Maurice Couquiaud,
Editions de L'Harmattan
110 pages
11,50 euros.
MAURICE COUQUIAUD : LES GRISéS DéGRISéS
Maurice Couquiaud ne tient pas la pose, il ne joue pas l'âge venu au vert galant :
"Vieillir
c'est apprendre à mieux aimer l'amour
en le faisant moins
à le styliser par des silences
à le déshabiller dans l'ombre
pour en caresser les formes oubliées"
Pour autant, à l'inverse de Lucian Freud, le corps n'est pas gris, irrémédiablement gris. L'outrage du temps n'est pas un outrage fait à la vie mais un accomplissement avant l'ultime lumière du soir. L'existence suit donc son cours, selon un autre rythme et selon une sagesse dont on a oublié les leçons de toujours puisque la vieillesse est devenue un tel tabou qu'on l'affecte de périphrases plus ridicules les unes que les autres.
Refusant de cracher sur ses fantômes l'auteur profite du temps qui lui reste et de la poésie pour leurs parler avant d'aller avec les ombres pleurer sous leurs tombes et la sienne. Doté d'une humanité indulgente qui sait le prix des valeurs et pas seulement celui des choses tout érotisme n'est pas écarté mais il se fait discret. À la sauvagerie du corps fait place la conscience de ce qu'il fut. Et si le désespoir a des mouvements de suie et de poussière de gravats le poète les disperse sans les respirer. Que l'être ait un goût de cendres ne peut le satisfaire et il cultive la douce folie d'être face aux
"maîtres nageurs de la raison (qui) se noient dans les bassins de l'ombre".
La nuit est là mais le matin aussi. Il faut s'en étonner tant que cela dure même si l'espoir est fragile. Il convient de plonger dans son bain d'huile pour rester "allumé".
Couquiaud a décliné longtemps des couleurs roses, sable, ocré. Mais avec le temps le cuivré s'est oxydé dans un transfert du pastel au passé. Et c'est là toute l'ambiguïté d'une poétique ouvertement et sobrement ironique mais qui n'en reste pas moins tragique. L'auteur demeure travaillé par le temps qui passe et par la mort. Tous ses poèmes en portent la trace même s'il la maquille sous des couches de chair. Le corps peut être encore vaguement désirant mais clos dans une attente sans illusion. Car le désir est une expérience qui suppose l'échec au moment où le corps est « enchaîné » à un affaissement, à une désillusion comme s'il se savait voué à une fin de non-recevoir.
Néanmoins le poète propose avec "J'irai rêver sur vos tombes" une œuvre étrange dont l'aventure comme toujours chez lui reste existentielle. Elle provoque un mouvement d'horreur ou de repoussoir chez certains. Elle peut engendrer des silences mais aussi une fascination quasi agissante. Nul ne sait en effet si les corps obsolètes ne vont pas sortir de leur prostration et redevenir des cœurs habités de la joie de la génitalité. Ils peuvent émerger du silence, renoncer encore à leur incomplétude humiliée. Couquiaud prouve que la volupté peut prendre des voies particulières et que tout demeure possible. Du grisé à la griserie le saut dans l'impossible représente encore une hypothèse désirable tant que demeure la seule certitude vitale : "l'amour est une arme de construction massive".
JPGP