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Lire Maurice Regnaut

  • TERNAIRES

    Maurice Regnaut

    Editions P.J.Oswald

    80 pages

    1971

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    Cette note sur un livre de 1971 Ternaires permet d'éclairer l'oeuvre de Maurice Regnaut. On peut découvrir la page qui lui est consacrée sur le site d'Incertain Regard. J'engage les lecteurs à lire sur le site du poète Maurice Regnaut, qui est mort en 2006 nombreux de ses textes essais, poésie, théâtre.. et à découvrir son oeuvre et sa voix, qui demeure présente vivement dans son écriture.

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    Ternaires,

    « Il ne viendra jamais rien que la nuit sur la neige »

     

    Ternaires a paru aux éditions Pierre Jean Oswald en 1971. Ce titre de Ternaires renvoie nombre trois, tel le nombre de vers composants les poèmes. Sans doute les acceptions de ce mot nourrissent des significations plus larges comme peut-être celle du rythme dans l'écriture.

    Le livre est composé de quatre ensembles. Le ternaire

    « Quai, rails, horloge, / Et soudain le déclic de l'aiguille / Sur l'univers. »

    les précède et ouvre le livre comme pour en indiquer le propos. Numérotées de un à quatre chacune des parties est composée d'une dizaine de poèmes de trois vers.

    Cette conscience de vivre

    « M'étendre sur la terre, / N'être plus que le temps qui va / Me supprimer. »

     

    Le premier ensemble de poèmes paraît circonscrire la conscience du poète quant à sa présence au monde. Il s'agrège autour de ces poèmes le sentiment tangible d'une finitude inévitable et celui plus diffus de l'absurde face à l'infini. Qui n'a pas été emporté par ses pensées dans les méandres d'un réel impensable face à la dimension de infinie l'univers et aux limites de la réflexion humaine. Réalité inimaginable que notre vie pensée à l'aune de cet univers et où soudain, un relent de mal-être nous rattrape.

    Je crois discerner dans ces premiers ternaires, les signes d'une écriture qui caractériseront celle de Maurice Regnaut dans ses autres livres.

    -Le jeu avec la sonorité, l'homophonie et les répétitions : si vert le vert

    -Une écriture jouant avec les oppositions de sens, la contradiction langagière et les changements de registre : Si noir, si clair, le bleu si rouge,

    -Et enfin, des inversions dans la construction grammaticale des vers qui donne à son écriture, un rythme et ce phrasé particulier reconnaissable que l'on retrouvera dans ses livres :

    Si lourde au pied mon ombre.

    Les autres vers qui montrent la conscience de cette finitude simultanément à celle du vivre s'accumulent au cours de cette partie : »Comment suis-je encore ici » ; « Grands tournesols / Le soir / face à l'horizon vide. »...

     

    La conscience du rien

    « O monde immense / Et moi / En mes mots seuls ! »

     

    La deuxième partie du livre paraît isoler l'homme, le poète et le monde. C'est le moment de réflexion  avant un choix. Le poète possède la conscience d'un soi seul au monde, comme ce ternaire en témoigne. Le poète est l'être de la parole, des mots et du langage. L'homme qui le devient dans cette conscience de vacuité de l'univers doit choisir,

    Monde ou poème / Choisis ta foi / Ou sois folie.

    Dès lors, l'homme et le poète confondus savent ensemble qu'il ne faut rien attendre,

    Il ne viendra jamais / Rien / Que la nuit sur la neige.

     

    Extraire du néant

    «  La nuit vient , ma rare, / Et ton corps encore / Plus beau qu'au soleil. »

     

    Les parties trois et quatre me semblent plus énigmatiques. Le poète doit se nourrir du rien, puisque cela seul est présent, à la fois intangible et pourtant immémorial. Au sens perdu d'un monde, à l'absence d'un dieu, le poète interpelle la nuit - appelée - (p),  nomme les poussières - visibles - (p 42), rend témoin d'une présence le silence, l'écume et la lune (p44)... Il énumère le tangible du monde ! Face à eux le poète les transcende dans le regard qu'il leur porte. Il substitue au rien, le vrai de la parole. Dis-moi que rien n'existe, ô dis-le moi, / Que le seul vrai soit non ce rien, Mais ta parole ! On trouve dans ce ternaire, ce qui sera constant dans la poésie de Maurice Regnaut, la présence du VRAI dans la parole. Dans la parole du poète Maurice Regnaut. Il y a dans les poèmes de cette troisième partie les strates d'une nouvelle naissance. Pour vivre, recommencer à vivre en homme mortel sous les auspices - acceptées - de la finitude humaine.

     

    Vivre

    « Et ne plus être au cœur du bleu, / Terre , / Qu'un seul cri ! »

     

    La quatrième partie est comme une sorte de réconciliation du poète avec la vie. Il semble l'accepter pour ce qu'elle est dans ses limites, après que tout homme eût empli son existence de sens en dehors de toute expérience mystique. Cette dernière partie loue la lumière, le soleil et l'éclat des couleurs de la vie.

    Bleu à bleu, feu à feu bleu, et dire / Que j'aurais pu ne pas vous voir jamais, / Myosotis de ce monde !

    Le livre est-il le fruit d'une expérience existentielle ? Hormis ce titre faisant référence à la forme trois du ternaire, quels sont les autres sens auxquels il se rapporte ? Peut-être contient-t-il dans les phonèmes le composant, celle de « terne » qui pourrait être rapprochée avec l'humeur qui aurait accompagné son écriture ? Ou pourquoi pas un néoadjectif décliné de terre à l'instar de lunaire ? Le dernier poème pourrait en témoigner :

    Ce bruit d'eau dans la nuit, / Dors, / C'est la Terre.

     Alors ces poèmes seraient propres à notre planète habitée par l'homme - seul - dans l'univers mais qui ne cesse fébrilement de s'interroger sur le sens de son existence.

     

    « Entre le hêtre et l'homme, O honte, Était le tremble. »

     HM

  • NOUS - Maurice REGNAUT

     La bibliographie de Maurice Regnaut

     

     

    Poète, écrivain, homme de théâtre, Maurice Regnaut dont les premiers livres furent édités par l’éditeur JP Oswald nous donne ici son dernier livre. Maurice Regnaut vient de mourir sans pouvoir accompagner la sortie de NOUS qui vient de paraître aux éditions Dumerchez. Maurice Regnaut fut associé à l’aventure du TNP, collabora à la revue Théâtre Populaire et fut longtemps membre du comité de rédaction d’Action Poétique. Il a été également le traducteur de Brecht, Rilke, Fassbinder, Kosztolanyi et d’Enzenberger.

    « Parler / c’est être / à la fois toi et moi »

    Ce vers, parmi les tous premiers du livre situe l’acte de parler au centre de ce livre. Parler dont écrire ici est synonyme, est pour Maurice Regnaut la création d’un espace commun. Lieu de rencontre, épicentre social et de partage, le livre circonscrit le territoire de cet espace là. Par une mise en voix des mots du poète dans la bouche du lecteur et par l’usage abondant de toi et de moi qui entretient cette confusion quant à celui qui parle, Maurice Regnaut fait du livre ce lieu d’une parole partagée et conjointe. Le livre composé de plusieurs textes est un même et seul poème écrit sans aucune lettre majuscule. Et peut-être faut-il entendre ici l’Être, toi et moi sans distinction aucune, pour porter d’un coup l’auteur et le lecteur sur un même pied d’égalité. D’ailleurs les mots toi et moi, à l’encre rouge, sont écrits respectivement sur deux pages consécutives, paire et impaire, et réunis en un même lieu du livre. Nous est le livre d’une parole vraie, poétique et partagée. Elle est omniprésente, écrite, lue, entendue, prononcée, comme l’est l’accompagnant dans une musicalité, ce rythme investissant la forme de l’écrit avec ces blancs, ces  mots seuls pour toute forme de vers ou déploiement sur l’espace de la page. Rythme lové dans un jeu de sonorités et de répétitions, le plaisir est aussi auditif. Il faudrait analyser plus précisément l’écriture de Maurice Regnaut pour observer ce travail omniprésent, sur la prosodie de sa langue, sur ces syncopées de la répétition façonnant à la lecture des lignes musicales, nous conduisant intuitivement peut-être à celles inscrites dans des comptines d’enfances.

    En dépit d’une forme qui laisserait à croire à une désarticulation du langage, ou à une primauté d’une construction graphique des textes - en page 16 un poème laisse deviner comme un visage, peut-être celui du nous commun -, l’écriture est limpide. La lecture du livre me fait songer à un acteur seul en scène en prise avec un monologue (un monoulogue ?) et me rappelle que Maurice Regnaut est aussi un auteur de théâtre. Ce long poème NOUS  est écrit  pour une seule voix, toutes deux  – toi et moi –  réunies.  Lisez le à voix haute ! Vous êtes seul, mais soudain, vous ne saurez plus qui de soi est l’autre. Qui du toi et du moi est ce corps qui est vôtre, capté soudain par ce nous, sa présence que la lecture rend crédible. Maurice Regnaut nous a quitté et le voici pourtant présent près de nous dans ce livre. Lorsque nous portons notre voix dans ses vers, le poète met sur nos lèvres ses mots, transformant notre lecture en ce lieu privilégié de la rencontre, par le partage de la parole et ces vers dits à haute voix. Car pour Maurice Regnaut, parler, c’est exister ! Exister l’un par l’autre, exister dans ce partage et d’écoute et de mots.

    « Nous éternels » sera l’ultime vers du dernier livre de Maurice Regnaut. Et quoi qu’il représente, ce pronom personnel  est porteur d’une opposition symbolique face aux orientations individualistes de nos sociétés occidentales. Ce « Nous éternels » est l’espace commun d’une rencontre que la parole partagée crée. La parole vocalisée et la parole entendue, la parole écrite et la parole lue, la parole prononcée «  pure, juste, vraie » qui donne à l’autre, cet autre nous-même, une existence sous un regard d’altérité et sous celui du monde.

     

    Hervé Martin

     

  • Un papillon s'est posé

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    Ce mercredi 23 août, je suis arrêté sur une aire de repos tout près d’une petite fontaine bretonne à Saint Jacut. Le temps que j’ai d’attente ce matin là, je l’emploie à travailler sur une note de lecture du dernier livre de Maurice Regnaut, NOUS. Je me suis assis près d'une table de cette aire de repos en ayant pris soin, muni du livre, de préparer de quoi écrire. Soudain, sans que je n’ai eu le temps de m’en apercevoir, un papillon s’est posé sur le livre. Il s’est posé sur le titre NOUS, juste sous le nom de Maurice. Probablement le blanc du livre, le rouge du titre, le vert de la table où était posé ce livre auront trompé ce papillon. Un magnifique papillon aux larges ailes orangées. L’instant me paru suspendu au silence et je le percevais éphémère.  Précieux, il m’a touché et malgré ma rationalité convaincue, je ne pu m’empêcher d’y lire un signe. Un signe que nul n’envoie, un signe imprévisible dans l’aléa de la vie mais un signe qui rappelle. Un signe qui renvoie, un signe comme une présence dans la mémoire. La chance a été que mon téléphone portable équipé d’un système photographique soit posé aussi sur la table devant moi. Dès que j’ai voulu approcher ma main pour le prendre, le papillon s’est envolé mais pour aussitôt se reposer presque au même endroit du livre. Moment rare. La vie se pèse dans ce sentiment de rareté, ce moment d’un hasard dont on sait qu’il ne se reproduira pas. Mais qui pourtant par deux fois consécutives s’est produit ! Ce moment, où dans une campagne de Bretagne, assis sur un banc avec le livre de Maurice posé sur une table, un papillon, comme  le désignant par sa présence, s’est posé près du titre, tout proche de mon regard.

    C’est lentement, que ma main près du téléphone portable s’en saisi. Et c’est sans brusquerie, dans une lenteur fébrile que j’ai pu capter cet instant aussi inattendu qu’improbable, ce signe.

    Et je pensais à vous.

     

     

      «     

     Tout.  Mot. Geste. Acte. Est signe  –  et  veut dire quoi –

    qui  à  son  tour  veut  dire  à  –  son tour qui  – vertige –

    et dans ce vertige  un  autre vertige  –  et dans  cet  autre

    un  autre  encore  –  un  autre  à  l'infini. Oui. Le sens est

    folie.   Et  celle  qui  m'a  sauvé.   Moi.  Jadis.  C'est  elle.

    C'est la vieille.  C'est l'éternelle.   C'est  la  fondamentale.

    Tautologie.   Acte.   Geste.  Mot.  Tout.  Quel   qu'il  soit.

    Tout est ce qu'il est.  chercher un sens.  C'est jouer. Quel

     qu'il puisse être.  Un jeu sans fin.  Simple  ou   complexe.

    Aisé ou douloureux.  Gagnant.  Perdant. Un jeu. De tout.

    En tout.  Pour tout.  Délire.  Anécessaire.  Oui. Vivre est

    *vivre.   Et  ne  connaît.   Qu'une  seule  double  modalité.

    Présence absence.                                                              »

     Maurice Regnaut    -   Extrait de Lettre II dans LBLBL.