LA POETHEQUE / Bibliographie de Gérard NOIRET
Hervé Martin : Poète, collaborateur à La Quinzaine Littéraire et à diverses revues, tu animes également des ateliers d’écriture poétiques auprès de différents publics. Ma première question est un peu provocatrice : apprend-t-on à être Poète ?
Gérard Noiret : Non. Ce que l’on peut apprendre ce sont quelques conditions nécessaires pour le devenir. Et encore… Personnellement, je ne me perçois pas comme Poète. Dans ce mot il y a trop l’affirmation d’une autre manière d’être. Ma véritable différence est de consacrer beaucoup de temps aux mots, pas toujours écrits. A l’inverse, toute personne qui entreprend un travail artistique est obligée de se penser « poète », « danseur » ou « comédien » à un moment donné de sa vie, parce que sinon, le soi se dérobe. Il existe une espèce d’imposture nécessaire qui crée au départ un « horizon » de rigueur et conditionne l’accomplissement de l’écriture. Une dernière chose : je crois que l’on peut cesser d’être poète parce que le langage se transforme.
HM : Utilises-tu dans tes ateliers des « techniques d’écriture » ?
GN : J’espère proposer plus, car le poème établi des connexions avec la philosophie, les sciences humaines et a besoin d’une réflexion sur soi. Cela dit, j’interviens majoritairement sur le « processus d’écriture ». Il produit une sorte d’accélération des connaissances. Il n’y a rien de pire que d’apprendre après trente ans de travail solitaire que Du Bouchet existe ! Dans mes ateliers, je remets les gens en prise avec l’histoire de la poésie. Les contraintes ont toujours rapport avec des poètes, des livres, de la pensée. Je corrige peu. Je ne cherche pas à enseigner un bien écrire. Je m’arrange pour que chacun fasse des expériences de langage. Je m’applique à contrôler qu’ils ont ressenti ce que je voulais qu’ils éprouvent. Au bout du compte, j’espère que les participants ont des chocs. Des profs qui connaissent mille fois mieux la littérature que moi n’ont jamais été confrontés à ce qu’il advient lorsque « on va à la ligne ».
HM :Quelles sont les raisons qui t’ont conduit à animer cet atelier à l’université de St Quentin en Yvelines en collaboration avec Thomas Dalle qui est percussionniste et musicien ?
GN : J'ai commencé à St Quentin pour une raison anecdotique : je n'avais jamais mis les pieds dans une «fac » et j'étais curieux de savoir si un autodidacte y avait une place. Après la 1 ère année s'est posé le problème du développement. Comme j'aime la poésie mise en voix, un responsable m'a parlé de Thomas, lequel m'a semblé suffisamment singulier pour que l'on fasse équipe. Parallèlement, comme je savais où les étudiants en étaient dans leur écriture, j'ai pensé que ce passage de l'écrit à l'oralité les obligerait à s'écouter différemment.
HM : L'atelier s'est achevé par un spectacle. La mise en voix de poèmes dans un spectacle s'apparente-t-elle à du théâtre ?
GN : Il n'y avait pas - théâtre - dans la mesure où il n'y avait ni dramaturgie ni personnages, mais des moments. L'essence du spectacle, c'était la sonorité et la qualité des mots. Ce n'était plus de la poésie au sens de la lecture muette. Le silence n'est pas le blanc. J'appelle provisoirement ces travaux des "mises en voix" et, quand je serai un vieux monsieur, je chercherai à trouver de bons qualificatifs pour savoir ce que j'ai fait. Lorsque l'on est sur scène, on avance dans l'inconnu, avec des corps, avec des bruits, avec des résistances très concrètes. Ce n'est qu'après - ou avant - que l'on se pose les questions de définition.
HM : Quelles ont été les principales difficultés que tu as rencontrées pour préparer ces jeunes poètes à leur première prestation sur une scène ?
GN : J'ai vécu les - problèmes - comme une suite de plaisirs. Pour Thomas et pour moi, chaque individu est une attente différente, « un devenir ».
HM : Il semble que tu vives et que tu apprécies dans l'instant chacun des moments de chaque chose que tu fais ?
GN : Il y a bien sûr chez moi une conscience du passé et une inquiétude de l'avenir. Mais l'atelier est un temps à part. Il permet de prendre les choses et les êtres dans leur matérialité, en dehors du quotidien. Il permet aussi de passer par un présent «absolu » où tout fait sens : les virgules, les respirations…
HM : C'est donc une chose que d'avoir un objectif et une autre, que de l'atteindre. Un projet de mise en scène peut-il être contrarié par des réalités?
GN : Si l'on a une idée abstraite du spectacle rien ne marchera, car les conditions matérielles du jeu ne peuvent être gommées. A l'inverse, sans réflexion on ne dépasse guère le stade des trouvailles. Il n'est pas caricatural de parler de « cuisine ». On rajoute, on retire, on laisse s'évaporer…
HM :Quels sont les écueils que peut rencontrer un poète qui dit ses poèmes en public ?
GN : De croire que son activité d'écriture lui donne un acquis scénique. Ce n'est pas comme à la Fac, il n'y a pas d'équivalence. Le lecteur abstrait - là -, n'est pas le spectateur dans la salle. Pour moi, l'écueil, c'est l'image du Poète qui fait que l'on ne prépare rien, que l'on exige que l'autre vienne à soi. Je ne supporte pas la mégalomanie, les grands prêtres et leur messe.
HM : Aujourd'hui, le travail du poète peut-il être uniquement écrit ?
GN : Oui. Il y a de nombreux chefs-d'œuvre qui sont faits exclusivement pour la page. Le texte écrit n'est jamais restitué à l'identique dans la salle. C'est comme une traduction. L'écriture-sur-la-page joue avec une ambiguïté impossible sur scène. Il existe, il faut le dire et le redire, une poésie qui est faite pour résonner dans la tête. Le poème peut dire des choses grâce à la neutralité du blanc et à l'héritage culturel de la page. Sous prétexte de médias, il ne faut pas oublier que la lecture muette fut un progrès considérable.
HM :Le corps dit-il des choses que le poème ne dit pas ? Et l'oralité, ce complément de l'écriture, peut-elle aider à élargir le lectorat de livres de poésie ?
GN : Oui bien sûr ! Que l'on en soit conscient ou pas, le corps émet, le corps ne cesse de signifier. Il suffit d'un geste pendant une lecture pour que, d'un seul coup, quelque chose s'éclaire. Parfois un incident lors d'une répétition rend le texte infiniment plus intéressant. Et cela on ne peut pas le rajouter en mots. Ou alors il faut tout re-transposer. Oralité et écriture entretiennent un rapport dialectique. Il faut que le poème écrit meure avant d'exister en tant que parole. Cette disparition est source d'autres vies. Certains mots sont corrects du point de vue de l'œil mais ne passent pas sur scène. Ce n'est pas de la démagogie que de les modifier. A condition de le faire à partir de règles, et non d'hypothétiques applaudissements. Il en va ainsi des coupes qui ne doivent pourtant pas être « psychologisées » pour permettre le jeu du comédien. Fondamentalement l'oralité est un genre à part. Elle est impuissante à résoudre les problèmes du livre. Les réalités ne font que se recouper parfois. Je crois que ce qui est l'ennemi pour le public en poésie, c'est le vers ! Ce n'est pas une raison pour le supprimer quand il existe, même si dans l'oralité on va au silence et non pas à la ligne. Il ne se joue pas les mêmes choses sur la page et dans le temps réel. Maintenant, pour une approche plus fine de termes tels que orale, oralité…disons que nous aurions dû passer par Meschonnic ou Jean-Paul Goux.
HM :Quelle est selon toi l'importance d'une émission radiophonique comme « Poésie Studio » sur France Culture ?
GN : Cette émission développe un public non pour la poésie en général mais pour une part spécifique de celle-ci. Il est démagogique d'opposer la radio et le livre, la télévision et le livre, et d'une manière générale, d'introduire dans son raisonnement des critères d'audience ou d'audimat en art.
HM :Que penses-tu «Des Poétiques » ?
GN : Dans - Les Poétiques -, ce qu'il faut savoir c'est que les poètes ne disent pas vraiment leurs poèmes face à un public. On a des écouteurs sur les oreilles et un micro directionnel, on est devant un pupitre et on est soumis à la prise de son. Ce qui compte, c'est ce qui après, existera sur les ondes. J'avais pour me guider une sorte de chef d'orchestre : Claude Guerre. J'étais donc à la fois face à une salle et conditionné par la retransmission. C'est autre chose que ce dont nous venons de parler.
HM :Finalement, les mots sont ils «Sens » ou «Son » ?
GN : En dernière instance, je donne toujours la priorité au Son sur le Sens. Mais encore faut-il qu'il y ait Sens et tension entre les deux. Il y a une phrase de Valéry qui dit : «le vers c'est l'hésitation prolongée entre le Son et le Sens. » Je remplace volontiers hésitation par contradiction. C'est plus proche de moi.
Note: Cet entretien a été réalisé à la suite d'un atelier organisé à l'université de St Quentin en Yvelines en 1999 dans le cadre de Banlieues Arts