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gros textes

  • PORTES OUVERTES... OU ROUGES

    Jean-Pierre Lesieur,

     Éditions Gros Textes,

    Châteauroux Les Alpes,

    104 pages,

    9 Euros.

     

    JEAN-PIERRE LESIEUR :

    IL NE FAUT PAS QU'UNE PORTE SOIT NÉCESSAIREMENT OUVERTE

    OU FERMÉE.

     La poésie de Jean-Pierre Lesieur n’a cessé de se dégager du réalisme pour glisser dans une fantasmagorie et une drôlerie particulières. Le poète multiplie ses voyages de l’extérieur vers l’intérieur, le passage de portes pour pénétrer, pour traverser la peau des impalpables. C’est bien là que tout devient intéressant En effet, franchir une porte revient toujours à changer de corps, de lieu, de temps, de matière. Cela touche à notre plaisir, à notre jouissance et, en conséquence, à nos possibilités d’angoisse puisque nos certitudes se voient interpellées par le passage.

    Certes le franchissement est rare. Souvent un poète pense traverser un seuil et s'affranchir. Mais d’au-delà de la frontière il ne ramène que du pareil, du « même ». Ne demeure qu’un vestige au lieu de vertiges puisqu’au sein du passage espéré la différence recherchée s’est évanouie. Jean-Pierre Lesieur réussit à l’inverse, sa quête du changement.

     

    La ligne de passage inscrit chez le poète une coupure : le voyageur ne peut plus emmener avec lui ses propres bagages, sa propre interprétation, son propre inconscient. Tout mute grâce à "l'importateur de portes". Il permet d'installer des portes qui "parlent quand on leur tourne le dos". Il n’existe alors que de rarissimes arpents de réalité sur lesquels on ne peut même plus s’appuyer. Une étrangeté explosive défie l’affalement dans l’orthodoxe. Non seulement le « décor » tourne mais chaque texte-porte ouvre à un autre espace pour un défi du sens.

     

    La  jouissance ne tient pas à un  retour des « choses » mais à leur retournement. Si bien, qu’à l’âcreté et à l’amertume qui désagrègent la jouissance fait place un franchissement que l’on croyait impossible. Soudain on ne se retrouve plus  du même côté de chaque porte. Soumis à une étrange torsion le langage butte mais ensuite s’approprie des « paysages » inconnus à la lumière à la fois caverneuse et rutilante.  Jean-Pierre Lesieur permet de rompre avec les perceptions acquises par l’habitude. Il ne duplique jamais du semblable dans ce qui tiendrait à une sorte de complaisance. En lieu et place des habituels rituels de certitude un saut a lieu loin de ce qui est pris généralement en poésie pour des invariances. Un  « pas au-delà » (Blanchot) de la porte est entamé. Dans chaque texte il vient à bout des clivages de l’intériorité et de l’extériorité. Il faut donc y entrer sans en sortir, que la porte soit grande ouverte ou entrebâillée.

    JPGP

  • D'ENTRE LES ÎLES ET LES ROCHERS

     

    Laurent Bourdelas

     

    Locmalo

    Éditions Gros textes

    Fontfourane

    60 p,

    6 euros.

     

     

     

    Laurent Bourdelas nous a habitué à bien. Avec « Locmalo » il aboutit à mieux au sein même un exercice périlleux. Celui de la chose vue qui nécessairement oscille entre le descriptif et le nostalgique. Il arrive même que l’auteur quittant Broceliande note de manière laconique « je suis reparti mélancolique ». Pourtant pour évoquer la Bretagne ses sables du temps et ses archives de granit l’auteur - affronté à tous les lieux de cette chair tellurique mais aussi d’air, de marées et de vent - trouve le langage conséquent afin de transformer les lieux en ce que Bachelard nommait "la maison de l'être".

     

    On ne peut que partager les visions (plus que contemplations), les invocations (plus qu’évocations) que le poète développe juste ce qu’il faut. Ses vignettes ne tolèrent aucunes faiblesses. Elles témoignent d’un stoïcisme propre à cette terre entêtante et mystérieuse en ses côtes jusqu’en ses landes.

     

    Par fragments Laurent Bourde las donne une leçon de vie. Mais il propose aussi le martèlement sourd, sans la moindre fioriture, de ce qui pourrait être une suite de tables de la loi existentielle. Rien n'est dit que dans l’événement choisi par-delà l’anecdote comme emblématique.

     

    Chaque « histoire » reste en bascule entre terre et mer et entre sentiments disparates comme en témoigne ce paragraphe :

    « Toujours revient le bateau de Groix où mon fils fut conçu ou presque. Les passagers sont tristes, voici la terre ferme ».

    Dans une telle approche l’aporie joue son rôle et le livre reste du même tonneau, de la même tonalité jusque dans les peintures évoquées en fin de livre. Soudain les jacinthes deviennent abstraites et les alignements de Carnac deviennent un « fleuve étrange ».

     

    À qui ne connaît pas encore la Bretagne ce texte sera une invitation au voyage. A qui la connaît il offre une autre vision, une rumeur qu’on ne soupçonnait pas. Bourdelas reste fidèle à sa poésie essentielle dans son mouvement de retour réflexif sur l'existence. Il trouve des mots capables de peupler nous seulement les lieux mais ce dont ils sont nourris pour mieux nous habiter.

     

    « Locmalo » est donc un texte dense. Il donne des raisons de s’apaiser à qui sait soulever le voile des apparences. Le poète y rappelle à qui n'est plus capable de son pays de trouver des territoires qui permettent de le faire tenir vers le temps sans images. Avançant douloureusement et sereinement vers au milieu de ses propres anciennes images, l’auteur les prolonge d’un écho vers celui qu'il est devenu à travers elles. Ajoutons que Bourdelas reste un des rares poètes qui tordent le coup à l'effusion lyrisme. Il tend son écriture vers une fraternité sans fioriture et au cœur de la splendeur du monde dans sa dureté comme dans sa fragilité.

     

    JPGP