Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L'IVRESSE DES RIMES - LAURENT BOURDELAS

L’ivresse des rimes – des poètes et du vin ,

Laurent Bourdelas

Stock,

Paris, 160 p

14 euros

 

 

Les mots qui ne meurent pas ignorent

l’éternelle agonie de leurs auteurs

 

 

Avant que la mort ne le fasse taire le poète a besoin parfois du vin pour l’aider à cuver son murmure. Plaisir ou une contrainte ? Les deux peut-être. D’une ivresse à l’autre il n’y a qu’un pas. Du moins pour certains poètes. Et pas des moindres. Bourdelas en offre des portraits aussi prenants que significatifs. Les romantiques sont présents ayant largement ouvert la voie. Lamartine, Vigny (poètes producteurs autant que consommateurs), mais aussi Gautier, Musset, Hugo. Suivent les poètes maudits de Nerval à Baudelaire, de Mallarmé à Rimbaud. Pour finir : des personnalités plus intempestives tels que celles de Gaston Couté, Cendras, Laforgue, Jammes. Mais le cercle n’est pas clos.

Certes on pourrait regretter que Bourdelas se soit arrêté en si bon chemin et qu’il ne soit pas allé à proximité de nos contemporains. Il est vrai que cela eût été très délicat. Plus que jamais, dans notre époque de repli moral, boire est un vice. Et après le regretté Yves Martin qui fit « bouillir son vin » il n’y eut plus de voix pour oser faire l’éloge de la dive bouteille et revendiquer ses plaisirs délétères. On exceptera quelques (rares) poètes belges, fameux irréguliers de la langue. Ils sont vivants (et en bonne santé) : on taira leur nom.

Cela n’est que détail. Reste l’essentiel : au-delà de ses anecdotes qui en font un des piments de choix, le livre de Bourdelas est un texte majeur. D’abord par son ton : ni convenu, ni racoleur. Toujours clair il prouve, contrairement à l’idée désormais reçue, que le vin n’est pas à considérer uniquement d’un côté négatif. Il peut même forcer un certain héroïsme et enlève le découragement à des créateurs. Sans faire l’apologie du vice Bourdelas prouve que le vin ouvre à un monde poétique et à une famille humaine peuplée de perdants magnifiques. Cela n’est pas propre à la France : aux USA comme en Russie le vin n’est pas seulement la piètre consolation des artistes. Ils y vident leur art et leur vie.. « Tout est dans le vin et tout est dans la poésie » écrit Bourdelas. Et de préciser : « l’inspiration, la magie et le mythe, la pensée et la connaissance, la douleur et la consolation, le plaisir, le souvenir et l’oubli, le rêve, la révélation de l’inconscient ». Le problème est que l’usage échappe souvent aux sacrificateurs et qu’il n’existe pas de bonne règle en la matière.

Les paradis du vin valent en effet ce que valent les autres paradis artificiels. Tout dépend d’ailleurs moins le vin que ses consommateurs. Pour certain la puissance créatrice du vin reste des plus improbable. D’autres y trouvent un divertissement ou l’oubli mais certains y cherchent et y côtoient de plus près la vérité. On retombe ainsi sur la fameuse problématique de Michaux dans « Façons d’éveillés, façons d’endormis ». Mais pour aborder l’histoire des paradis artificiels il faut évacuer d’une par la question morale et de l’autre les idées toutes faites. On peut même penser qu'au-delà d'un certain seuil le vin comme la poésie ne se domine pas. « Enfer ou ciel qu’importe » disait Baudelaire connaisseur en les deux ivresses. Mais c’est là que les lignes se mettent à bouger. Avec le risque que cela suppose.

Prison ou libération ? La question reste beaucoup plus complexe d’autant que le « bon usage » du vin est comme celui de la grammaire selon Grévisse : il y a des règles mais à chacun d’elle des contre-exemples viennent s’inscrire superbement en faux. Reprocher au vin que ses effets pratiques sont différents des intentions du poète n’aurait aucun sens. L’alcool a ses raisons que la poésie n’ignore pas forcément. Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé sont là pour le prouver.

Bourdelas  fait preuve dans une thématique qui pourrait facilement pousser vers l’excès à une componction remarquable. Il montre comment chez les créateurs le vin peut jouer le rôle  d’antidépresseur et aussi de flamme. Contre les dures lois de l’existence des poètes y ont basculé parfois (rarement...) avec délicatesse. D’autres y sont allés comme à l’encontre de leur envie et presque à leur corps défendant. Mais si morale il y a dans un tel ouvrage on pourrait la résumer ainsi : comme toute flamme celle de l’alcool est belle à regarder. Elle brûle quand on s’en saisit. Le verre certes est d’abord suspendu dans l’air avant de tomber par terre et se casser. C’est parfois le prix à payer pour qu’une voix se fasse entendre et arrive qu’une œuvre se crée. Certaines zones de la réalité comme de la poésie ne peuvent être atteintes que par le dérèglement de l’esprit. C’est pourquoi il peut exister entre le vin et la poésie une sorte d’alliance. Elle peut faire des livres de vin des livres divins. Quant à l’existence de leur créateur c’est une autre affaire.

 

JPGP.

 

 

Les commentaires sont fermés.