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  • Triptyque de l'aube - Irène Duboeuf

    Triptyque de l’aubeTRiptyque de l aube I DUBOEUF.JPG

    Irène Duboeuf

    Éditions Voix d’Encre

    ISBN :978-2-35128-086-7

    4ième trimestre 2013

    72 pages

    18 €

     

     

    Ces poèmes d’Irène Duboeuf, dont Incertain Regard avait édité des extraits viennent de paraître chez Voix d’encre. Ils sont accompagnés par des gravures de Michel Verdet. Dans leurs couleurs bleu turquoise elles dévoilent des matières gazeuses ou liquides, aériennes ou terrestres et renvoient l’imaginaire à l’étendue des océans, des cieux ou des roches. Eaux salines poussées par des tempêtes, ciels traversés de nuages, matières rocheuses ou de terre emportant dans leurs imprévisibles apparences l’attention du lecteur.

     

    Reste une marque bleue au détour d’une page.

     

    Car le bleu est présent dans le livre comme un azur où inscrire les pas.

    Ce triptyque révèle une quête à mesure que l’on progresse dans ses pages. De soi-même ou du monde, elle progresse dans un va-et-vient de soi à la beauté des jardins et des choses, du ciel et de la terre. La parole creuse ici la part enfouie en soi,

     

    décryptant le ciel noir / de l’essentiel cherchant trace / dans l’ardente lueur de nos constellations.

     

    pour ne pas être déraciné de la réalité terrestre et d’une promesse originelle :

     

    Déracinés sont ceux / qui ont perdu la mémoire de la terre.

     

    L’écriture progresse ainsi traversant les ensembles du triptyque de son allant métaphorique. Elle partage dans la prosodie de vers épousant la sensibilité du poète, les sentiments, funestes parfois qui l’habitent.

    Comme au cœur de l’ouvrage, ce sensible poème dont je pourrai penser qu’il a initié le livre :

     

    l’aube était déjà rouge et saignait sur les toits/ L’été finissait /dans l’oblique lueur/ il est tombé / sans bruit / comme un rayon de lune étranger à la nuit.

     

    La mort et son implacable venue, le temps qui nous y pousse, le défilement des saisons… Le livre m’apparaît soudain comme une allégorie de la vie.

     

    Nous naissons, telle une aube, sous un frisson d’étoile/et mourons dans la main triomphante du jour.

     

    La beauté de la nature, l’expression du désir d’y vivre  se détachent dans le livre et s’opposent aux augures sombres, aux menaces, aux funestes temps à venir. Et même si le temps qui passe laisse ses griffures, le livre se termine sur la note optimiste du renouvellement de la vie :

     

    Une branche en fleur / sur un arbre mort / secret de printemps.

     

    HM

  • vous êtes mes aïeux - Cécile Guivarch - Editions Henry

    VoVous êtes mes aieux .jpgus êtes mes aïeux

    Cécile Guivarch

    Editions Henry

    ISBN :978-2-36469-052-3

    Octobre  2013

    102 pages

    6 €                                                                                                                          

      

    Après Un petit peu d’herbes et des bruits d’amour paru dernièrement aux éditions de L’arbre à paroles, Cécile Guivarch poursuit la quête de ses origines. Pour cela elle arpente les méandres de ses souvenirs personnels et familiaux, réels ou reconstitués, exhumés sur la foi de photographies,  de papiers officiels ou non, lettres conservées, registres d’états civils... Ainsi que tous les lieux qui demeurent, vestiges bien réels, maisons, rues ou territoires traversés par ses ascendants.

     

    à marcher ainsi dans vos pas / rue des olivettes le quai baco / j’ai reconnu les pierres les maisons/ les portes par lesquelles vous passiez.

     

    De premiers vers, aériens, illustrent l’investigation dans l’imaginaire poétique:

     

    Le blanc s’étire entre nous/ puis l’envol des oiseaux / les yeux se perdent/se poursuivent jusqu’aux origines/...

     

    Comment ne pas voir ici la page blanche que maculera l’écriture prochaine. C’est par celle-ci, cet envol des oiseaux, que Cécile Guivarch comblera son désir de rejoindre au plus près ses aïeux.

     

    ça revient par odeurs

     

    Ou

     

    vous êtes des morceaux de ciels

    Les souvenirs viennent progressivement, se construisent, de détachent... Une quête commence dans cette infinité de ciel aux étendues, vierges encore.

    Cécile Guivarch rend hommage à ces aïeux qui vécurent dans ce territoire, toujours à l’ouest géographique de l’Europe mais plus au nord, en Bretagne face à la Galice de son autre origine. Elle cite des noms, nombreux, comme en remerciement à sa présence au monde dans cette continuité généalogique.

     

    nous avons en nous tous nos fils/pour nous tenir debout/nous continuons ensemble / à tisser nos mémoires.


    Elle investit un territoire de temps, décrit des « petites vies » d’ouvriers gagnants difficilement leur vie. Puis, passé  l’évocation des personnes nommées et du cadre décrit, le livre poursuit  et pénètre l’émotion qui préside à l’existence du livre.

    C’est au manque, initiant ce désir de ressentir au plus proche ses racines fondatrices, que tout au long du livre les poèmes font écho. Pour donner une visibilité à cette genèse enfouie, le poète évoque les difficultés d’existence de ces ascendants côtoyant la misère. Elles imprègnent la mémoire intimement.

     

    si seulement vous saviez/mes nuits agitées de vos pas/ ces secondes à recoller/...


    Ce qu’il aura fallu de compassion et d’empathie à Cécile Guivarch pour extraire de sa mémoire – régénératrice – ces pans de vies oubliées, envisagées dans des épisodes terribles ou funestes :

     

    dans vos regards de vous enfants/ le poids de vos craintes vos douleurs/ ...

     

    et,

     

    d’un coup de pas grand-chose/ vous êtes morts d’un fait ou d’un autre/par quelle maladie guerre ou fantaisie

     

    Dans ces conditions laborieuses,  vivre aura été ce dur métier qui a conduit par delà le temps, aux   présences d‘aujourd’hui.

     

    qu’avons nous fait à vous multiplier

     

    Ou

     

    Nous continuons ensemble / à tisser nos mémoires

     

    Cécile Guivarch montre dans sa quête que les Hommes ne sont pas constitués que de chair mais aussi remplis d’une mémoire qui les élève et rappelle leur responsabilité à poursuivre le chemin dans leur acte de vivre.

     

    vous durez/ sous terre ou au ciel/ vous vous poursuivez/ à travers nous

     

    HM

     

     

  • Trois livres de la collection PO&PSY des Editions ERES - Eté 2013

     

    le blues du coquillage

    Hanne Bramness

     

    ISBN :978-2-7492-3734-3

    été 2013

    non paginé

    Éditions ERES

    Collection Po&psy

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    Hors champs

    Philippe Judlin

     

    ISBN :978-2-7492-3842-5

    Juin 2013

    non paginé

    Éditions ERES

    Collection Po&psy

    ----------------------------------

    Secondes

    Yannis Ristos

     

    Éditions ERES

    Collection Po&psy

    ISBN : 978-2-7492-3841-8

    Juin 2013

    96  pages

    Hervé Martin

     

     

    Trois livres  viennent de paraître aux éditions Érès: le blues du coquillage de Hannes Bramness, secondes de Yannis Ristos et hors-champs de Philippe Judlin . C’est toujours un plaisir que de tenir entre ses doigts un livre de la collection PO&PSY. Et souvent une surprise, que de découvrir leur conception et leur pagination. Parfois, un livre avec des pages non reliées et rassemblées entre les rabats d’une chemise faisant office de couverture, comme c’est le cas pour le blues du coquillage qui rassemble  poèmes courts et images dans des feuillets qui alternent dès l’ouverture du livre.

     

    De la même façon, la surprise en cette forme donnée au livre, se poursuit avec Hors-champs. Ses pages non brochées, rassemblent des poèmes et des encres sombres aux formes picturales hétéroclites et au graphisme rappelant l’enfance.

    l’enfant fait de sa joie / un fragment d’ivresse / la terre tournoie sous ses pieds

    On songe à des graffitis que l’on pourrait trouver sur des cahiers d’écoliers ou sur des murs urbains. Face picturale  de la page ces écritures hésitantes reproduisent le court poème, inscrit au verso du feuillet, en une calligraphie qui ajouterait par la distorsion des mots un sens supplémentaire au poème.

     la torsion du mot / à l’objet / éparpille ce qui doit être dit  

    Les mots et les vers ainsi diffractés dans une graphie imprécise se mêlent aux pigments sombres des encres.

     l’éclair tisonne le ciel noirci /…

    L’écriture surgit et la poésie a peut-être un pouvoir révélateur, même si :

    dans un bruit blanc / se disloquent les heures retenues de la nuit / le réel est là / sans image

    Le livre reposé le lecteur s’interroge. Qu’est-ce qui préexiste de l’écriture ou de la peinture à l’existence de ces pages ? Le poème comme une quête ne serait-il  abouti qu’au coût de la distorsion de son écriture laissée ici à l’invention ou au  hasard, du mouvement des mains et de l’inconscient?

    À l’issue de l’opuscule on ne peut toujours  le dire mais le questionnement que ces pages font naître demeure et justifie déjà ce livre inattendu.

     

    Secondes de Yannis Ristos, proposé en version bilingue grec-français, est inédit dans cette traduction française de Marie Cécile Fauvin. Il est le dernier des quatre recueils publiés par le poète en 1999 à titre posthume. L’éditeur nous précise que le poète était déjà aux prises avec «  le sombre soupçon que cet été sera le dernier » lorsqu’il a écrit ce poème entre août 1988  et janvier 1989. Dès le début du livre on découvre rapidement un des vers indiquant objectivement la sombre orientation de leur écriture à l’approche de la mort. Comme en des clairs-obscurs l’avenir est ici pressenti  avec une tristesse et une fatalité  acceptée : si tu disais « demain »/ tu mentirais.

    Yannis Ristos en isole les symptômes, comme la vacuité du monde qui s’annonce,

     Ils sont partis, les uns en bateau / les autres en train /… la carte au mur est vide.

    ;Ou  par l’effacement du temps et de ses espaces qu’il ressent 

    Ils ont cherché toute la nuit avec des lanternes./Ils ont laissé au port les noyés./ Ils ont embarqué les chevaux. L’horloge de la Douane/ n’a pas d’aiguille.

    Le désir même s’affadit et s’estompe,

    Pierres peintes,/ Beaux visages, beaux corps. / Ils t’indiffèrent.

    Cependant le poète mène une lutte intérieure et recherche des raisons d'espérer

    La nuit parfois, encore aujourd’hui, / un rossignol me somme / de dire à nouveau « oui ».

    mais semble à nouveau prêt à renoncer

    …./ Mon dernier sou / est tombé dans les galets blancs. / Je ne baisse pas pour le ramasser.

    Ainsi  Yannis Ristos erre dans ses sentiments ambivalents entre le renoncement et la lutte

     Où que tu ailles, la mort / marche sur tes talons. / Tu te retournes un instant et tu lui montres

    / une fleur ou un poème / et la mort s’en va./…

    Le livre illustre ce dernier combat que livre le poète. Les poèmes en marquent les étapes comme autant de territoires perdus ou regagnés aux champs de l’espérance et de la vie ;

    Il ne rend pas les armes, il  s’efforce d’opposer / quelque chose de beau à la nuit qui vient./…

    Yannis Ristos pressent  que la fin est proche et transmet dans les poèmes ses états d’âme qui alternent d’une face sombre à celle où parfois  brille faiblement un falot dans un ciel d’espoir.

    C’est un livre poignant autant par la simplicité du langage employé que par le dévoilement de l’homme face à lui-même d’abord et à son avenir proche. Le livre est un miroir où les poèmes font échos, sans manière ni artifice, à sa vie intime et profonde.

    Nous revenons à ce que nous avons quitté,/…

    N'ayant plus personne à tromper,/surtout pas nous-mêmes.

    Secondes est un texte touchant qui nous fait percevoir dans la clarté des poèmes la solitude éprouvée par Yannis Ristos à l’approche de son dernier rivage.

  • J'en gage le corps - Hervé Martin - Editions de l'amandier

    J’EN GAGE LE CORPS

    Hervé Martin

    Éditions de l’Amandier,

    Collection Accents graves / Accents aigus

    2011– 80 pages, 13 euros

    Jean-François Mathé

     

    Le livre d’Hervé Martin s’ouvre sur « la question de la mort ». Cette « humaine universelle épreuve », le poète note que, de plus en plus, la société actuelle s’en détourne comme pour éviter de l’appréhender, d’en ressentir les atteintes aussi bien dans la chair de ceux qui meurent que dans celle de ceux que les défunts laissent face à leur absence. C’est cette esquive que Hervé Martin refuse avec force en concluant son premier texte par l’injonction : « Il faut voir la mort car qui ne voit la mort n’a pas vécu vraiment. »

    Toute la suite du recueil dépliera cette confrontation avec la mort, essentiellement par la remémoration des êtres perdus, la lente, patiente, tâtonnante remontée vers eux.

    Des trois parties du livre, la première s’intitule Ce qui ne parle pas (remémorations). Les poèmes y sont écrits en une prose dont chaque ligne, par des espacements, fragmente l’énonciation. Dans les blancs ainsi ménagés, le lecteur a la sensation d’éprouver le difficile travail de la mémoire dans les choix qu’elle fera et qui pèseront le plus en elle. La sensation aussi de chercher son souffle dans l’effort de remettre au jour la présence la plus vive possible des êtres chers et disparus. Comme l’annonce le titre de l’ouvrage, le corps, celui de l’auteur comme celui du lecteur est tout autant que les mots engagé dans la matière du poème :

    J’allais aussi      montée lente      haut du cimetière

    sur la tombe      blanc gravier      angelot agenouillé

    veilleur      mon frère aîné      mort à quelques mois

    Ce retour « physique » dans le passé permet, autant que faire se peut, de le rematérialiser, de lui rendre une épaisseur presque palpable : les détails sonores, visuels recréent des bruits, des voix, des couleurs, comme ces bretonnes habillées noir et coiffées blanc. Mais Hervé Martin garde en chacun de ses poèmes la lucidité et la douleur de savoir que les parents, les amis morts, aussi remémorés soient-ils sont à jamais des absents : portions de moi parties comme un membre, écrit-il. Et si la poésie ne peut abolir cette distance entre les morts et nous, au moins peut-elle la rendre habitable par ce que la mémoire garde et par ce que l’émotion ranime des défunts dans le tremblé des mots.

    La deuxième partie (Sur l’encours des jours) constituée de deux monologues, l’un adressé à la mère, l’autre au père, est justement centrée sur la réinvention de leurs vies dans des éclats de souvenirs rendus plus vifs par l’écriture en vers libres et brefs : Tout alors me revient / mêlé entre ce que tu fus / et ce que ma mémoire en fit. Ces monologues sont des hommages à deux êtres chers, à leur présence physique et affective dans l’enfance de l’auteur qui se résigne à leur part de mystère désormais inaccessible.

    Dans Contre la nuit, troisième et dernière séquence du livre, Hervé Martin s’interroge sur le bien-fondé et le sens de sa quête : Que penser de ton épanchement / confus que dire de ce miroir / renversé sur ce qui ne vit plus.

    Que fouilles-tu    Que voudrais-tu / entendre       qui ne fut déjà dit.

    La réponse à ces questions se trouve peut-être dans ces quatre vers : Toi qui recherches ce / qui n’existe pas Comme un sol / stable pour avancer / dans ta respiration du jour. Comment mieux dire que nous ne pouvons vivre le présent et aller vers l’avenir si nous ne portons pas en nous-même notre origine, ce et ceux qui nous ont fait, si notre humanité n’est pas aussi constituée de la mémoire des morts ? Pas de fleuve sans source, pas d’homme non plus. Et la poésie n’a pas qu’à suivre le courant, elle a aussi à le remonter.

    Dans une écriture sensible, à la fois simple et travaillée dans le corps de la langue par des décalages typographiques, syntaxiques qui lui donnent son relief particulier, Hervé Martin offre un texte d’hommage et d’amour à ces disparus qui firent son enfance fondatrice et donc l’homme qu’il est aujourd’hui.

     


        

     

  • Des laines qui éclairent - Une anthologie, 1978 - 2009 Pascal Commère

    Des laines qui éclairent – Une anthologie,  1978 – 2009

    Pascal Commère

    Édition Obsidiane & Le temps qu’il fait

    Collection Les Analectes

    ISBN : 978.2.86853.566.5

    400 pages

    28 €

     

    « Est-ce que je ne dirai jamais rien d’autre, ce bout

    de pays ses bouchures contre les bêtes molles. »

     

    Cette anthologie, sixième volume de la Collection Les analectes coédités par Obsidiane & Le temps qu’il fait rassemble les livres ou extraits des ouvrages de Pascal Commère parus entre 1978 et 2009.Une somme de trente ans d’écriture de poésie proposée dans un ordre chronologique.

     

    La singularité du titre Des laines qui éclairent, interroge le lecteur mais soulève une partie de son étrangeté dès le texte préliminaire Quelque chose rugueux où l’auteur présente l’ouvrage. On y trouve cette phrase :

    Doux au toucher et malgré tout rugueux. C’est cela. Laines. Et pas moins au pluriel.

    Ces laines, que l’on trouve accrochées aux barbelés de l’enclos des bêtes comme le signe de leurs présences et qui éclairent peut-être tel un flambeau le temps du poète.

     

    Doux et rugueux, c’est à cela que fait songer la poésie de Pascal Commère. Doux, comme ce pays de collines et de champs où il vit, ces pâturages qu’on imagine, ces souvenirs attachés à la nature, aux paysages, aux êtres rudes qui peuplent les campagnes et renaissent dans les textes.

    Rugueux, comme la langue, le phrasé, l'inconfort de lecture créé par la syntaxe. Évoquant ce qui s’accroche à soi, puis qui râpe et fait plaie, ce mot situe peut-être la région sensible où s’enracine l’écriture. Tel un lien paradoxal qui lie des souvenirs chers et une peine lancinante qui tient serré au corps.

     

    Le langage dans une phrase qui boite.


    Les hommes de la terre et du labeur puis les bêtes, les paysages de Bourgogne, occupent une large partie du territoire poétique du livre. L’écriture, moins la forme de ces proses poétiques ou ces poèmes en proses, que le langage qui roule avec rugosité dans la bouche quand surpris on heurte un mot que l’on n’attendait pas. On dirait l’écriture, les mots dans la phrase, comme le piétinement des bêtes, ces traces qu’elles laissent, de sabots ongulés en tous sens sur le sol, imprimant dans la terre, agitées ou paisibles les vaches, les signes de leurs existences. Tout comme elles, les mots dans les vers sont cahotés, rarement à la place où on les attend. Une des singularités du langage du poète se tient là, dans la syntaxe de la phrase et la prosodie qu’elle crée entre les lèvres, quand les mots semblent chercher une place, comme les vaches en un troupeau poussant, bifurquant, se serrant. Peut-être existe-t-il une analogie entre les mots et les bêtes, entre les phrases et les troupeaux ? Comme elles, les mots tentent d’exister, cherchant une harmonie, une justesse du moment dans un ordre inattendu.

     

    Mais vers le haut dois-je ou le bas courir/

    fulmine la fourmi – et nous lentement/

    toute herbe désormais loin (passantes fleurs/

    passantes jamais vieilles) entre les mots/

    sur la terre où se perdre toujours …

     

    Ou encore

     

    (je croyais l’autre jour que c’était une bête

    et non pas qui hurlait la tronçonneuse encore)

     

    Là, l’écriture laisse poindre la rythmique d’un marcheur. Le souffle y évacue la tension du corps qui vibre de l’émotion des vivants, évoquant, mieux ! Réinstaurant l’instant en l’amitié, l’attachement aux paysages, l’empathie pour les hommes de la terre, le respect des animaux ou la perte d’un être cher dans ce sensible et bel ensemble – ode à l’absence.

    et en moi cette voix très loin qui est ta voix

    profonde sous l’herbe son encre bleue et qui

    effacée maintenant sous les feuilles n’est plus

    À mesure que l’on progresse dans le livre - et parcours les années d’écriture - les vers s’écoulent avec moins de tension dans les poèmes. Moins chaotiques, ils trouvent un autre équilibre avec la réalité, dans la sérénité des paysages ou des scènes observées. Ils semblent s’apaiser d’un voyage où Pascal Commère les a menés et surprennent le lecteur, comme peut-être le poète, quand promeneur et quêteur d'inouï il marche, errant dans le haut des collines, caressant du regard les paysages, les bêtes, les horizons et l’infime de l’infini des paysages de sa campagne.

     

    L’écriture comme approcher, très lentement


    Avec leur taille, leurs rudesses qu’on imagine les bêtes sont présentes dans les textes. Elles croisent non loin d’elles des choses fragiles, fluettes, invisibles à qui n’a pas regard, ni curiosité. Pissenlit, herbes, limace, pattes de mouches, traces…Deux mondes qui se côtoient et se rejoignent dans cette poésie où les yeux du poète débusquent les couleurs – nombreuses – qui recouvrent l’apparence du monde.

     

    On croirait que l’ombre sur la route parfois/ de celui qui marche, près d’une herbe s’arrête.

     

    Pascal Commère observe avec l’attention d’un orpailleur, quand la couleur de l’or vient étinceler les poèmes avec des jaunes évoquant le soleil, les blés murs ou les champs de colza de la Côte-d’Or. La couleur est d’ailleurs très présente dans le livre avec le bleu du ciel ou son reflet dans les mares, les étangs ; Ou le rouge encore, robes rousses des vaches ?

     

    comptant les bêtes blondes ou un peu rouges qu’on appelle croisées,…

     

    Ou sang, peut-être ? Celui des bêtes ou celui qui bat dans les veines du poète d’une colère retenue mais qui fuse silencieusement dans le tumulte de sa langue.

     

    Le temps est comme arrêté par ces vies minuscules que ravivent les poèmes en de fugaces instants, pétris par le regard et le fil secret de la mémoire. Le poète dépeint les atmosphères qui l’entourent. Il en décrit les formes et les choses, les êtres et les paysages...

    contre les buissons on voit, comme le soir dans le ciel

    levant les yeux, des nuages si fripés qu’on croirait

    les traces des grandes roues jumelles des tracteurs.

     

    Ce sont eux qui le placent dans l’état d’écriture quand il note dans un carnet toutes les émotions et les sentiments qui le pressent.

     

    Je voudrais, dans un petit cahier – est-ce que vraiment

    sur ses pages cassées, dans les coins jaunes

    comme la sciure un peu, je voudrais – non pas dire

    mais plutôt approcher, très lentement.

     

    Cette poésie est liée à la nature, aux paysages, à la vie simple que l’on mène en campagne, là où les êtres sont restés proches de cette vie sensitive. Il s’échappe de cette écriture ce qui fait lien entre le poète et un terroir intime. Bêtes, hommes et végétaux reprennent vie pour recréer quelle atmosphère, percer quels secrets ? Y en a-t-il un d’ailleurs qui persisterait dans ces paysages, ces lieux ou ces scènes passées ?

    Qu’attendez-vous – quelle nouvelle, et de qui,/ quelle parole autre, ou si les mots / deviennent des lumières petites, quel or/ – silence tout autour du monde orné tel une image/ vaine, quelles couleurs ?...

     

    Mais de rien peut-on vivre ? Est-il écrit dans un poème où dialoguent les éléments simples de la nature auxquels nous ne prêtons que peu d’attention: mouches, chardon, silence, sentiers, sommets, ortie, bardane...  C’est sans doute par cette question, un viatique pour Pascal Commère, que le poète cherche dans les paysages de campagne les moindres signes de vie et trouve en eux l’humus de sa langue.

    …existe-t-il le pays

    sous les mots que je cherche et sous les mottes rouges

    qui disent ne disent pas les mots ni la couleur

    dans l’hiver d’une phrase qui boite et m’accompagne

    jusqu’où finit la nuit et le monde jusqu’où


    Hervé Martin