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  • Haro sur la bête

    Louis Savary

    Gravures et dessins de Baudhuin Simon

    Editions de l'Ane qui Butine, Mouscron Belgique

     

     

     

     

    Le poète Savary n’est pas forcément un sage. Et c'est tant mieux. Il rappelle qu'en nous les loups hurlent et que le porc n'est pas toujours épique. La maïeutique du poète représente un va et vient entre l'homme et ses bêtes intérieures. En soi(e) le ver est donc profond. Et les perroquets qui disent « merde » en nous ne sont pas les seuls à  trouver ça drôle.

    Savary prouve que l’hygiène la plus intime est celle de l’esprit. Il rappelle que l'odeur de l'homme peut-être un parfum de brebis ou de cochon qui sans dés dit. Et si le lièvre de la fable sait que La Fontaine est un menteur, les cochons de Savary savent que ce dernier dit la vérité. Le Wallon sait en effet que l’homme chercheur de truffes s’accommode d’une laie. Et les deux pensent qu'ils ont bien du mérite.

    Partant de sa propre expérience, car une poésie bien ordonnée commence par soi-même, Savary ne nous caresse pas dans le sens du poil. La vache en lui comme en nous ne rêve pas forcément de l’Inde. Et il comprend qu'il n'y a pas que les souris alcooliques pour aimer le Chablis. Il sait aussi que si l'homme a la langue pendante c'est parce qu'en lui il y a un chien voûté et que l’éléphant qui nous habite vit dans la hantise d’être trompé.

    Face aux philosophes à qui il faut toujours un mitigeur de morale Savary  fait passer du fleuve du songe aux affluents du réel. C'est pourquoi il laisse parler la bête en nous. Celle dont l’excitation du gland plus que son calibre fait de l’amoureux transi un éjaculateur précoce. Son rat d'eau méduse et on découvre  en lui le manteau de vision.  

    Grâce au poète on comprend que même un dompteur de panthères peut mourir d’amour. Une charmeuse de serpent aussi. Mais ce n'est pas parce qu'elle dort en chien de fusil qu'elle doit nécessairement épouser un chasseur. On peut estimer enfin que lorsque le canard rit jaune  trop de raies alitées font des succès damnés. Savary nous laisse ainsi avec les bêtes en soi. A nous de faire avec. Et en avant ! doute !

                 

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  • Perméables

    Ilarie Voronca

     

     

     

    Éditions Le Trident Neuf, Toulouse

     

    13 €

     

     

     

     

     

    Voronca a enfermé sa vie dans ses livres comme un commentaire, comme les traces d’un autre. Ses hallucinations étaient la terre de sa création. Mais celui qui voulait bâtir un autre ciel de chair s‘est enfermé dans lui-même. Comme beaucoup d’écrivains roumains de son époque il s’était lancé dans l'aventure du modernisme. Rappelons qu’en 1924, alors que paraît en France le "Manifeste du surréalisme", Tzara fonde avec Ilarie Voronca la revue "75 HP" qui réunit dans ses pages "l'avant-garde de Roumanie" et perpétue l'esprit dadaïste. Avec Victor Brauner, Benjamin Fondane, Jacques Hérold, Claude Sernet, Tzara, Paul Celan, Brancusi, Eugène Ionesco, Eliade, Emil Cioran, Gherasim Luca, Panait Istrati, Anna de Noailles (née Brancovan) il est donc un des messagers des mots et des images.

     

     

    À travers l’expérience existentielle et poétique l'immense poète roumain qui écrivait en français, n’a cesse de parler d’un creusement de l’humain. Son œuvre est une expérience spirituelle et physique où le corps et l’esprit, liés, se confrontent à un infini et font face à leur propre finitude au sein d’une proclamation d’espoir dont « Perméables » témoigne mais dont sa vie témoigne moins. En un soir d’avril 1946 il rentre chez lui, s’enferme dans sa cuisine, en calfeutre porte et fenêtre. Il avale tout un tube de somnifères, arrache le tuyau de gaz. Sans laisser un mot derrière celui ce "frère des bêtes et des choses, des livres et des villes, de l'espoir et du malheur" se donne à 43 ans la mort. Être dans son corps réel ne lui suffisait plus. Il lui fallait non seulement briser la solitude, célébrer par son acte « la fin du règne de la soif » mais signer le fait de n'avoir en fait "qu'entrer dans la vie d'un autre" et non dans la sienne. Il laisse ainsi derrière lui une suite de chants inachevés preuve comme il l’écrivait à la fin de « Perméables » que « nous ressemblons à un gant retourné ou à une terre perméable qui, dans un circuit sans fin, est en même temps la terre traversée et la terre qui traverse ».

     

    Son écriture reste un milieu physique presque inhabitable. Le poète y éprouve concrètement l’expérience de la finitude, de la fragilité, du constat de la dissolution du corps. Il révèle en même temps que cette dissolution du corps est une opération de creusement et d’incandescence par quoi, dans l’épreuve de la solitude, nous nous débarrassons progressivement de ce qui nous encombre et fait se lever un appel dévorant. Le chaos se retourne sur lui-même, la lumière se concentre. Elle efface les ombres du moins un temps par la voix du poète. Du chaos aux échos, il y a dans le retournement langagier. Il devient le signalement du retournement opéré, à travers le langage, dans la conscience de celui qui parle.

     

    Voronca fait émerger un espace de l’indifférencié, de la privation portée à son comble et qui, par là même, fait surgir le noyau de l’infracassable. L’écriture du poète est toujours dense. Son économie verbale témoigne du creusement de l’Être qui culmine, éblouit, conjure et à la fois purifie et absorbe la vision du monde. Voronca n‘hésite pas quand il le faut à ajouter du privatif au privatif en un processus paradoxal dont témoignent les mystiques pour mettre à jour l’état de manque. Dans « Perméables » cependant la ligne ne se brise pas mais il est possible que l’ensemble tend à s’annuler prodigieusement en une géométrie de l’air et de l’espace.

     

    Le lecteur avance jusqu’à ce qu’il rencontre la nuit mais pour percevoir la lumière qui l’annule d’un seul regard, d’une visée. De ce corps à corps avec soi-même et par l’expérience concrète du poème l’auteur mesure chaque arpent de notre non-lieu par le sien jusqu’à s’abolir lui-même. Le texte devient lieu d’acquiescement et lieu habitable. Habitable dans la fragilité, la métamorphose et l’éphémère sont assumés avec une maturité absolue d’expression. Comme dans une œuvre abstraite, mais aussi profondément phénoménologique, le discours poétique s’articule de manière oxymorique. Les couleurs blanc et noir, la parole et le silence, la nuit et le jour, la vision et la cécité, les voyelles et les consonnes, la ligne d’horizon et le cercle, l’œil et la bouche, le stable et l’instable, la présence et la perte se déclinent en images et figures complémentaires d’une recherche du sens.

     

    L'écriture de Voronca traduit la position ontologique post-moderne. Il faudra bien sortir du « je », du jeu des apparences à travers une scrutation quasi hallucinatoire de ses composantes, pour déboucher sur la seule position qui vaille : celle de l’errant, d’un marcheur, poreux et perméable à un univers de signes en constante mutation. Mais la parole du poète roumain reste aussi une approche kaléidoscopique d’un réel aux multiples potentialités. Elle entre dans l’abîme de la porte, dans les profils pleins, les profils creux, les profils tombés dans l’espace éclaté de toutes les portes. Face à une réalité (le jour, le paysage, la chambre, les murs, la claustration) qui s’avère inquiétante, étouffante, le poète aura écouté la nuit monter comme il aura entendu sourdre le rêve comme les gouttes de solitude dans la chair des vivants.

     

     

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  • Preuves de la vie même

    Pierre Schroven

     

    L’arbre à paroles, Amay

    72 pages

    12 €

     

    Pierre Schroven : l’enfant d’eau

     

     

    Pierre Schroven jette toujours un regard nouveau non sur, mais par la poésie. Grâce à une technique de plus en plus maîtrisée il présente d’une manière aussi simple que complexe ses preuves de vie. À ce titre sa poésie est philosophique mais dans le bon sens du terme. À savoir qu’elle est au service de la pensée et non l’inverse. À titre d’exemple un passage peut suffire à comprendre cette propension essentielle :

     

    « Sur une immensité d’eau

    Parsemées d’îles rocheuses

    Les poissons bondissent

    Change d’apparence chaque fois que je respire

    Et quand surgit la lune

    Visage balayé par des rafales de vent

    Je jette mes filets dans les flots d’une question qui résonne sans réponse

    Comme la voix d’un fantôme contemplant dans la mer l’évaporation lente de son ombre »

     

    On voit comment l’écriture poétique infiltre la pensée. Elle le propose - comme elle le crée pour la terre - de « la faire pencher du côté dont on ne peut rien savoir ». C’est pourquoi tout l’univers de Pierre Schroven est maritime. Le poète devient l’enfant d’eau. Pas n’importe laquelle : celle des plages où le monde entre en déséquilibre mais aussi en une forme de transparence implicite. Cette zone de frontière témoigne autant du fond, du dépôt que de l’irruption. Elle est le lieu, comme la poésie, où peut affleurer ce qui était jusque-là caché entre abysses et origine.

     

     

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