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LE BECKETT ABSOLU POÈTE d’Isabelle Sobelman

« Beckett »,

Isabelle Sobelman,

Éditions Derrière la Salle de Bain,  Rouen,

7 Euros.

par Jean-Paul Gavard-Perret

 

À partir d’une œuvre de Jean-Olivier Hucleux Isabelle Sobelman a écrit l’essai le plus dense et le plus ramassé sur Beckett un des rares écrivains et poètes dit-elle « à ne jamais mentir ». Il fut pour cela libéré de bien des choses. Surtout des contingences. Porté par les femmes et surtout par Suzanne. Elle fut d’abord l’infirmière aimée qui le tira d’une situation périlleuse. Elle devint l’épousée et la presque haïe. S’en approcher trop le fit s’en éloigner (ah les vases communicants – ou non…). Dans le même appartement le couple n’échangea bientôt plus que par le téléphone intérieur. Ce fut une nouvelle stratégie inventée par Beckett pour quitter le réel afin de respirer. Bref un nouvel avatar du mouvement qui lui fit fuir le pays natal pour trouver de l’air. Beckett ne pouvait rester que loin de l’Irlande en éternelle « vacance ». De retour sur son île – rapporte son psychanalyste Bion – il en revenait couvert de pustules.

 

Il est certain que tout avait mal commencé. Qu’on se souvienne que Beckett a vu le jour un vendredi saint. La pire date pour une famille catholique. Cette naissance qui fit de lui un mort-né ne pouvant non seulement « s’approcher du rien par le vide mais avec deux êtres chevillés en lui : le vivant et le mort. Les deux à bonne distance de leurs semblables. Avec le sentiment – comme il l’avoua à Charles Juliet – d’ « être jamais né, d’être – naissant – assassiné ». À la fois vieux chêne et épervier.

 

Mais Isabelle Sobelman par-delà le ponctuel rappelle l’essentiel. À savoir la jeunesse « éternelle » de Beckett. Sa jeunesse c’est le présent, c’est l’instant. Là où l’écriture elle-même fait peur dans l’aventure démesurée de vivre. L’auteur y donne toutes ses forces. À la limite de l’égarement, au pied d’une falaise. Écrire c’est grimper quelques centimètres dans une varappe incessante et une marche forcée dans Paris, sa rumeur, sa beauté. Certains instants soutiennent. D’autres font le contraire (euphémisme). Mais l’auteure rappelle que Beckett n’a jamais parlé de la mort : il n’a montré que la vie. Guettant l’instant. Quand il ne l’attend pas il dort, il se détruit, il a des remords, il boit, il joue du piano. Mains parfaites. Sachant qu’il n’y avait pas de mots, des mots « qui font ». Il n’y a que des murmures et des hésitations.

 

Une cataracte rendit Beckett un temps presque aveugle. Ce fut une autre manière comme l’indique une de ses phrases « Voir mal pour voir mieux ». Et parler peu pour dire mieux. Dans le silence et l’immobilité. Attendant le seul texte d’une page. Celui dont on peut vivre. Cette « Folie du croire » (publié en fac-similé par la librairie des Éditions de Minuit lors de la mort de Beckett). Un tel saut dans l’inconnu rappelle une dernière fois que l’écriture c’est le risque. Un salto vers l’énergie. Un soupir sans point final. Avant que de finir et de subir la « dernière cure d’ignorance » dont Beckett parla à Novarina en tant que « seul principe poétique ». À savoir se laisser traverser, se laisser dominer par ce qui dépasse. Attendre que tout s’effondre, entrer dans un terrain d’ignorance. Certains ont pris cela pour du mysticisme. Mais c’est tout le contraire. Isabelle Sobelman l’a compris. Ce qui compte pour Beckett c’est la défaillance de la logique et de la transcendance. Il faut être vaincu pour faire.

 

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