Colette Deblé
« ficelle n° 95 », avec des poèmes de Jacques Ancet. Atelier Vincent Rougier, Soligny la Trappe
6 €
Non paginé
Chimie ou les Elles du désir
Colette Deblé ne cesse de créer des images où les "faces opposées des choses" coexistent et où le féminin prend toute sa dimension et son accomplissement dans une enquête filée tout au long de l'histoire de l'art, à la recherche des images de la femme. Plus de deux mille lavis, dessins et peintures constituent une sorte d'essai plastique sur la représentation des femmes dans l'histoire de l'art. Ce projet, l'artiste l'a clairement défini :
"A-t-on jamais tenté d'explorer par des seuls moyens plastiques l'histoire de l'art ou l'un de ses aspects, comme le font l'historien et l'essayiste à l'aide de l'écriture. Mon projet est de tenter, à travers une infinité de dessins, de reprendre les diverses représentations de la femme depuis la préhistoire jusqu'à nos jours afin de réaliser une analyse visuelle des diverses postures, situations, mises en scène."
Chaque œuvre saisit une attitude, une posture, un simple geste d'une femme appartenant à une scène peinte, sculptée ou photographiée provenant de n'importe quelle époque. Émerge donc toujours un personnage féminin prélevé par l'artiste de la configuration d'origine, de son sanctuaire premier. Mais la re-présentation ignore le contexte tout en conservant se trace fantomatique. Des « idoles légères » comme les définit Jean-Paul Goux arrachées aux carrières antiques montent vers des plafonds célestes ou vers des îles sous le vent.
La femme est donc déesse mais à la religion païenne. L'artiste en est la prêtresse libératrice et gorgeant les clés de voûtes de leurs nouvelles cathédrales aux ogives parfois ouvertement érotiques. Condensation et déplacement, brutalité d'un désir féminin, féminisation de la sexualité qui du phallus passe à la cascade. Colette Deblé crée une pluie, un ruissellement dont le cercle ne cesse de s'agrandir. On est dedans sans y être, mais on espère ne pas en être exclus et ce depuis une scène primitive où immanquablement l'artiste finira par nous faire remonter.
Même si ce n'est pas son objectif premier elle nous permet de savourer jusque dans l'écart la substance de l'intimité utérine. Car ici est le lieu et la réalité, l'identité suprême, la nuit d'été. Les figures féminines de l'artiste harcèlent donc l'origine jusqu'où elle ne sera plus, où nous serons enfin. Arrachant à la barbarie iconographique et « male-igne » des siècles passés ses figurines, Colette Deblé corrige le un avec le deux. Elle soigne le fruit plus que le tronc. Elle ne loge pas l'air dans la racine, mais sur la fleur. Le sexe masculin glisse ainsi à l'oubli, s'ampute de lui-même car il fut toujours peu prolixe sinon de sa déité auto programmée.
Colette Deblé démembre ainsi certains rêves de jouissance pour en remonter d'autres. Quelque chose communique avec tout. Le sexe féminin soudain est non seulement à mais notre image. Nous sommes (nous les mâles) son reste qui se consume : une évanescence à peine visible qui se désagrège en tant que promesse si souvent non ou mal tenue.
Les unes de nues, les voilées ou les dévêtues par nuées parviennent malgré tout à modérer le froid de l'hiver sur les îles de leurs corps telles que Colette Deblé les a réinventées afin que si selon Roberto Juarroz
« Le centre de l'amour
Ne coïncide pas toujours
Avec le centre de la vie »,
en de telles propositions un recentrage ait lieu.
JP-GP