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  • MONSTRES MORTS - Jean-Pascal DUBOST

    La Poéthèque: bibliographie de Jean-Pascal DUBOST

     

    Obsidiane

    N° ISBN : 2 911914 81 3

    Janvier 2005

    120p

    15€

     

     

    Avec MONSTRES MORTS Jean-Pascal Dubost fait paraître aux éditions Obsidiane son quatorzième ouvrage.

    Ce livre comporte environ quatre-vingt-dix poèmes répartis dans cinq ensembles dont celui intitulé Maman qui débute le livre et qui est composé d’un seul poème au titre éponyme. Dans ce livre Jean-Pascal Dubost montre une prédisposition pour des  titres débutant par la lettre M, puisque cinq titres des six ensembles débutent ainsi : Maman, Moments, Monstres, Morts, Mille Morceaux. Sans doute la redondance de cette consonne rappelle-t-elle la présence omnipotente de la mère. Figure incontournable  - s’il en est - et à laquelle chaque être doit la vie.

    On pourrait longuement interroger les significations multiples du mot monstre pour y déceler les intentions de l’auteur dans l’écriture de ce livre dont les premiers textes ont été écrits en novembre deux mille. Mais de toutes les acceptions possibles du mot, j’en retiens particulièrement deux que j’associe et qui sont, cette chose bizarre, formée de parties disparates, et, ce texte formé de syllabes quelconques que le compositeur remet au parolier comme canevas pour le rythme. Deux définitions -  vieillies - qui remontent au XVI siècle, à ce que nous en dit Le Petit Robert. J’y vois assurément le livre, composé de poèmes et le rythme de ce langage qui sourd à leurs lectures. Et ce livre, par ses poèmes et le rythme de leur écriture, capte vivement l’attention du lecteur. Poèmes courts en prose justifiée. Au rythme jamais musicalement euphonique, mais plutôt dissonant comme heurté avec cette écriture où le lecteur doit toujours tenir ses sens en alerte.

    On découvre  l’enfance, les poètes, les morts  mêlés à cette arythmie de l’écriture et à des mots qui jaillissent – vieux, rares ou oubliés – et qui seraient dans ces textes comme des stèles posées en ces proses poétiques pour commémorer  -  peut-être ? - l’absence de ce qui est perdu à jamais, ces moments qui ne reviendront plus.

    Avec ces poètes, que sont nos contemporains Daniel Biga, Valérie Rouzeau, François de Cornière...nous croisons aussi des figures qui firent l’actualité des années soixante dix. J’ai ainsi cru reconnaître les traits du cycliste Bernard Thevenet, ceux de la gymnaste  Nadia Comaneci, du chanteur Mike Brandt ou de François Cevert qui mourut dans un accident de course automobile. Et soudain je songe au titre d’un livre de Benoît Conort que je ne peux m’empêcher de paraphraser : oui ! cette vie là, est aussi la nôtre !

    Chabrot

    Qu’on gratte cueuillère au fond de l’assiette de / soupe y ayant versé vin, que ça s’accompagne du / verbe faire et alors, la mémoire se porte-t-elle / mieux que tu refais le geste, avec variante, puisque / ton grand-père est mort, en question ?

     

    Hervé Martin

  • Anamorphoses - Marie-Claire BANCQUART

     Bibliographie de Marie-Claire Bancquart

     

    Ecrits des Forges (Québec) / Autres Temps (Marseille) 

    N° ISBN : 2  84521 146 5

    116 pages

    15 €                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      

     

    Sous le titre de ce livre – Anamorphoses - Marie-Claire Bancquart réunit trois ensembles de poèmes - D’ailleurs; Paris plain-chant ; L’énigme, intacte -. Sous la double nature du voyage, réel et intérieur, ils ne cessent dans la succession des  poèmes qu’ils nous proposent d’interroger le monde. Le questionnement est aussi un voyage.  Voyage de soi vers l’altérité, avec le mystère en horizon qui guide dans cette découverte. Questionnement qui s’appui sur  l’expérience intime de l’Être et  qui émet des hypothèses pour répondre à  – l’énigme –. Énigme qui préside à la mémoire de chaque homme face à sa présence au monde. Les anamorphoses procèdent d’une alchimie poétique propre à chaque poète. Alors, comme en des traductions singulières de la vie,  les poèmes surjettent le pan du réel avec celui de l’imaginaire et tissent des liens entre  la réalité des choses et la nature de l’auteur. La poésie fait son œuvre dans ces transmutations, ces anamorphoses que nous offre Marie-Claire Bancquart.

     

    L’anamorphose

    Dans un poème  D’ailleurs  l’anamorphose s’accomplit dans la superposition de visages :

    « ah  pourquoi / se superposaient subitement le visage / de la belle présentatrice de télévision, sur la terrasse,/ annonçant avec politesse une guerre probable / et la figure exténuée de cette femme ? »

    Ce que la mémoire oublie, l’inconscient le préserve en faisant  resurgir des souvenirs enfouis pour soudain les mêler au réel. Lapsus, acte manqué procèdent différemment mais sont du même ordre . Le rêve également, dont on sait qu’il déforme les sujets, les êtres ou les lieux en ne conservant d’eux que leurs principes essentiels. L’anamorphose est une traduction et une appropriation du réel par le Poète. Le poète devient alors un rêveur éveillé.

     

    S’en aller

    C’est de voyages que nous entretient ce livre. Voyages réels et géographiques vers Mexico, New York, Ceylan, le Québec ou l’Italie quand les rencontres et les visites réactivent la mémoire des connaissances et des souvenirs. Voyages vers l’Autre, en sa propre rencontre parfois dans le miroir. Voyages intimes vers les sources de sa propre image. Périples intérieurs en sensations,  perceptions et remémorations de la mémoire.

    « Peintresse en songes et mensonges,/ tête chaude, tête brûlée, /où t’en vas-tu ? »

    S’en aller ? Comme le héros d’un roman picaresque. En quête d’un graal irrévélé et répondre à l’énigme qui taraude tout être sur l’existence humaine :d’où vient l’homme ? S’en aller, c’est d’abord songer en ce pays de l’imaginaire afin que rien ne soit laissé sans réponse et que chaque vie se révèle grand jour :

     

      »Choses, le contact avec elles / murmure/ à travers nos pores / une autre liaison encore/ sinon, pourquoi des cellules auditives dispersées / dans l’épaisseur de notre peau entière ? »

     

    S’en aller, c’est partir pour ce voyage qu’entreprend le Poète à la découverte d’invisibles. Quand ce mot rassemble sous son nom ce que nous ne voyons pas, mais qui existera  dès lors qu’il sera nommé.

     

     

    L’énigme

    L’ensemble L’énigme, intacte naît de l’observation de tableaux  – Uccello, Titien, Caravage, Poussin –.Ces œuvres entraînent le poète dans des pérégrinations intérieures. Les énigmes qu’elles suscitent rejoignent les préoccupations de l’observateur :

    « Le triangle restreint s’ouvre à l’infini, vers le haut / une minute il nous a offert de cerner l’incernable/ et maintenant il nous entraîne, arrachés / au lieux, aux mots, vers quel à-côté ? »

    Les oeuvres émeuvent les êtres qui les regardent et les interrogent en recherchant en elles, si ce n’est une réponse, du moins une complicité entière.L’observation du tableau transporte le poète. Et par anamorphoses, il nous donne ces poèmes. Comme des digressions poétiques, elles sont reflets, miroitements de l’être, face aux questions qui demeurent sans réponse :d’où venons nous ? Où allons nous ?

    « Nous vivons mélangés / aux miroirs, aux feuilles, aux étoiles / mais dans quel instant de l’espace ? »

     

    HM

  • La faim des ombres - Jean-Baptiste PARA

      

    Bibliographie de Jean-Bapiste PARA

                                                 

     

      Prix Apollinaire 2006
     

    ÉditionsObsidiane                  

    N° ISBN : 2. 911914. 91. 0                                            

    1e Trim. 2006                                                         

    13 €                                       

     

     

    Jean-Baptiste Para est poète et critique d’art. Rédacteur en chef de la revue Europe, il est aussi le traducteur de poètes indiens, russes et italiens. On ne peut l’omettre durant la lecture de ce livre tant il apparaît qu’une part importante de la poésie de Jean-Baptiste Para prend ici ses sources dans de nombreuses références  littéraires et historiques des cultures russes et indienne.

    En effet, La faim des ombres  avec ses poèmes portant des titres aux résonances slaves, Svelta, Iannis, Tatiana, Sviatki ou ceux faisant expressément référence à Pouchkine, au mouvement des Décembriste et  à l’un de leurs protagonistes Kondrati Ryleïev, nous renvoie à la Russie. Comment aussi ne pas songer à la poésie d’orient, avec ce poème faisant référence au poète afghan Mirza Abdul-Qader Bedil ou par l’emploi du gazhal, cette forme de poème d’origine perse très prisée par le poète indien  Mirza  Ghalib, pour lequel un tombeau poétique à été écrit pour le dernier ensemble du livre. On remarquera également ce poème intitulé  Rosa L  comme en hommage à Rosa Luxemburg. Cependant, La faim des ombres,  titre éponyme du premier et plus important des ensembles, en comporte trois autres dont deux semblent motivés par des éléments d’ordre plus intimes. Mais ce qui est propre à l’ensemble du livre est l’écriture. Je la dirai ciselée, claire, musicale, sensible... Les poèmes ne présentent pas une unité de forme sur tout le livre. Seule, peut-être le gazhal, cette forme ancienne de poésie persane, formée de distiques aux rimes sonores et récurrentes sur thème d’amour et de passion, est employée à plusieurs reprises.

    Enigmatiques, tenant leur existence d’histoires singulières, la plupart des poèmes semble narrer des scènes qui auraient pour lieux les vérités d’une mémoire secrète ou intime. Serait-ils des étapes de l’épopée individuelle d’un lecteur qui traceraient ainsi cette faim des ombres ? « Toute épopée est la face claire d’un cauchemar » rappelle le premier vers d’un poème. Quel serait alors ce cauchemar ? Quelles nourritures pourraient apaiser l’appétit de ces ombres ? Au cours du premier ensemble deux poèmes se suivent : Mémorial et Tribut. Faut-il les lire dans ce jeu de miroirs qui s’avance ? Faut-il voir ici le creuset de ce livre ? Comme une mémoire que le poète ressusciterait afin qu’une reconnaissance personnelle (voire universelle ?)  soit rendue aux êtres élus par le poète. Les poèmes paraissent être des morceaux de temps arrêtés dans la mémoire. Ils sont comme des pas dans les pas de ceux qui vécurent. Les vers recréent des bribes de temps passé pour que s’animent à nouveau dans les poèmes les absents qui furent des proches ou des familiers découverts au contact amical des livres.

        Tout ce qui fut aimé, les lamiers de Russie, le partage et le chant / sous les hautes orties blanches,

         l’aboi des chiens,/la branche qui cogne à la vitre, la rosée des enfances, / …

    Le poème Frère et sœur, dont les premiers vers ci-dessus sont extraits, pourrait à lui seul signifier et ce qui inspire le livre et ce ferment dont il serait extrait : cette braise qui brûle le creux du cœur vivant du veilleur demeurant tout auprès de ces ombres. Entre cet ensemble éponyme et le Tombeau de Mirza Ghalib qui clôt le livre, deux autres ensembles, Où luisent les loutres et L’Inconcevable, paraissent plus liés à l’expérience vécue du poète. Deux ensembles qui laissent poindre en de très beaux vers, une vive acuité : J’ai senti sur tes flancs une odeur âcre de bête mouillée,  /  la pudeur fut la source abondante du désir. ;des sonorités musicales : Nous étions allongés tête-bêche dans la barque,/ ignorant que le ciel avait déjà blanchi à l’est. ; et des métaphores : le cœur de l’enfant est petit comme un œuf orné de lettres noires ou encore : Désormais il portera seul sa tristesse, comme un bol à ne pas renverser.

     

    Dans ces deux ensembles on découvre les sonorités d’une écriture sensible qui ne tombe jamais dans l’excès et dont la maîtrise épargne toujours la pudeur de l’auteur. De ces deux ensembles, L’Inconcevable est celui qui m’a le plus touché en cette rencontre d’un enfant avec à cette inconcevable mort, cette absence à jamais, loin de nous nos aimés. Comment comprendre cela ? Ce que pourtant chacun de nous a éprouvé un jour de notre vie. Ce qui perdure dans un silence intérieur de vivant, cette expérience de la perte et du manque à la fois et qui entame dès lors la juvénile espérance. Avec L’Inconcevable Jean-Baptiste Para cerne, au plus juste, cette réalité incontournable percutant l’histoire d’un enfant dans l’un des moments les plus marquant de sa vie d’homme, lorsque l’être trop jeune encore prend conscience de la finitude des siens et de la perte à jamais, dont la sienne en puissance.

    Sans doute Jean-Baptiste Para réussit-il, par cet ensemble notamment, à traduire la quintessence close en ces deux vers :

         Ma langue est la rose fermée / par où l’ombre descend.

    C’est vrai, l’ombre descend dans les vers, descend tout doucement, dans des vers bercés de tendresse et de reconnaissance. La faim des ombres est  un livre écrit sous le signe de l’hommage et de cette reconnaissance du poète envers les siens, élus et proches. Assurément, le livre est une offrande tournée ici en direction d’un soleil levant.

     

    Hervé Martin