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Perméables

Ilarie Voronca

 

 

 

Éditions Le Trident Neuf, Toulouse

 

13 €

 

 

 

 

 

Voronca a enfermé sa vie dans ses livres comme un commentaire, comme les traces d’un autre. Ses hallucinations étaient la terre de sa création. Mais celui qui voulait bâtir un autre ciel de chair s‘est enfermé dans lui-même. Comme beaucoup d’écrivains roumains de son époque il s’était lancé dans l'aventure du modernisme. Rappelons qu’en 1924, alors que paraît en France le "Manifeste du surréalisme", Tzara fonde avec Ilarie Voronca la revue "75 HP" qui réunit dans ses pages "l'avant-garde de Roumanie" et perpétue l'esprit dadaïste. Avec Victor Brauner, Benjamin Fondane, Jacques Hérold, Claude Sernet, Tzara, Paul Celan, Brancusi, Eugène Ionesco, Eliade, Emil Cioran, Gherasim Luca, Panait Istrati, Anna de Noailles (née Brancovan) il est donc un des messagers des mots et des images.

 

 

À travers l’expérience existentielle et poétique l'immense poète roumain qui écrivait en français, n’a cesse de parler d’un creusement de l’humain. Son œuvre est une expérience spirituelle et physique où le corps et l’esprit, liés, se confrontent à un infini et font face à leur propre finitude au sein d’une proclamation d’espoir dont « Perméables » témoigne mais dont sa vie témoigne moins. En un soir d’avril 1946 il rentre chez lui, s’enferme dans sa cuisine, en calfeutre porte et fenêtre. Il avale tout un tube de somnifères, arrache le tuyau de gaz. Sans laisser un mot derrière celui ce "frère des bêtes et des choses, des livres et des villes, de l'espoir et du malheur" se donne à 43 ans la mort. Être dans son corps réel ne lui suffisait plus. Il lui fallait non seulement briser la solitude, célébrer par son acte « la fin du règne de la soif » mais signer le fait de n'avoir en fait "qu'entrer dans la vie d'un autre" et non dans la sienne. Il laisse ainsi derrière lui une suite de chants inachevés preuve comme il l’écrivait à la fin de « Perméables » que « nous ressemblons à un gant retourné ou à une terre perméable qui, dans un circuit sans fin, est en même temps la terre traversée et la terre qui traverse ».

 

Son écriture reste un milieu physique presque inhabitable. Le poète y éprouve concrètement l’expérience de la finitude, de la fragilité, du constat de la dissolution du corps. Il révèle en même temps que cette dissolution du corps est une opération de creusement et d’incandescence par quoi, dans l’épreuve de la solitude, nous nous débarrassons progressivement de ce qui nous encombre et fait se lever un appel dévorant. Le chaos se retourne sur lui-même, la lumière se concentre. Elle efface les ombres du moins un temps par la voix du poète. Du chaos aux échos, il y a dans le retournement langagier. Il devient le signalement du retournement opéré, à travers le langage, dans la conscience de celui qui parle.

 

Voronca fait émerger un espace de l’indifférencié, de la privation portée à son comble et qui, par là même, fait surgir le noyau de l’infracassable. L’écriture du poète est toujours dense. Son économie verbale témoigne du creusement de l’Être qui culmine, éblouit, conjure et à la fois purifie et absorbe la vision du monde. Voronca n‘hésite pas quand il le faut à ajouter du privatif au privatif en un processus paradoxal dont témoignent les mystiques pour mettre à jour l’état de manque. Dans « Perméables » cependant la ligne ne se brise pas mais il est possible que l’ensemble tend à s’annuler prodigieusement en une géométrie de l’air et de l’espace.

 

Le lecteur avance jusqu’à ce qu’il rencontre la nuit mais pour percevoir la lumière qui l’annule d’un seul regard, d’une visée. De ce corps à corps avec soi-même et par l’expérience concrète du poème l’auteur mesure chaque arpent de notre non-lieu par le sien jusqu’à s’abolir lui-même. Le texte devient lieu d’acquiescement et lieu habitable. Habitable dans la fragilité, la métamorphose et l’éphémère sont assumés avec une maturité absolue d’expression. Comme dans une œuvre abstraite, mais aussi profondément phénoménologique, le discours poétique s’articule de manière oxymorique. Les couleurs blanc et noir, la parole et le silence, la nuit et le jour, la vision et la cécité, les voyelles et les consonnes, la ligne d’horizon et le cercle, l’œil et la bouche, le stable et l’instable, la présence et la perte se déclinent en images et figures complémentaires d’une recherche du sens.

 

L'écriture de Voronca traduit la position ontologique post-moderne. Il faudra bien sortir du « je », du jeu des apparences à travers une scrutation quasi hallucinatoire de ses composantes, pour déboucher sur la seule position qui vaille : celle de l’errant, d’un marcheur, poreux et perméable à un univers de signes en constante mutation. Mais la parole du poète roumain reste aussi une approche kaléidoscopique d’un réel aux multiples potentialités. Elle entre dans l’abîme de la porte, dans les profils pleins, les profils creux, les profils tombés dans l’espace éclaté de toutes les portes. Face à une réalité (le jour, le paysage, la chambre, les murs, la claustration) qui s’avère inquiétante, étouffante, le poète aura écouté la nuit monter comme il aura entendu sourdre le rêve comme les gouttes de solitude dans la chair des vivants.

 

 

JPGP

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