Le geste ordinaire
Maxime Coton
Laurence Léonard
Esperluète éditions
Ce livre qui a reçu le prix Poésyvelines 2011 est un bel hommage à la figure du père. Des encres de Laurence Léonard accompagnent les poèmes en évoquant des constructions d’usines, des structures imbriquées, des bâtiments industriels désaffectés… où parfois l’œil croit déceler les corps contraints des ouvriers d’usines. Le livre tente de resserrer ces liens qui existent, souvent dans le silence, entre un père et un fils. Tout en soulignant la condition d’ouvrier du père, le livre met en relief les divergences qui semblent exister entre le fils et ce dernier, puis entre le poète et l’ouvrier. Tout au long du livre une révolte sourd, notamment lorsque le poète s’érige contre ce qui serait la soumission du père à son travail dans sa volonté d’accepter sa propre condition. Mais en filigrane, dans la succession des poèmes, une reconnaissance prend corps envers ce père qui travaille avec la seule force de son corps. Maxime Coton tente alors de mettre en exergue la dimension humaine de ce père sans voix. À travers la lecture de ces poèmes d’hommage au père, rendu avec pudeur et vérité, c’est aussi un paradoxal dilemme qui apparaît à l’auteur. « Tout est simple, dans l’ordre /Je ne peux acheter ta soumission / Je t’admire et te méprise ». C’est ce paradoxe que Maxime Cotton essaie de résoudre. Le travailleur manuel semble réhabilité au fil des pages sous le regard du fils qui « …comprend cela et bien d’autres choses / parce que je sais lire et écrire ». Le poète écrit alors dans l’ombre du père dans un geste complémentaire à celui-ci – un geste ordinaire ? et dans la volonté probable de faire – équipe comme à l’usine, réduisant ainsi l’écart qui sépare le fils du père, le jeune de l’ancien, le travailleur intellectuel de l’ouvrier. Rejoindre le père, dans ce regard partagé, peut-être même au milieu du poème, avec ces vers organisés et rythmés comme le travail manuel peut l’être. « Tu travailles / Je te regarde travailler / C’est mon travail, mon regard / Mes questions n’ont pas de valeur marchande./ Et pourtant, je les mets en forme. À partir de / tes gestes, je les assemble./ Ce n’est pas de mes mains que je vis. Ce sont / de tes mains, que je vois, célèbre et dessine. » Avec la figure du père, en arrière-plan, le travail est revisité pour en faire jaillir des lumières oubliées, sombres et souvent tues. Sans doute faudrait-il que nombre de poètes chantent les louanges des travailleurs manuels, en leur donnant de la voix, pour qu’apparaisse au monde l’intelligence de leurs gestes qui bâtissent le monde. Leur langage est celui des leurs mains habiles, expertes dans le mouvement des phalanges et des doigts. Nul ne le sait que celui qui l’expérimente. Avec ces poèmes, comme un pont lancé entre deux êtres, Maxime Coton tente de comprendre ce père dans son langage de taiseux. C’est un beau livre où à presque chaque poème un vers nous trouble. Le poète et l’ouvrier s’opposent dans la différence de leurs langages cependant que le père et le fils se rejoignent sous le regard du lecteur. Un beau livre « …Comme si j’écrivais sur toi / Pour à mon tour te mettre au monde »
HM