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Une forme de corps

Au cours de l’été dernier j’ai assisté à un spectacle de flamenco, animé par la formation d’une école de danse de Marseille. À maintes reprises je fus touché par des séquences, précises et ténues, de ce spectacle. Que ce soit dans le chant flamenco, la danse ou la musique des guitaristes, j’étais fébrilement emporté par ces — séquences — qui entraient en ruptures avec le déroulement d’un spectacle plus traditionnel dans son expression artistique. Survenaient alors sous mes yeux, des cassures de mouvements, des brisures de la ligne courbe du corps, des inclinaisons – imprévues ? — du visage, des bras, de la main ou des doigts… comme s’appréciaient à l’oreille des éraillements de la voix dans le chant ou des modulations vocales inouïes. À ces instants, fugaces, la présence du corps imprégnait l’art du flamenco et me transportait. Cette présence du corps me paraît être ce qui distingue dans l’art, l’existence du singulier en l’émergence de son talent, d’un accomplissement artistique simplement académique. Cette présence du corps en ces distorsions de mouvements, ces éraillements de la voix des chanteurs, élevait ce spectacle flamenco à l’œuvre d’art. Ces mouvements intérieurs qui inclinent le mouvement physique et créent le geste.

 

La singularité du geste

 

L’apprentissage d’un art passe par un travail académique. Mais l’expression d’un artiste, fut-il poète, peintre, musicien, se doit de le dépasser dans l’appropriation qu’il en fait. Il modifie ainsi cette -charpente-mémoire- de l’art qui se transmet dans le patrimoine de l’humanité. Une œuvre d’art n’est pas la représentation d’une réalité, nous le savons. Elle est une réinterprétation du monde, la réappropriation d’un espace vital. Dans le flamenco, le corps est présent dans ces distorsions, ces gestes, — ces possibles du mouvement — et dans ces altérations — justes — du chant dans la voix. Et loin de brouiller l’expression de l’artiste elles sont, de l’art, la quintessence. Elles le nourrissent, l’enrichissent, l’élèvent, et avec lui l’être humain dans sa condition de mortel. Ces distorsions sont présence du corps dans l’œuvre d’art. Cette présence matérialise sous mon regard la forme. La forme comme le corps. Une revendication de l’existence au monde, la singularité du geste de l’artiste, la forme donnée en l’art.

En poésie, qu’elle s’inscrive dans la vision qu’elle nous donne sur la page ou dans la prosodie qui court dans ses vers et vibre dans l’air à leur musicalité, la forme est présence du corps dans l’écriture.

 

Hervé Martin

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