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CONSOLATIO - YVES BOUDIER

CONSOLATIO

d’Yves Boudier

Édition Argol

Janvier 2012

 

C’est par une citation de Sénèque extrait de Consolation à Marcia que s’ouvre ce livre dense qui porte une interrogation première. Après Là  (2003) Fins (2005) et Vanités carré misère (2009), le thème de la mort est à nouveau exploré par Yves Boudier, ici dans la tradition de la consolation. C’est bien sûr le poème d’abord qu’il faut interroger, lire et ressentir  pour envisager ce face à face qu’Yves Boudier, en explorateur solitaire des rives accidentées de la mort, entreprend dans l’édification de son œuvre. Une postface de Martin Rueff remarquablement détaillée questionne Consolatio au regard de l’œuvre poétique d’Yves Boudier et d’un corpus de textes anciens ou contemporains – poétiques ou philosophiques - qui furent écrits autour du thème de la mort.

Dès les premiers poèmes des questions émergent sous l’auspice de Janus  et des passages,  avec cette description d’entrée dans le sommeil lorsque la conscience cède à la nuit. « Je ferme les yeux / cède /au cœur vigile ». C’est ce passage de l’éveil au sommeil qui rappelle la question obsédante, de mémoire douloureuse, cette lisière franchie à la mort venue par ceux, ces «  Noms (si) lourds », et hautes figures tutélaires  «  devant l’enfance », qui furent chair de chers. Alors, tout au bord du sommeil la mémoire semble rappeler et raviver la douleur de la perte des êtres aimés, tout en soulignant la fragilité et la fugacité de la vie. « ça / mord dans la tête / opacité / ce bruit de cœur ». On croirait alors que le poète traque ce moment de passage où la conscience s’apaise, s’amenuise et se retire. Des passages à double sens  lorsque l’on revient de ce lieu  d’a-conscience  et que l’éveil survient  «  le bleu / cicatrise la nuit ».  « …l’insomnie / (elle) / arrache le temps passé / à être mort » Avec ses passages d’un état à un autre Yves Boudier apparente le sommeil à l’état de mort « où les  batailles se livrent » mais sans l’agonie, au-delà de laquelle tout retour reste impossible « La mort s’accouple / au jour / (elle) / feint d’être nuit / sa méthode : son legs »

C’est de ce monde du sommeil et de l’a-conscience que perce l’angoisse première, à laquelle il faut pourtant s’habituer, quand « lève la plainte / létale »   et qu’il faut participer à «  L’épreuve du vertige / vivre / « contre la mort militante » /…/ « pour instituer l’idée ». Entre les poèmes parfois, des pages blanches s’intercalent et paraissent préciser les états de cette simili mort où seuls les rêves président à construire des mondes d’images aux sens multiples.

C’est par un dialogue intérieur régulier et en questionnant les mots « (la valeur éponyme) » que le  poète se livre à des «  travaux d’aveugle » pour contrer « les peurs / ventrales » et éloigner ce moment où «  se creuse/ la / défaite ».

La forme aussi, dans le visuel qu’elle propose au regard et dans la symbolique du motif de la ligne, de la marge,  de la frontière…participe également au signifié du livre. Cette forme qu’Yves Boudier  donne  à la disposition de ses  vers faisant apparaître  une limite immatérielle qui divise la page en deux parties. Cette disposition fait songer à une scission - à une ligne de passage ? -, comme une cicatrice ancienne  – première ? -  que le temps aurait laissée (in)visible chez l’auteur et qu’un poème débuté par ce vers, « Autant de peine / à parler / à (me) / taire… » ne (dé)voile qu’à peine dans cette ligne frontière. Ligne de frontière, zone de clair-obscur, comme un entre-deux, un passage universel  d’un état à un autre, du jour à la nuit, du sommeil au réveil ou encore, de la vie à la mort. Tout semble ici signifier, de part et d’autre de cette marge centrale, où le poème appuie la certitude que le corps seul sait tangible. Cependant, avec de rares vers coupant la frontière de cette marge, l’espérance pointe ici. Elle tente des incursions dans l’autre monde du sommeil, traversant la frontière de l’(a)conscience  pour essayer d’identifier la nature de la mort  « les tremblements se rapprochent / le centre s’échappe fait retour ».  Le  livre est le lieu où le poème inscrit ce qui borne toute vie, avec en désir cette espérance humaine de repousser les frontières de la mort « le bandeau d’Orphée dans les mains d’Eurydice… ».  Ce qui est visible ici c’est ce funeste présage – comme seul avenir sûr – qui attend et qui veille. Longtemps  j’ai pensé que mes congénères se partageaient en deux familles, ceux qui vivaient en s’oubliant mortels et ceux que la mort hantait. C’est peut-être alors à dessein que des fragments de textes  – cités en italique -  sont parsemés dans les poèmes et que les noms de leurs auteurs sont rassemblés à la fin du livre comme en une communauté de pensée qui poserait  la question : « comment parler de la mort ? ». Ce lieu espace dont on ne peut que dire, toutes acceptions comprises : « (il n’y a rien à voir) » et finalement «  ce n’est rien ».

HM

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