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OWANGA (1919-2010)

Christiane Tricoit

revue OX n° 248

Paris, 2011.

 

 

 

PUISQU’ON EST PARLÉ

 

Voici le feuillage humain. Et le passage en force pour que la vie ait encore à rendre bien plus qu’un fantôme. Christiane Tricoit lui restitue tout ce qu’elle lui doit. Même si elle peut penser que tout restera toujours à dire. Ce qui est offert dans ce livre n’est pourtant pas rien. Il rappelle le silence tel qu’il fut parfois. Mais un murmure remonte dans toute sa pudeur :

« Mère, ngwè / mer, mbene

Plage, ozégé

Enfance, erumbe

Insouciante, voya-voya

 

Malédiction, ozavo

Tourment, azingo

Souci, inakina

Folie, eranya »

Il faut comprendre que lire ce texte "illustré" par Philippe Clerc revient à retourner en langue mère et non à une traduction. « Owangé » est un véritable travail quasi sonore de recouvrance. Le chant en est déchiré, déchirant face à la crainte d’un dépérissement sale et en souvenir de celle qui fut l’égarée merveilleuse à la souffrance aussi nue que tue.

Restent les images comme en effacement. Restent les vocables faits d’échos et de résurgences. Afin qu’aucun trait ne soit tiré. Comme si la créatrice retrouvait dans la mère celle qu’elle désespérait de trouver en elle : une femme qui avait fini par refuser toute conversation, par oublier le réel. Et qui perdit le goût des croyances

Peu à peu tout se réduit au presque dépouillement. Ne restent que les images sourdes. Elles ne retranchent rien. Elles ajoutent de l’organique tout en creusant un vide étrange. Ainsi la mère exilée, par son départ, exile à son tour l’enfant sauvage demeuré orpheline. Elle pouvait être capable de tout, se croît capable de plus rien. Mais se trompe sur ce point. Doit corriger sa focale

Comme sa mère elle a avancé dans la langue pour débloquer le français en captant la rumeur des mots dans la rigueur d’un certain vide et dans le mutisme des glaces pour épurer le moindre. En ce sens tous les textes de Christiane Tricoit se sont toujours éloignés de la prose afin d’éprouver la voûte sonore des mots.

Il s’agit désormais d’œuvrer contre la nostalgie et son chaos. L’air est soudain plein de fond. Le vide peut créer le concret même si l’interrogation ne comporte pas de réponse puisqu’elle semble butter sur une fin. Mais il n’y a pas de oui ou de non dans l’écriture de l’auteure. Pas d’images reflets dans sa création. Juste le silence, la disparition, la vie, la résistance. Soudain l’enracinement n’est ni dans le ciel ni dans la terre : l’horizon est bouché :

« Moi,

Dans ce bois d’hiver

Toujours dolente,

Arbre, egere

À côté, g’ozamba ».

 

La limite est une durée. Elle a ses bords d’années comptées. C’est donc aussi une barre. Mais il ne s’agit pas de s’en absenter. Il convient de faire face de débâcle en débâcle. On se souvient alors de la vieille histoire : « ce qui ne tue pas rend plus fort ». Sauf à ceux qui étaient morts avant. Ce qui n’est pas le cas de Christiane Tricoit. Ce qui fut peut-être le cas pour sa mère.

Au nom de laquelle les dictionnaires ne servent plus. Le vent, le froid : bref le plus compact. Au « Mots puisque vous êtes parlez » d’Artaud, l’auteure aura répondu pour sa mère et non seulement in memoriam. Bruit. Écoute. Écorce. Une fois les larmes (intsoni) partiellement séchées ce ne sera pas l’oubli mais une réverbération qui est reconduite. Reste l’espoir de ce seuil volatil. Trait inachevé, blanc, noir, métisse. Lèvres rouges. Hantise de l’air.

 

 

JPGP

 

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