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Un pré chemin vers - Yves di Manno

Éditions Flammarion

143 pages

Oct 2003

16 Euros

N° ISBN 2080684388

 

Bio-bibliographie de Yves di Manno

 

 

Ce livre témoigne en son cœur d’un événement – inouï . Une scène sous les yeux à jamais présente. À la fois ineffaçable et ineffable, mais que les poèmes dans leur quête tentent d’interroger.

L’ouvrage est formé de huit ensembles, dont trois sont composés d’un seul poème. À partir de « Au terme » titre du poème qui débute le livre jusqu’à celui qui l’achève « Au seuil », le lecteur traverse ce pré dans un voyage à rebours.

Dans le premier des ensembles « Définition », les poèmes nous entraînent dans ce qui semblerait être la vie d’une civilisation ancienne ou d’une communauté tribale. Un peuple de paysans subsistant des fruits de la terre. Nous pensons alors à la vie d‘aborigènes ou d’Indiens d’Amazonie. À moins que cette vie-là soit celle de lointains ancêtres. Nous découvrons ici, comme paisible, leurs occupations quotidiennes faites d’habitus et d’atavismes qui perpétuent la vie :

 

« parler ne sert à rien »

 

Dans ce lieu, on dort, on mange, on sème, on chasse, on pêche… : on s’active dans cette existence  rythmée par des rites ou des cérémonies profanes. Et la vie s’écoule, s’échappe des corps, mais qui en garde mémoire ?

« La pierre dressée sert de tombeau

certains gravèrent les dates

d’autres gravèrent le nom

mais l’histoire est figée

et nous les ignorons. »

 

C’est de mémoire dont il est question dans le livre. De la remémoration, et plus encore peut-être, d’une commémoration, nécessaire et précise :

« car l’oubli nous recouvre

et nous ne savons plus

quel est notre passé. ».

Après la lecture de ce premier ensemble, nous assistons à des scènes effroyables ! Les poèmes de « Biographie » évoquent des rites,

« éclate un œuf incolore

transparent

qu’un doigt étale sur leurs membres », ;

nous font témoins de cérémonies macabres et de tueries sanglantes.

« Ils couchent les premier cadavres

aux neuf antres obstrués »,

Sont-ce là les mœurs d’un autre temps que le nôtre ?

Des scènes d’orgies et de massacres insoutenables !­­­ – se succèdent ainsi dans un climat d’une bestialité crue. La barbarie nous est montrée ici sans retenue.Que s’est-il donc passé ? Quels souvenirs président aux poèmes de ce livre dont certaines images me sembleraient issues de cauchemars ? Sont-ils le fruit d‘une imagination ou le produit de faits réels ? Sont-ils nourris par des observations d’œuvres d’arts ou nés de la fréquentation de sites archéologiques ?

C’est un climat étrange et violent qui émane de ce livre qui suscite par ailleurs tant d’interrogations.

De quelles horreurs se voudrait-il témoin ? De celles que l’espèce humaine a commises contre les siens dans les camps d’exterminations nazis ou dans ceux du goulag ? Des atrocités du génocide cambodgien ou plus récemment des crimes commis contre les peuples des Balkans ? On pourrait rechercher des sources possibles encore longtemps tant les atrocités commises par le genre humain sont funestement nombreuses.

C’est de cette mémoire dont il est question. De la responsabilité qu’elle implique dans nos engagements présents. Responsabilité sur nos actes et sur nos engagements qu’il nous faut honorer pour demeurer fidélité à notre parole humaine. Et souvenons-nous que lorsque la barbarie et l’instinct dominent le comportement des hommes, la culture – fragile en nous – demeure l’ultime rempart pour les contenir encore.

La poésie répond au besoin de mémoire, dont il est rappelé dans ce livre l’impérieuse nécessité. Celle de Yves di Mano est ici énumérative. Des observations sont rapportées. Des scènes sont minutieusement relatées. Des descriptions établies comme le ferait un ethnologue ou un archéologue, en scribe soucieux d’être précis et juste. Le poète évite ainsi avec le plus grand soin, dans une rigueur toute scientifique – l’interprétation –, toujours soumise aux limites de nos connaissances et à l’irrationnel de nos affects. Pour cela Yves di Manno écrit :

 « Il est grand temps de naître

et de nommer

le mot, l’objet

correctement ».

Il souligne ainsi l’importance primordiale des mots, leur précisons nécessaires, pour la pérennité de ce qui fut, – sera – notre passé.

Les mots du chanteur – le Poète –, peuvent préserver, avec cette volonté qui revendique justesse et justice, notre patrimoine de mémoire. Le Poète alors, dans l’exercice des responsabilités qui lui incombent peut œuvrer par une écriture fidèle, à la transmission d’une parole détachée de tout affect.

En adéquation avec ce principe, la poésie de Yves di Manno est précise, concrète, expurgée de l’engouement lyrique pouvant brouiller le sens intrinsèque des signes écrits. Elle n’en garde pas moins une large place à la beauté des vers, dont de nombreux alexandrins entiers ou coupés irrégulièrement sur la page, qui retrouvent en nos bouches la dimension de la voix.

« Une femme accroupie colorie une assiette

des jeunes gens ramènent

des brassées d’herbe sèche. »

Que s’est-il donc passé ? Quel inouï événement est au cœur de ce livre ? Cela demeure imprécis et flou. Mais la lecture du livre laisse en nous le spectre trouble d’une inquiétante et imminente menace.

 

 

Hervé Martin

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