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langue

  • Mes larmes - Isabelle Rossignol

    06-2003- 74 Pages
    ISBN 2915341028 — ISBN-13 9782915341027

    Édition Melville / Léo Scheer

    12 €

     

    Bibliographie d'Isabelle Rossignol

     

    Ce livre est le sixième de cet auteur qui est également producteur pour France Culture. Pour l’amateur d’œuvres radiophoniques que je suis, ceci ne m’étonne guère. L’écriture de ce livre – sa langue – se prêterait volontiers à une création radiophonique. Mais ici ni roman, ni livre de poèmes, ce livre s’apparenterait plutôt à un texte théâtral et se singularise par la nature d’une langue écrite. Une langue – un langage parlé – qui anime les lèvres de l’unique personnage du livre. Un long monologue architecturé en quatre chapitres qui parcourt le livre et qui traduit les états d’âme d’une femme depuis les premiers signes de rupture jusqu’à la fin d’une histoire d’amour.

    Cette langue qui côtoie le langage parlé n’a pas pour seule vocation à l’imitation. Elle est bien plus que cela. C’est la rudesse des articulations de ses mots dans la re-création d’un « parlé », qui la caractérise. Les mots accrochent. C’est une langue qui ne fait pas de manière devant l’urgence à dire la douleur. Langage soudain primaire dans sa forme mais qui appaire aux épisodes difficiles de la vie les détresses de l’être humain. Les conséquences d’un désamour brutal altèrent ici le langage, jusqu’à l’apparenter à la langue de la grand-mère du personnage : -c’t’e vieille - : »l’parler tout cru d’celle qu’a mis au monde mon père,/c’est c’t’e vieille-là qui r’vient en moi,.. » C’est aussi une langue, qui autorise : »c’est c’t’e langue-là hein la vieille ?/qui fait qu’derrière l’amant on peut dire not’e façon d’penser avec l’accent d’chez nous,.. »

    Mais si une forme relâchée du langage est ainsi recréée, c’est pour que soit ressenti plus fortement encore ce traumatisme que peut causer la fin d’une histoire d’amour. Cette détresse de l’être dans le désaveu amoureux qui est vécu comme un abandon. Avec cette régression langagière qui déploie les dernières forces de l’énergie, l’enfance est proche. Et au-delà des mots on perçoit, dans le dépassement du conventionnel de la langue, comme une nausée. Ce flux de mots en décomposition qui dans un irrépressible besoin, remonte du creux du ventre vers les lèvres :

    « j’ai les yeux qui m’sortent d’la tronche et comme c’est du ventre que ça vient,/l’mal,/ ça fait des larmes comme du vomi c’est l’même mouvement j’ai mal au front. »

    À deux ou trois moments cependant la langue retrouve une forme conventionnelle.

    Ainsi, dans ce passage où la femme écrit à son amant après qu’il lui eut demandé, avec une duplicité intenable, de poursuivre leur vie commune :

    « et j’ai écrit un immense NON à l’encre rouge,/NON à côté de sa vie sexuelle,/ j’écris aussi des POURQUOI,/POURQUOI,/… »

    Après quoi, le langage reprend son court précédent :

    « et je r’commence à éructer ces cris qui viennent de j’sais bien où,/… »

    Ou encore, lorsqu’un langage apaisé surgit un bref instant à l’issue d’une colère :

    « d’façon,/cont’e lui j’ai pas d’colère,/pour peu je pourrais même me parler comme avant,/… »

    Et enfin par ce signe donné dans le caractère gras du pronom « mon », marquant clairement le caractère de possession :

    « il est mon amant,.. »

    Ainsi, et malgré cette langue recréée qui exhale une douleur et une détresse causée par une rupture amoureuse, cette femme se tient toujours magistralement debout, marquant bien par cette reprise de parole, la volonté et l’intégrité de son être.

    C’est un livre qu’il faut lire – à voix haute – comme il est conseillé dans la quatrième de couverture. L’émotion se traduit aussi par la vibration des paroles prononcées.

    Hervé Martin