similaire, à celle qui tenterait de saisir dès son souffle la faconde d’une langue intérieure ? La prodigalité ou la parcimonie d’une écriture ne serait alors que les moyens similaires dont usent les poètes pour éclaircir de mots l’ombre de leurs rythmes intérieurs.

     

    Pourquoi Écrire ? Pour dire la beauté ? Pour contrer l’irrémédiable ? Pour éclairer sa propre figure ?

     

    « comme ce visage de moi qui m’attend/chaque jour et qui ressemble à mon attente/mais mon vrai visage l’ai-je jamais vu/ai-je jamais vu ce que j’appelle moi/… »

     

    Dans ce livre Écrire est une quête tournée dans toutes directions !

     

    « comment dire le tout du monde et rien d’autre/… »

     

    Pour Jacques Ancet écrire c’est alors arracher à la vie, la transcendance de moments vécus. Instants parfois brefs et qui portent — soudain ! — au zénith ce ressenti du vivre : cette brûlure. Jacques Ancet y réussit. Dans ce poème quatorze notamment où il arrache, dans la clarté de ses vers, la transcendance poétique d’une vision réelle qui se métamorphose dans son écriture et sous notre regard.

     

     

    Hervé Martin

     

     

  • Rouge, le vin rouge, mon cœur - BAPTISTE-MARREY

     Édition STOCK — Collections Ecrivins

    67 pages

    9,50€

    Nov 2006

    N° ISBN : 2-234-05922-4 

     

    Que devient la mémoire de notre passé après notre disparition ? Telles ces tranches de vies sauvegardées, qui s’évanouissent où s’emportent à jamais sans que le ferment rare, insolite ou banal qu’elles recèlent ne puisse être partagé avec d’autres. Tranches d’existences capables de ressusciter en quelques mots, quelques phrases, des lieux, des épisodes ou des figures de notre vie conservés précieusement en ce lieu de nous-même pour des raisons que parfois nous ignorons. Et c’est sans doute pour lutter contre les affres de l’oubli que Baptiste-Marrey nous donne ce livre au beau titre équivoque et ouvre ses premières pages par cette dédicace : à mes fils, leurs racines. Titre ou un sentiment de mélancolie se mêle au pourpre breuvage tannique.

    Ces souvenirs pourraient être portés par des tableaux, des photographies où simplement une voix qui parle pour dire et témoigner. Peut-être voix d’un passant que l’on croiserait sur un trottoir de Paris ou d’ailleurs et qui abriterait en lui des pages non écrites. Mais elles sont ici vers et poèmes issus d’une mémoire où persistent, comme vivants, des hommes et femmes d’un passé désormais révolu. Ce passant que l’on pourrait croiser sur un trottoir parisien, c’est Bapiste-Marrey. Ce parisien de souche, né à Bercy, évoque en vers ces traces éphémères d’un temps d’or et d’enfance passé dans les rues, les faubourgs, boulevards et passages de Paris. Ici les verres qu’on imagine, autour des quais où arrivaient les vins à la capitale, résonnent et tintent de ce que fut Bercy, les quartiers de l’est parisien dans la période des années quarante. Verres et vers, tanins rouges et vocables d’une mémoire qui s’ouvre, cohabitent en exhalant des saveurs insolites. Ici le vin – rouquins, piquettes, picrates et autres pichtogorne — avec ses adeptes de toutes origines font fête dans cette bouche ou les mots aussi, festoient. La langue et ses palais jubilent à la lecture des poèmes Pibus et Linarpem, La savate ou le chausson, Amourettes et fricandeau, Pisse en l’air… Ils ressuscitent un instant sur nos lèvres le plaisir du mot : lavedus, licelargués, arsouilles… Si ce court livre est dédicacé à ses fils, il l’est aussi et délicatement à Alphonsine. Cette dame au service de la famille Marrey esquissée dans un beau et touchant poème éponyme, situé vers le milieu du livre.

    Même si le prétexte pour l’écriture de Rouge, le vin rouge, mon cœur, édité chez Stock dans la collection Ecrivins, est le rouge breuvage, ce livre est plus que cela. Et pourrait être cet espace où réunis, verres contre vers, nous parlerions ensemble évoquant dans la clameur de nos bouches nos souvenirs les plus chers.

     

    Hervé Martin

  • Une forme de corps

    Au cours de l’été dernier j’ai assisté à un spectacle de flamenco, animé par la formation d’une école de danse de Marseille. À maintes reprises je fus touché par des séquences, précises et ténues, de ce spectacle. Que ce soit dans le chant flamenco, la danse ou la musique des guitaristes, j’étais fébrilement emporté par ces — séquences — qui entraient en ruptures avec le déroulement d’un spectacle plus traditionnel dans son expression artistique. Survenaient alors sous mes yeux, des cassures de mouvements, des brisures de la ligne courbe du corps, des inclinaisons – imprévues ? — du visage, des bras, de la main ou des doigts… comme s’appréciaient à l’oreille des éraillements de la voix dans le chant ou des modulations vocales inouïes. À ces instants, fugaces, la présence du corps imprégnait l’art du flamenco et me transportait. Cette présence du corps me paraît être ce qui distingue dans l’art, l’existence du singulier en l’émergence de son talent, d’un accomplissement artistique simplement académique. Cette présence du corps en ces distorsions de mouvements, ces éraillements de la voix des chanteurs, élevait ce spectacle flamenco à l’œuvre d’art. Ces mouvements intérieurs qui inclinent le mouvement physique et créent le geste.

     

    La singularité du geste

     

    L’apprentissage d’un art passe par un travail académique. Mais l’expression d’un artiste, fut-il poète, peintre, musicien, se doit de le dépasser dans l’appropriation qu’il en fait. Il modifie ainsi cette -charpente-mémoire- de l’art qui se transmet dans le patrimoine de l’humanité. Une œuvre d’art n’est pas la représentation d’une réalité, nous le savons. Elle est une réinterprétation du monde, la réappropriation d’un espace vital. Dans le flamenco, le corps est présent dans ces distorsions, ces gestes, — ces possibles du mouvement — et dans ces altérations — justes — du chant dans la voix. Et loin de brouiller l’expression de l’artiste elles sont, de l’art, la quintessence. Elles le nourrissent, l’enrichissent, l’élèvent, et avec lui l’être humain dans sa condition de mortel. Ces distorsions sont présence du corps dans l’œuvre d’art. Cette présence matérialise sous mon regard la forme. La forme comme le corps. Une revendication de l’existence au monde, la singularité du geste de l’artiste, la forme donnée en l’art.

    En poésie, qu’elle s’inscrive dans la vision qu’elle nous donne sur la page ou dans la prosodie qui court dans ses vers et vibre dans l’air à leur musicalité, la forme est présence du corps dans l’écriture.

     

    Hervé Martin