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  • Une beauté plus sourde - Andoche Praudel

    Une beauté plus sourde

    Andoche Praudel,

    coll. Trait Court, Passage d'Encres

    16 pages,

    Romainville.

     

    Le paysage est parfois plus nocturne que la nuit elle-même. Comment trouver le passage ? C'est ce que Praudel, céramiste, photographe et peintre propose en, laissant émerger des surfaces cadastrales tout un substrat agricole et guerrier qui a constitué toute l'histoire du paysage et de l'humanité agissante sous deux axes : la construction et la destruction. Le cru et le cuit aussi.

     

    L'artiste nous plonge  dans la terre et ses strates pour envisager un futur sans terre mais qu'on tente d'apaiser sous couvert d'écologie. Pour autant Praudel ne tombe ni dans le messianisme catastrophique ni dans la leçon de morale. Son poème est un livre d'artiste. Il n'est qu'évocation et non invocation. La vie est devant la porte. L'être est en face d’elle. Le rapport et leur rapport sont mutuels, riche de tout un passé. Avec un volcan dans la tête l'artiste y brasse des limons et des cendres.

     

    Praudel met sous nos yeux le règne élémentaire. Nous y marcherons peut-être bientôt sans appui et nous risquons donc la chute en croyant nous libérer  de nos chaînes. De fait en croyant entrer en aventure nous pénétrons en ignorance.  Le matin continuera à peut-être à verser une soif latente mais nous ne serons peut-être plus les amants du jour. Nous serons alors sans consolation en ayant cassé la communauté et l'union majeure qui nous lie à la terre. Notre rapport risque de devenir sans rapport il n'appartiendra plus à  l’incommensurable. Il n'y aura plus, et c'est bien regrettable à se poser la question de la sincérité, de la fidélité. Notre accord ne sera que de l’ordre de l’infini abandon.

     

    L'artiste mais aussi poète désigne, dénonce  la limite d’une pensée qui se rompt. Toute l'histoire est là. Dans les plis du paysage,  les histoires de solitude et  de foules traversées. De villes où les mots furent inutiles. Une histoire de visage, de jardin, de ciel. Attendre est inutile. Tout arrive.  Mais l'auteur nous demande implicitement de faire encore un pas vers l'horizon.  S'y cache des voies, des sentiers comme si d'une haie de ronce qui pliait sous le vent surgissait des clartés diffuses dans les brumes. Un pivert attentif cherche en voyeur notre existence. Il ne faut pas lui  faire peur.

    JPGP

     

     

  • CHEMIN QUI ME SUIT de Jean-François MATHÉ

    chemin qui me suit JF Mathé2.jpgCHEMIN QUI ME SUIT

    Jean-François MATHÉ

    EDITEUR : ROUGERIE

    ISBN :978-2-85668-169-5

    ANNÉE :Décembre 2011

    PAGES : 112

    Prix : 14 €

     

    Jean-François Mathé est l’auteur d’une œuvre poétique éditée principalement aux éditions Rougerie. Une quinzaine de livres parus entre 1971 et 2011 dont certains furent primés. Contractions supplémentaires du cœur reçu le Prix Antonin Artaud en 1988 et le Prix Kowalski  fut attribué à Le Ciel passant en 2002.

    Ce livre Chemin qui me suit  rassemble le recueil éponyme inédit et des Poèmes choisis  dans cinq précédents  livres parus entre 1987 et 2007. L’auteur a souhaité par « souci d’unité » rassembler des extraits de ces livres qui  marquent de pour lui la maturité de sa poésie.

    Assurément, par l’expression d’une voix intérieure pressante, c’est un langage propre au poète qui se dégage de la lecture de ce livre. Les mots dans l’agencement de la langue, proses ou vers, suscitent en moi  comme une urgence à la lecture des poèmes. Peut-être l’urgence du temps qui passe que l’on ressent ?  Proses, vers libres ou versifiés  Jean-François Mathé utilise diverses formes de l’écriture pour servir sa poésie. Même si comme à mon habitude les poèmes en vers me laissent toujours sur l’impression que la sonorité recherchée subtilise au  poème l'invention, le singulier, l’éclat d’une émotion…Il est  de nombreux vers ici qui me démentiront, Nous avançons sans rien défaire/ de la jeunesse que nous eûmes/mêmes désirs malgré la brume/ qui nous dérobe des lumières. P 37.

    L’amoindrissement des lumières et de ses horizons, voilà sans doute la matière de ce livre.  Tout semble écrit et rassemblés dans ces pages par une volonté de remémoration. Mémoire de ce chemin que l’on trace et qui perdure dans sa quête et ses doutes, avec ces averses de mots qui reflètent une réalité sentie au cœur de la chair. Toute une vie dans une mémoire en équilibre. Équilibre du cœur, d’où jaillissent les mots avec leurs traînes, de souvenirs, de rêves anciens, de nostalgie de tout ce qui fut fêté « vivant ! ». personne d’autre que toi ne porte la lourde étoffe du deuil p47.  Le livre conserve ces sentiments de vie dans les poèmes, que nul temps n’abolira.

    Dans le livre on perçoit le regard du poète qui se retourne vers le passé mais aussi qui surveille  l’avenir en ne cessant jamais de mesurer la distance qui sépare de l’horizon dernier. maintenant / dès que le soleil décline/ Je m’arrête pour vérifier / si c’est mon ombre qui grandit / ou moi qui rapetisse. p 53

    C’est l’ombre souvent ou la brume, celle qui cache et qui clôt l’horizon, qui emplissent les poèmes depuis les premiers temps, tels un viatique sur le chemin que trace le poète.  Très tôt semble-t-il,  le poète a ressenti l’ombre de la disparition. il n’y a pas de trace / tu fus enfant le temps d’un rire / aussitôt tu as entendu l’automne/ en faire un ricanement / de feuille sèches .p 59

    Le vent, les arbres, les oiseaux, le ciel et les jardins, l’ombre de l’homme, tous ces éléments peuplent les poèmes. Mais ils n’existent vraiment qu’à l’aune d’un temps qui passe et qui annonce le terme d’un voyage. En s’ouvrant, la porte arrachera d’un coup / l’ombre qui avait pris ses habitudes p 79

    En filigrane, c’est la disparition des êtres qui  hantent les poèmes du  livre. La mort de ces autres qui nous ont côtoyés, celle du poète lui-même, celles de ceux que l’on aime et que l’on a aimés. Je n’avais pas vu la limite / au-delà de laquelle ceux qui me devançaient/ ou me côtoyaient / ne me voyaient que de dos.

    Ce Chemin qui me suit, c’est celui qui a lien avec les verbes tracer et être. Chemin construit en cheminant  que l’on suit et qui à la fois précède, tant le poète comme les hommes en connaissent l’issue. Chemin d’écriture et chemin de vie se superposent. Les traces demeurent dans les vers, les proses, la poésie comme autant de signes de cette vie et de la  présence au monde du poète. Mais malgré les menaces qui demeurent : qui saurait arrêter ceux qui vont / d’ombre en ombre au-dedans d’eux-mêmes/.p17

    hm

  • CONTRE-ALLEES N° 31- 32 AUTOMNE -HIVER 2012

    CONTRE-ALLÉES N°31 / 32

    ISSN : 1291 - 4096

    ANNÉE :Automne- Hiver 2012

    PAGES : 140

    Prix : 10 €

     

    Le numéro 31 – 32 de la revue Contre-Allées vient de paraître en ce début d’année 2013. Passés la couverture – un collage – que l’on doit à Valérie Linder et la présentation singulière du sommaire,  la lecture de l’éditorial de Romain Fustier ravira avec humour nombre de lecteurs.  Une quinzaine de voix à lire, à découvrir dans ces pages, parmi lesquelles celles de Jacques Ancet, On ne reconnaît rien. On se perd dans les bribes. On dit voilà la vie : des bribes, des bribes. Il est  l’invité de ce numéro avec un bel ensemble de textes en versets d’où perce sa voix. On lira Olivier Bourdelier, Chante Valérie / la villanelle jolie / avant l’hiver avant / le temps des couteaux., Marie Huot,  À quoi ressemblons-nous dans la tête des autres ?  Et Philippe Longchamp, Emmanuel Merle, Mira Wladir… Ou encore Cécile M. Rapin qui publie ici pour la première fois : Notre désir/ toujours / a fait des restes / et l’amour, là-haut/ s’est mis à regarder.

    Dans le numéro,  deux questionnaires sont proposés.  L’un à des poètes, il concerne l’espace entre l’écriture et la réécriture, l’autre à des éditeurs de poésie sur les critères de sélection des textes qu’ils éditent. Et les réponses sont riches d’enseignement et suscitent le vif intérêt du lecteur. Je suggère la lecture de ces entretiens à tous ceux qui désirent écrire de la poésie – et à tous les autres aussi ! -  et qui se posent mille et une questions. Ces réponses seront alors d’une aide certaine ! La poésie n’est-elle pas justement dans cet écart, cette inaccessible, impossible déclaration ? s’interroge Luce Guilbaut. On lira aussi Cécile Guivarch, Cédric Le Penven et James Sacré. À lire, à relire, à méditer ! Les textes concernant les éditeurs présentent le même intérêt et sont révélateurs de la manière dont ils abordent les textes qu’ils reçoivent. Sandrine Fay pour Éclats d’encre termine ainsi : Être touché est sans doute mon principal moteur de sélection. Jean Le Boël pour les éditions Henry, Anne Belleveaux pour Potentille et Jean-Louis Massot pour Les carnets du Dessert de Lune ont aussi répondu au questionnaire. Après la lecture de ce numéro des questions m’assaillent, redondantes. Qu’est-ce qui fait poésie dans le texte, voilà bien la question ! Et le vers ?  Un retour à la ligne ne suffit pas toujours à faire poésie. La forme…? Celle de Christian Vogels m’interpelle. La lecture : pas aisée ! Mais à haute voix, elle restitue bien un rythme ! On termine le numéro sur les nombreuses notes de lectures livres et revues. Voici un beau numéro pour commencer l’année !

    hm

  • LES TRAVAUX DE L'INFIME - JACQUES ANCET

    Les travaux de l'infime.jpgLes travaux de l’infime

    Jacques ANCET – Alexandre Hollan pour les dessins

    Éditions Érès

    ISBN : 978-2-7492-3331-4

    Été 2012

    312 pages

     

    Avec « Les travaux de l’infime » paru dans la nouvelle collection PO&PSY in extenso, les Éditions Érès proposent des textes d’auteurs précédemment  édités dans la collection PO&PSY en les restituant dans l’ensemble plus vaste qui les a vus naître (Recueil thématique intégral ou œuvre poétique complète).

    Avec sa jaquette en papier calque recouvrant  la couverture ornée d’un dessin d’Alexandre Hollan, le livre offre une belle présentation.   Il  est composé de trois grandes parties, les travaux de l’infime, portraits sans visages et pour ne pas finir où une même écriture témoigne tout au long des poèmes d’un univers perçu comme insaisissable.

    Le poète semble-t-il, ne sait rien du monde dont il soupçonne pourtant les beautés. Il quête, recherchant quels signes qui raviveraient ce monde et le métier de vivre ? Avec Jacques Ancet, le poète redeviendrait-il un voyant ? Mais ici un voyant du réel découvrant au-delà des choses nommées un univers plus grand que le regard ne le laisse à penser. Le poète questionne le monde qui l'environne.  Dans un va-et-vient continuel, il fouille un espace lové entre la réalité visible et celles qu’il pressent. Tout se mêle alors.  Concret et pensée. Présent et passé. Réalité et désir. Le poète œuvre avec ses travaux de l’infime dans tous les interstices possibles.  Il met à jour ces trésors de l’intime, ces petites choses infimes qu’il ressent, pensées et visions imperceptibles au premier abord  mais qui se révèlent pépites par delà son regard. Il recherche jusque dans « …l’échancrure des paupières… » les beautés de ce monde. Et la beauté surgit,  parfois même comme une blessure, dans une brièveté qui laisse soudain orphelin d’une extase. « …il voudrait s’y glisser, entrer dans l’éblouissement. Mais comment avec son corps ? ».

    Dans le premier ensemble éponyme au titre du livre, des étapes de la survenue du poème semblent décrites à mesure que l’on progresse dans sa lecture. D’abord,  avec la première partie qui pourrait renvoyer à  l’état d’attente que le poète éprouve avant l’écriture du poème. Une atmosphère de vacuité et d’attente s’en échappe durant laquelle les mots s’apprêtent à surgir au poème. L’alchimie du poème semble en œuvre. Alors la venue des mots se précise. Leur évidence apparaît dans l’incertitude et les tâtonnements : le surgissement lent du poème est en cours. « Brusquement le brouhaha / des voix se tait. Le silence/ est un éclair immobile./… ».  Et le poème s’impose sans dire ce qu’il est vraiment, un mystère parfois incontournable pour le poète. « Personne ne sait. Ni l’ombre entrée sans qu’on ne l’ait vue, ni la voix qui s’obstine à épeler le jour… ». Puis, il surgit dans ses éclats de lumières  « Dans l’éblouissement, toujours. Malgré l’obscur qui s’accumule. Les étincelles sur les cils et les objets, des formes de feu qui se confondent… ».

    Dans « Portrait sans visages » qui regroupe sept ensembles comportant tous dans leur titre le mot portrait, le poète semble rechercher des ombres. Qui sont-elles ces ombres que le poète croise, qu’il croit apercevoir puis qui s’effacent soudain au moment où il est près à les reconnaître ? Peut-être des disparus qu’une  mémoire obstinée n’oublie jamais et qui hantent dans des flous d'imprécis les visions et la pensée du poète. Portrait pour un silence  semble avoir été écrit autour de la figure absente de Henri Meschonnic  dont un vers, extrait de Puisque je suis ce buisson, est placé en exergue.

    La lecture des poèmes fait apparaître des paysages intérieurs, des territoires imprécis où chaque signe tangible disparaît en des lieux nés de l’imaginaire et du désir du poète. Les tableaux d’Alexandre Hollan accompagnent avec justesse ces clairs-obscurs, de leurs emmêlés de traits, de brumes grises ou de lignes esquissant des cartographies de territoires intimes. Ce que cherche le poète est peut-être lové là, dans le flou de ces brumes d’où tout peut jaillir soudain,  la beauté même que le poète espère.

    Du noir, du blanc ou de la lumière… De la présence puis de l’absence ou des ombres… Il y a le son des voix qui brusquement fait place au silence… On croit saisir ce qui s’échappe mais soudain tout devient  insaisissable. « On voit ce qu’on ne voit pas mais qui est là dans cette présence qu’on sent si proche ». Chaque chose se dérobe, s’efface, s’amenuise. Tout dans ces poèmes – en quête – est sur un fil. Le fil d’un réel qui s’infiltre par l’imaginaire du poète pour tenter de montrer ce que l’on ne voit pas mais qui cependant existe au-delà de la perception de nos sens. Ce sont ces interstices, ces limites impalpables que les poèmes en proses traversent, questionnent et découvrent jusqu’à la beauté possible. Ici la poésie fouille l’espace infime de territoires occultés en repoussant leurs limites à l’extrême. La voix creuse ces territoires,  en repousse les bords, tente de les élargir. Car elle sait que ce qui n’a pas été nommé n’existe pas. Jacques Ancet devient tour à tour aventurier de l’imaginaire, archéologue, explorateur de nouveaux territoires. Il œuvre à agrandir le réel en débusquant l’infime qu’il tente de nommer pour que - peut-être ? - nous puissions mieux y vivre.

    HM