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LE VOYAGEUR SANS VOYAGE, de PIERRE CENDORS, éditions Cadex

 Le Voyageur sans voyage,

Pierre Cendors

Cadex Éditions,

Portirange,

56 pages,

10 Euros.

 par Jean-Paul Gavard-Perret

Pierre Cendors est né en 1968 à Ambilly à côté de la frontière suisse. Mais son patronyme d’auteur n’est pas son vrai nom : « C’est un promontoire non-identitaire, un lieu inculte, sans doute un espace d’émigration intérieure. Je suis un marcheur qui s’arrête pour écrire et s’assied pour avancer d’un pas plus loin. Paysages d’origines : l’Irlande et l’Écosse. C’est là que j’ai acquis les rudiments d’un art un peu oublié : l’errance éveillée » dit le poète.

Son livre le prouve. Il est vrai que Cendors a de qui tenir. Enfant un arrière-cousin romancier et historien l’initia à la littérature. Et après des études d’Art il effectua son service militaire là où une autre figure tutélaire du futur écrivain - Charles Juliet - avait fait le sien. Une correspondance en naquit. Juliet soutint le jeune homme qui s’isole dans le Connemara plusieurs années afin d’écrire. Commence un long travail et un passage de l’Irlande à l’Écosse. À son retour en France Cendors publie son premier roman, « L’Homme caché ». Depuis il vit caché à la campagne, près de Paris dans ses paysages intérieurs qui sont semblables à ceux de ses paysages ascendants irlandais : élémentaires, nus et sauvages.

Le Voyageur sans voyage s’inscrit sous les mots (rares) d’un enfant secret : « On dit que les histoires d’autrefois commençaient toutes dans les bois. La mienne s’y terminait. Je redoutais d’y suivre l’enfant. Plus que tout, je redoutais de me retrouver face à mes rêves. ». À partir de là le texte devient une nouvelle d’exception dans laquelle un train recouvert de glace - un train bleu - réapparaît chaque soir à la tombée du jour : « Le train bleu n'avait pas de fenêtres. La glace voilait tout. Aucun visage ne paraissait jamais aux wagons » écrit le narrateur. L’étrange convoi ne s’arrête jamais et ne mène nulle part. Personne ne peut dire d’où il vient, qui le conduit et quels sont ses voyageurs.

S’il peut être vu comme une métaphore de la mémoire et du rêve ou comme celle de tous les déplacements et déportations il reste avant tout un « objet » mouvant, fuyant, insaisissable. Ne connaissant quel est le désir qui lui donna le départ et celui qui en marquerait l’arrêt reste son errance il demeure une énigme. Tracté par le vent fou qu’il déplace à son passage et par la curiosité qu’il génère le lecteur ne peut s’arrêter de dévorer les lignes qui à l’image de la vie et de ce train défilent à travers l’obscur sans en venir en bout mais sans y être fondu.

Ce train de nuit énigmatique casse la vacuité des jours. Et le lecteur se dit que par une d’entre elles le convoi pourrait atteindre une frontière sans aller plus loin. On rêve pour ce terminus d’une gare non près d’un camp mais d’une poignée de cabanes avec des êtres et des ânes et toute la vie devant eux. Même si celle-ci est incertaine et entrecoupée de pluie comme en terre d’Irlande.

Le livre est un véritable poème en prose. Moins celui d’un rêve ou d’un cauchemar que celui des conjectures. Comme son sujet il suit son cours dans l’obscurité. Y dormir serait le pire défi. Il faut rester voyageur parmi les voyageurs, entendre d’autres souffles - celui d’une femme, d’un enfant -, craindre ou espérer une portière qui s’ouvre. Et voir contre la lumière bleue de la veilleuse s’ébattre quelques papillons d’espoir. Non ceux du matin mais ceux du soir où l’Un se mêle à tout et où il a perdu son visage.

JPGP

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