Jean-Pierre Lemaire
Editions Cheyne
112 pages
2 ième trimestre 2007
C'est au deuxième trimestre de 2007 que paraît aux éditions Cheyne L'intérieur du monde. Ce livre de Jean-Pierre Lemaire est composé de cinq ensembles d'une quinzaine de poèmes. Simple mortel qui débute le livre est dédié au père du poète, à sa disparition. Les poèmes ici rappellent sa figure avec une sobriété qui met à distance et qui éloigne tout lyrisme excessif. Le vers est écrit au plus près du réel dans un esprit d'évocation. La mémoire est à l'œuvre qui rappelle la présence du père.
Je recueille ton silence / comme les bulles du brochet qui passe / entre les racines des saules,/
Toutes les autres parties du livre poursuivent cette ligne d'horizon tracée par la mort du père évoquée dans ce premier ensemble. Présence aussitôt éclairée par ces traits de détails qui tracent et qui singularisent, à jamais, l'ombre désormais du père. Et puis, alternent entre ces évocations de la mémoire silencieuse, des poèmes du temps des funérailles qui esquissent alors dans une perspective temporelle la figure de l'absence.
Je te cherche encore des yeux sur la place / parmi les chaises de café, les platanes / ...
Par la grâce de ces poèmes, le poète apprivoise cette absence. Elle se façonne pour le long chemin de la pérennité.
Parmi les racines, ton masque de sang / est devenu un masque de cristal / où je te revois faible, endormi, suivant de loin / le lent travail, dans la lumière sépulcrale, de ton visage qui se recompose.
Et marque le passage de la vie des uns à la mémoire de ceux qui restent. La conscience prend acte de la disparition.
nous nous séparons comme deux rameaux / sous le soleil commun des vivants et des morts.
L'ensemble qui succède, Noé, poursuit ce périple intérieur et intime qui accompagne tout deuil. Perdre son père est tel un cataclysme. Et cette arche suggérée pour y faire face, c'est peut-être la mémoire dans son repli intérieur. C'est ce monologue intime qui s'écrit en chacun de nous, d'abord dans le silence de la bouche. Cette fin d'un monde impensable, ébranle l'être dans ses fondements premiers et déclenche une volée de questions. Celle de Dieu en premier lieu, puis celle du sens. Le poète pour cela contemple la nature, l'interroge pour tenter d'y retrouver une sérénité perdue. Puis il retourne enfin sur le lieu où s'érigea sa personne, peut-être dans cette perception d'infinitude qu'éprouvent les enfants.
Ainsi, les ensembles se succèdent dans un état d'esprit qui accompagne le deuil. De la douleur vive et piquante à celle plus diffuse mais persistante qui s'inscrit en nous même chaque jour de notre vie. Seule peut-être la mémoire, réinventant au cœur de notre intime l'être perdu - en ce monde intérieur -, peut le sauver de la disparition. C'est aussi le projet de ce livre.
Les deux derniers ensembles du livre tracent le trajet d'un long retour vers la vie. Une vie d'après. Celle où il faut bien faire avec l'absence à ses côtés, comme un faix ineffable et indéfectible qu'il nous faudra supporter et craindre pour l'avenir.
Tu revois le printemps après trois hivers / mais tu gardes un œil ouvert sous la terre / et derrière le mur de l'hôpital rose / où les hommes disparaissent.
Ce livre trace un parcours douloureux. Les poèmes, comme autant de stèles, marquent des bornes où achoppent la mémoire et la peine. Ils tracent, ensemble une cartographie de chemins qui se croisent, se confondent et se perdent sous le ciel vrai du sentiment de l'affection.
HM