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  • Autoportrait au soleil couchant ---- de Gérard Noiret

    Autoportrait au soleil couchant

    Gérard Noiret

    Éditions Obsidiane

    Septembre 2011

     

    Sans doute le lecteur sera-t-il surpris en lisant ce livre singulier, qui vient de recevoir le prix Max Jacob 2012, comme je l’ai été moi-même lors de sa découverte. Organisé autour d’un quatuor, au sens d’une formation de musique de chambre ce livre, signé Gérard Noiret, rassemble dans ses pages un éditeur, Christian Lachaud et les trois poètes, Guy Châtealain, Viviane Ledéra et Pierre Du Pontel. On aura beau utiliser les meilleurs moteurs de recherche d’Internet, on ne retrouvera aucun des noms des poètes ni celui de l’éditeur.

    « Il faut être capable d’entrer dans l’intériorité d’esthétiques contradictoires » cette affirmation que l’on lit dans le texte préliminaire de Christian Lachaud est peut-être une clef pour entrer dans le livre. Comme peut l’être dans un autre registre la manière d’entendre « même – nom » dans la collection intitulée Colosses de Memnon évoquée pour ce livre écrit par le seul Gérard Noiret. Et pour qui a lu, disséminés dans des revues ou dans les pages de sites internet, les textes de Gérard Noiret sur l’écriture (Incendit, La Quinzaine Littéraire, Remue Net…), ce premier texte nous indique des pistes de lecture qui s’appuient sur cette opinion de l’éditeur Christian Lachaud : « A mon sens, un poème est la cristallisation d’une sorte de produits de facteurs, au nombre indéterminé, à la définition instable, où les composants ne multiplient pas forcément d’une manière identique, mais d’un produit de facteurs quand même. Sans forcer je peux risquer cette formule : poème = ( langage) (histoire poétique) (imaginaire) (monde) (pensée) (projet)… »  Lisant la suite on retrouvera en filigrane, une conception sur l’écriture et sur la poésie propre à Gérard Noiret. Il faut ici rappeler que Gérard Noiret dirigea la collection de poésie Ipomée aujourd’hui distribuée par Le Temps des Cerises qui rassembla autour de quelques titres, des poètes restés importants.

     

    Trois poètes hétéronymes, dans des registres différents si ce n’est opposés par leur nature, nous sont proposés en lecture.  Guy Chatelain  de religion catholique tente de rendre la plainte possible et réfute la mise en voix des poèmes. Pessimiste et sombre, le chant de plainte de Guy Chatealain, perce dans des distiques et la rectitude qu’ils tracent sur la page « quelque chose est en route qui brandira mon scalp ». Un langage qui ne laisse poindre que des sentiments contenus, portés par des métaphores désincarnées, éthérées ou surréalistes « la ville se fait couler un bain ».  Seuls ici les objets semblent dotés de vie. Un dialogue intérieur tourné vers soi et où parfois l’autre perce dans un tu  ou un tes esquissés. Une poésie où l’autre à du mal à prendre corps. Un poème apporte pourtant une lueur d’espérance, comme une tentative d’approcher  – enfin ! –   le désir de vivre et qui commence ainsi : « Avec son bleu pâle et ses images / le ciel est une lettre d’amour ». Cette poésie à la maîtrise émotionnelle s’oppose à celles de Viviane Lédéra et de Pierre Dupontel, l’une avec une attention vive à l’humain et le second, avec une exaltation dévorante, dont la poésie épique et enflammée de désirs flamboyants emporte dans tout sur son passage avec ses crimes, ses rêves de grandeurs et de conquêtes. « Plus dévorante que la jalousie Fugace que l’espoir/ Subtile que le désir / La Gloire».  La poésie de Viviane Ledéra me touche plus,  avec ses portraits de femmes, souvent,  comme des instantanés pris sur  vif du quotidien. De très beaux poèmes aux expressions sensibles et compassionnelles, suffisamment retenues pour que soit partagé par le lecteur  le ferment d’humanité qui s’en échappe et qui relie les êtres. « Ils ont déposé leurs gestes / au milieu de la clairière,/ échangeant le soleil contre leurs prénoms,Puis ils sont allés / les yeux dans les yeux du ciel/… » On retrouvera ici  la façon de Gérard Noiret. C’est assurément l’hétéronyme dont la poésie est la plus proche de la sienne.

     

    Quant à la forme de l’écriture, celle des poèmes, on en reconnaîtra  trois utilisées généralement par Gérard Noiret. L’emploi de distiques dans les poèmes de Guy Chatelain, la forme polyphonique de Pierre Du Pontel et enfin les poèmes courts de Viviane Ledéra, comme de courtes  scènes portant parfois des noms mythiques, comme Gérard Noiret aime les titrer, Pénélope, Icare, Eurydice…. Ces trois formes d’écriture utilisées indifféremment dans ses livres y sont disséminées en une mosaïque. Chaque forme d’écriture pourrait être considérée comme un motif. Dans autoportrait pour un soleil couchant chacune est employée par un des hétéronymes, représentant un aspect, un état d’écriture du poète Gérard Noiret. Ainsi réunies – séparées ? – c’est l’entité cohérente représentée par un hétéronyme qu’il est proposé de découvrir. On peut penser que ces écritures, que Gérard Noiret a circonscrites, sont celles élaborées dans un état particulier ou une circonstance singulière dont il situe exactement les moments, les raisons ou les motivations. Sinon une multiplicité d’états de conscience, au moins trois pour ce livre que l’on pense intrinsèques à l’auteur, si récurrents, qu’il éprouve le besoin de créer des hétéronymes. Des écritures suscitées par les  différentes facettes du poète ou dans des temps différents et qui  surgissent à l’occasion de tels faits ou de telle réminiscence issue de l’histoire personnelle, de l’imaginaire ou de considérations sensibles face au  monde. Un langage apparaît, que les poèmes dans leurs formes et leurs rythmiques désignent alors. C’est ainsi que Gérard Noiret rejoint dans les faits, la  condition énoncée par Christian Lachaud « d’être capable d’entrer dans l’intériorité d’esthétiques contradictoires ». La boucle paraît se refermer.

    Avec ces écritures, rattachées à des poètes hétéronymes plausibles, Gérard Noiret donne de la consistance à sa vision sur l’écriture. Il n’énonce pas seulement mais met en œuvre. Avec des poèmes maîtrisés et liés à des univers différents, c’est aussi la forme qui rythme et fonde l’écriture poétique. La question de la nature de la poésie est revisitée. D’où émane-t-elle ? Demeurons-nous le même au cours d’une vie ou passons-nous par étapes des frontières en nous-mêmes ?  Quel homme, quel poète demeure sous sa propre nature ? C’est peut-être ces questions que Gérard Noiret à tenter de poser en présentant sous son nom, trois poètes, trois pseudonymes sous lesquels il a reconnu en lui-même une part de sa vérité d’homme.

     

    HM

  • Gelsomina (diptyque) de Cécile Odartchenko

    Propos2 Éditions,

    Manosque, 2012,

    169 pages, 15 euros.

     

    Depuis la petite enfance Cécile Odartchenko est fascinée par l’homme et son « mat ». Sans exhibitionnisme mais sans fausse pudeur et dans une poésie du quotidien elle le dit sous couvert de la Giulietta Massima de La Strada de Fellini mais aussi d’autres images de légendes tirées (entre autres) d’André Roublev, de Dovjenko. L’amour chez elle ose donc le sexe, il est le monde diurne, épousé, accepté dans ses profondeurs et par-delà les lèvres des deuils et abandons.

    Comme tout être la poétesse y perd tout repère : il fait d’elle une égarée. Elle l'accepte. Elle accepte l’ombre qui la brûle car dit-elle "l'intimité sexuelle est une vraie intimité et donne des droits à l'homme et à la femme aussi à parts égales (…)  Celui qui pour des raisons de confort et de lâcheté, ignore ces raisons du corps, va en être émasculé à court ou à long terme… Il se refuse à jouer le jeu, et le jeu est cruel". Il sera temps plus tard de contempler le trou qu'il laisse et de manger son poing sur l'étale du jour. Reste un magma de sang au goût de pierre, un tremblement figé en bordure des mots. Mais il faut reprendre. L'entente naît d'un présent toujours entier. La nuit n'est plus ce désir lancé vers l'autre mais l'oubli. Pour recommencer et afin que le cœur batte encore la campagne.

    Mais c'est aussi tout sauf un jeu quand ce n'est pas seulement un truc qui coulisse dans le machin mais qu'une partition s'engage et engage pleinement ceux qui l'exécutant se mettent au monde. Jamais recluse dans la froideur « Gelsomina » toujours proche de l'irrécupérable garde sa force pour ce "leurre" amoureux qu'il ne faut effacer. Elle sait que parfois on s'en remet mal, qu’il faut – par exemple - "se demander comment mettre un pied devant l'autre pendant deux ans, après avoir quitté le père de mes enfants, le fusil dans le ventre, ça dit tout". Pour autant par-delà des maltraitances encore plus primitives (celle de sa mère) l’artiste et poétesse dressent encore tes tables, tes coupes de fruits exotiques. Des bouquets de fleurs. Ils ne sécheront pas.

    JPGP