Bibliographie de Jean-Bapiste PARA
Prix Apollinaire 2006
ÉditionsObsidiane
N° ISBN : 2. 911914. 91. 0
1e Trim. 2006
13 €
Jean-Baptiste Para est poète et critique d’art. Rédacteur en chef de la revue Europe, il est aussi le traducteur de poètes indiens, russes et italiens. On ne peut l’omettre durant la lecture de ce livre tant il apparaît qu’une part importante de la poésie de Jean-Baptiste Para prend ici ses sources dans de nombreuses références littéraires et historiques des cultures russes et indienne.
En effet, La faim des ombres avec ses poèmes portant des titres aux résonances slaves, Svelta, Iannis, Tatiana, Sviatki ou ceux faisant expressément référence à Pouchkine, au mouvement des Décembriste et à l’un de leurs protagonistes Kondrati Ryleïev, nous renvoie à la Russie. Comment aussi ne pas songer à la poésie d’orient, avec ce poème faisant référence au poète afghan Mirza Abdul-Qader Bedil ou par l’emploi du gazhal, cette forme de poème d’origine perse très prisée par le poète indien Mirza Ghalib, pour lequel un tombeau poétique à été écrit pour le dernier ensemble du livre. On remarquera également ce poème intitulé Rosa L comme en hommage à Rosa Luxemburg. Cependant, La faim des ombres, titre éponyme du premier et plus important des ensembles, en comporte trois autres dont deux semblent motivés par des éléments d’ordre plus intimes. Mais ce qui est propre à l’ensemble du livre est l’écriture. Je la dirai ciselée, claire, musicale, sensible... Les poèmes ne présentent pas une unité de forme sur tout le livre. Seule, peut-être le gazhal, cette forme ancienne de poésie persane, formée de distiques aux rimes sonores et récurrentes sur thème d’amour et de passion, est employée à plusieurs reprises.
Enigmatiques, tenant leur existence d’histoires singulières, la plupart des poèmes semble narrer des scènes qui auraient pour lieux les vérités d’une mémoire secrète ou intime. Serait-ils des étapes de l’épopée individuelle d’un lecteur qui traceraient ainsi cette faim des ombres ? « Toute épopée est la face claire d’un cauchemar » rappelle le premier vers d’un poème. Quel serait alors ce cauchemar ? Quelles nourritures pourraient apaiser l’appétit de ces ombres ? Au cours du premier ensemble deux poèmes se suivent : Mémorial et Tribut. Faut-il les lire dans ce jeu de miroirs qui s’avance ? Faut-il voir ici le creuset de ce livre ? Comme une mémoire que le poète ressusciterait afin qu’une reconnaissance personnelle (voire universelle ?) soit rendue aux êtres élus par le poète. Les poèmes paraissent être des morceaux de temps arrêtés dans la mémoire. Ils sont comme des pas dans les pas de ceux qui vécurent. Les vers recréent des bribes de temps passé pour que s’animent à nouveau dans les poèmes les absents qui furent des proches ou des familiers découverts au contact amical des livres.
Tout ce qui fut aimé, les lamiers de Russie, le partage et le chant / sous les hautes orties blanches,
l’aboi des chiens,/la branche qui cogne à la vitre, la rosée des enfances, / …
Le poème Frère et sœur, dont les premiers vers ci-dessus sont extraits, pourrait à lui seul signifier et ce qui inspire le livre et ce ferment dont il serait extrait : cette braise qui brûle le creux du cœur vivant du veilleur demeurant tout auprès de ces ombres. Entre cet ensemble éponyme et le Tombeau de Mirza Ghalib qui clôt le livre, deux autres ensembles, Où luisent les loutres et L’Inconcevable, paraissent plus liés à l’expérience vécue du poète. Deux ensembles qui laissent poindre en de très beaux vers, une vive acuité : J’ai senti sur tes flancs une odeur âcre de bête mouillée, / la pudeur fut la source abondante du désir. ;des sonorités musicales : Nous étions allongés tête-bêche dans la barque,/ ignorant que le ciel avait déjà blanchi à l’est. ; et des métaphores : le cœur de l’enfant est petit comme un œuf orné de lettres noires ou encore : Désormais il portera seul sa tristesse, comme un bol à ne pas renverser.
Dans ces deux ensembles on découvre les sonorités d’une écriture sensible qui ne tombe jamais dans l’excès et dont la maîtrise épargne toujours la pudeur de l’auteur. De ces deux ensembles, L’Inconcevable est celui qui m’a le plus touché en cette rencontre d’un enfant avec à cette inconcevable mort, cette absence à jamais, loin de nous nos aimés. Comment comprendre cela ? Ce que pourtant chacun de nous a éprouvé un jour de notre vie. Ce qui perdure dans un silence intérieur de vivant, cette expérience de la perte et du manque à la fois et qui entame dès lors la juvénile espérance. Avec L’Inconcevable Jean-Baptiste Para cerne, au plus juste, cette réalité incontournable percutant l’histoire d’un enfant dans l’un des moments les plus marquant de sa vie d’homme, lorsque l’être trop jeune encore prend conscience de la finitude des siens et de la perte à jamais, dont la sienne en puissance.
Sans doute Jean-Baptiste Para réussit-il, par cet ensemble notamment, à traduire la quintessence close en ces deux vers :
Ma langue est la rose fermée / par où l’ombre descend.
C’est vrai, l’ombre descend dans les vers, descend tout doucement, dans des vers bercés de tendresse et de reconnaissance. La faim des ombres est un livre écrit sous le signe de l’hommage et de cette reconnaissance du poète envers les siens, élus et proches. Assurément, le livre est une offrande tournée ici en direction d’un soleil levant.
Hervé Martin