J'en gage le corps
Construit en triptyque, ce recueil d’Hervé Martin explore la perte, la filiation et l’enfance « travaillant le corps ». Ce qui ne parle pas heurte de front la « question de la mort » quand l’expérience du deuil égrène les noms des disparus, « portions de soi/parties comme un membre ». Parents, amis, anonymes engloutis dans le « chambranlement des vies » dont le souvenir réanime des bribes qui balbutient dans « l’hésitement » d’une langue heurtée et trouée de blancs l’impossibilité à « nommer la perte », la « peine qui est là dans l’arythmie ». Ce sont père et mère que les deux monologues de Sur l’encours des jours font revivre en même temps que se recompose le vers du poème qui tente d’« extraire du passé la racine ». Et se réinvente la vie de la mère - « j’invente j’invente/ comme ce jour de Noël/ orangé rouge les oranges/ sanguines ce possible » - tandis que « perce dans sa voix le tendu de la chair » et que l’écriture « tremble » identiquement « des mots » qui racontent la joie, la douleur et les rêves perdus dans l’effacement du souvenir. Et s’interroge le manque du père lointain « l’inaccompli », «ce noyau/ de l’échange perdu » dont ne reste que frêles réminiscences. « Que cherches-tu/dans ce fouillement ? » interroge, au final, le poète dans Contre la nuit tandis que ce cheminement intérieur, tout d’émotion retenue, qui lie l’enfance à la mort - l’infans qui ne parle pas à ce qui ne parle plus- se clôt sur l’aveu de l’attachement simple « tu les aimes – dis-le ces corps meurtris du temps » élargissant à tous « la main tendue au vide » dans l’expérience commune et simple de nos vies.