Cheyne Éditeur - Collections Grands Fonds
3ième édition - 3 ième trimestre 2007
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J’ai pris un vif plaisir à découvrir ce livre. L’envie de découvrir ces courts textes s’est accrue au fil de la lecture de ces pensées. Mais peut-être conviendrait-il mieux à leur propos de parler de réflexions, d’observations ou encore d’affirmations ? A vrai dire je suis bien ennuyé pour les nommer ! Écrit sur le mode de Je me souviens de Georges Perec et de I Remenber de Joe Brainard, le livre rassemble 469 très courts textes débutant par Je sais. Ces observations cognitives précieusement recensées sont rassemblées ici pour le grand plaisir du lecteur.
L’auteur qui écrit sous le pseudonyme de Ito Naga est astrophysicien. Derrière l’inventaire de ces micro événements de la vie, pointent l’acuité d’un regard et une méthode d’observation scientifique. Mais ici le regard scientifique se mue en une écriture claire et lisible pour tous, qui désigne et révèle les singularités de la vie. Sans doute est-il utile de rappeler que certains esprits passionnés par les sciences sont aussi parfois poètes tels Queneau, Vian, ou plus près de nous Jacques Roubaud. Probablement que l’interrogation systématique, ordonnée et rationnelle des mystères de l’univers, appliquée ici au quotidien des jours, n’est pas étrangère à la moisson poétique de ces énumérations cognitives. Souvent, elles nous rapprochent de l’auteur ou de nos semblables par le biais de situations similaires croisées au cours de notre propre existence. Et ces notes, en forme de relevés autobiographiques nous rencontrent en nous faisant sourire, s’esclaffer, s’étonner ou parfois rester grave.
Certaines nous renvoient à des croyances populaires :
Je sais qu’il m’arrive de passer sous une échelle. Juste pour voir.
Il y a celles qui nous amusent,
Je sais qu’en Inde, il n’y a pas d’insectes écrasés sur le pare-brise des voitures. Elles ne roulent pas assez vite.
; ou d’autres qui nous interrogent
Je sais qu’avant d’être le nom d’un pays, « Vietnam » est le nom d’une guerre, qu’avant d’être le nom d’une ville, « Hiroshima » est le nom de l’enfer.
;Quand quelques-unes nous déconcertent, nous laissant coi,
Je sais que dans un zoo anglais, un requin est mort paniqué par le plongeon d’un type dans son bassin.
Ou parfois grave, Je sais qu’on finit par se demander : « Ca sert à quoi d’être sensible ? »
On passe ainsi de l’étonnement à la gravité, du rire à l’introspection, du général au singulier quand de l’autre à soi nous faisons nôtre le révélé de ce que nous lisons. Ces notes recensent des observations du réel, jouent parfois de l’équivoque et nous touchent. L’auteur isole du quotidien ces courts instants précieux, qui parsèment l’existence en de petites touches. Le poète ici est celui qui écrit, pour révéler ce que chacun se souvient avoir vécu de façon semblable sans toutefois avoir pu l’extirper du brouhaha de ses jours. Le poète est dans ce regard porté dont l’acuité précise un écart de sens qui résonne en nous. Écart entre un sens usuel et celui d’une interprétation singulière ou insolite, qui crée en nous une hésitation suivie souvent d’une surprise.
Le livre d’Ito Naga nous fait du bien. On devrait en prescrire quotidiennement quelques observations piochées au fil des pages et ne jamais l’avoir très loin de soi pour lutter contre la morosité de certains jours en cas d’urgence.
HM
Cette note à paru dans le numéro 9 de la revue Ici é là.