Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

poesie

  • Toi, je t'avais dans le regret - Jessica Soror - Edition de l'Amandier

    Toi, je t'avais dans le regret,

    Jessica Soror,

    Collection Accents graves / Accents aigus,

    Éditions de l'Amandier,

     

    ISBN : 978-2-35516-030-1

    74 pages

    12 €

                                                                                                       Une note de France Burghelle Rey

    À travers la voix singulière de Jessica Soror la collection " Accents graves / Accents aigus " des éditions l'Amandier atteint son objectif, celui de publier, selon la définition de sa directrice Claude Ber, " une parole chercheuse, insoumise, ludique ou résistante ". Le titre lui-même tord déjà le cou à la langue courante et se veut provocation pour cette apostrophe, véritable flèche que décoche l'amoureuse endeuillée.

    Les premiers textes définissent les sentiments, les actes, la personne même des deux partenaires. À chaque instant, dès le début et jusqu'à la fin du recueil, la forme réserve des surprises. La poète utilise des appositions : " ton pas aquarelle ", une syntaxe libérée : " Je fais ton horizon se tordre " avec des images originales et un travail sur les sonorités comme, par exemple, dans les titres : " Et malade mon amer " ou " Aurore écrouée ". Le vocabulaire surprend également par sa richesse et développe autour du deuil une isotopie de la maladie et de la mort : " Je m'habille de cendres… Je te parcours, cimetière ". Pour  " l'automate " qu'est la narratrice - son identité, en effet, est menacée - il s'agit d'une cérémonie funèbre à laquelle deux corps participent.

    Si l'imparfait marque la répétition des rites amoureux, les questions se posent au présent : " Entends-tu la nuit…Entends-tu la vie battre ".

     S'ajoute aussi l'usage récurrent de l'apostrophe et de l'exclamation qui sont autant de cris à la naissance de sensations : " Étincelle " ou " Vertige " et l'expression en devient rimbaldienne.

    Par ce vertige qu'elle interpelle Jessica Soror accède à un monde rêves. Ce qui compte le plus c'est, jusque dans la folie, la danse : " Je danse au bal de la démente "  car, pour le dernier baiser, il faut lever le pas.

    Dans ces conditions, la mort devient un état présent : " Je suis morte " qui refait vivre l'amour et le deuil passé : " Je t'ai quitté toujours ".

    Puis le doute s'installe à l'intérieur d'une enveloppe corporelle aux sens perturbés et où la voix elle-même est source de trahison : " Ma bouche ment… Ma bouche trompe ". Mais heureusement chaque texte nouveau correspond à un sursaut et dans le texte " Bon heurt " la mort semble,  cette fois, vaincue " : " J'ai frappé la ténèbre dans l'eau de sa glace ". Car n'est-ce pas elle qui est, en fin de compte, trahie : " J'ai trompé mon amour la mort " ? Peut-être parce que la douleur est sainte et que se fait la rédemption quand la bouche déterminée : "Ma bouche affamée par où je passe, passerais " se tourne vers l'horizon. 

    Ainsi, dans le second mouvement, " Le blanc Testament", et dès son premier texte " Lieu ", est exprimée l'affirmation d'une renaissance par la création : " Je saurais te donner vie " que confirme la suite du texte : " Je te crée… Tu es ma création ".

    Cependant tout se fait une fois de plus dans la douleur puisque le texte " Lacune " commence par " Je m'abîme " et que tout se casse à l'aide de sonorités dentales et gutturales et avec les mots symboliques " fissure " et " ruine " en même temps que La Faucheuse, s'il est ici question d'elle, après avoir pris le nom de " tordeuse ", prend celui de " Vénéneuse ".

    Ensuite vient la peur de l'oubli de l'amour et, par l,à de celui de la langue dans une question-réponse : " Est-ce toi qui t'éloignes ? / Ton alphabet m'est devenu lointain ". Mais cette peur s'efface au moment où, dans la mort commune, se fait de nouveau l'union et où l'amante est encore  belle et réelle avec son " squelette fardé " et son " spectre effervescent ".

    À l’issue de l'opus surgit un doute plus profond, celui de l'existence de l'aimé qui n'est peut-être que le fruit de l'imagination poétique de l'auteure face à celui qu'elle appelle " le parasite de mes lunes ".

    Mais, pour finir, à quoi bon se poser cette question ultime quand " La mort avance sur ( un ) cheval " dont les sabots frappent " A l'éternel " le corps  de l'endeuillée ?

     

    France Burghelle Rey  ( juillet 2014 )

     

  • Le silence des pierres - Matthieu Baumier

    « Le silence des pierres »

    Matthieu Baumier,

    Le Nouvel Athanor, Paris,

    2013,

    92 pages,

     15 Euros.

     

    L’histoire des arts est traversée par une distinction cruciale entre ceux du temps (musique, danse, théâtre) et ceux de l’espace (peinture, sculpture, architecture). Cette distinction et cette dichotomie reposent sur bien des malentendus que la poésie - et plus particulièrement celle de Baumier - balaie. Elle n’annule plus le passage du temps, ne nie pas plus une sorte de mystique de l’espace par effets de rythmes et d’échos.

    Il existe dans ce livre  une synthèse du temps et de l’espace. Chacun est un « baiser » au sens où il marque l’instant mais aussi un appel qui le transgresse vers une sorte d’éternité provisoire. Mais éternité tout de même. D’où l’effet de décomposition du temps par chaque poème et en même temps l’effet de mouvement qui s’étire dans l’ensemble du corpus sans qu’il se limite à un syncrétisme caoutchouteux.

    Peu à peu les poèmes s’enlacent. On peut alors facilement imaginer qu’entre eux puisse à nouveau s’étirer le temps et le décomposer en nouvelles figures. Si bien qu’à l’image du baiser qui évoque la répétition des histoires d’amour depuis toujours dans la poésie ou les arts plastiques est remplacée implicitement par celle d’un axe fléché à la recherche d’une renaissance de l’être (par l’amour certes, mais qui ne se réduit plus à ce qu’il est dans la poésie ; c'est-à-dire extrêmement fermé).

    L’expérience de la contemplation esthétique est donc remplacée par la visée d’un horizon appelé. Par cette « identité » nouvelle tout change. La poésie sort des ornières où souvent elle se creuse et l’auteur rejoint les hauteurs d’un Jabès, d’un Gamoneda ou d’une Maria Zambrano.

    JPGP

  • Une beauté plus sourde - Andoche Praudel

    Une beauté plus sourde

    Andoche Praudel,

    coll. Trait Court, Passage d'Encres

    16 pages,

    Romainville.

     

    Le paysage est parfois plus nocturne que la nuit elle-même. Comment trouver le passage ? C'est ce que Praudel, céramiste, photographe et peintre propose en, laissant émerger des surfaces cadastrales tout un substrat agricole et guerrier qui a constitué toute l'histoire du paysage et de l'humanité agissante sous deux axes : la construction et la destruction. Le cru et le cuit aussi.

     

    L'artiste nous plonge  dans la terre et ses strates pour envisager un futur sans terre mais qu'on tente d'apaiser sous couvert d'écologie. Pour autant Praudel ne tombe ni dans le messianisme catastrophique ni dans la leçon de morale. Son poème est un livre d'artiste. Il n'est qu'évocation et non invocation. La vie est devant la porte. L'être est en face d’elle. Le rapport et leur rapport sont mutuels, riche de tout un passé. Avec un volcan dans la tête l'artiste y brasse des limons et des cendres.

     

    Praudel met sous nos yeux le règne élémentaire. Nous y marcherons peut-être bientôt sans appui et nous risquons donc la chute en croyant nous libérer  de nos chaînes. De fait en croyant entrer en aventure nous pénétrons en ignorance.  Le matin continuera à peut-être à verser une soif latente mais nous ne serons peut-être plus les amants du jour. Nous serons alors sans consolation en ayant cassé la communauté et l'union majeure qui nous lie à la terre. Notre rapport risque de devenir sans rapport il n'appartiendra plus à  l’incommensurable. Il n'y aura plus, et c'est bien regrettable à se poser la question de la sincérité, de la fidélité. Notre accord ne sera que de l’ordre de l’infini abandon.

     

    L'artiste mais aussi poète désigne, dénonce  la limite d’une pensée qui se rompt. Toute l'histoire est là. Dans les plis du paysage,  les histoires de solitude et  de foules traversées. De villes où les mots furent inutiles. Une histoire de visage, de jardin, de ciel. Attendre est inutile. Tout arrive.  Mais l'auteur nous demande implicitement de faire encore un pas vers l'horizon.  S'y cache des voies, des sentiers comme si d'une haie de ronce qui pliait sous le vent surgissait des clartés diffuses dans les brumes. Un pivert attentif cherche en voyeur notre existence. Il ne faut pas lui  faire peur.

    JPGP

     

     

  • PORTES OUVERTES... OU ROUGES

    Jean-Pierre Lesieur,

     Éditions Gros Textes,

    Châteauroux Les Alpes,

    104 pages,

    9 Euros.

     

    JEAN-PIERRE LESIEUR :

    IL NE FAUT PAS QU'UNE PORTE SOIT NÉCESSAIREMENT OUVERTE

    OU FERMÉE.

     La poésie de Jean-Pierre Lesieur n’a cessé de se dégager du réalisme pour glisser dans une fantasmagorie et une drôlerie particulières. Le poète multiplie ses voyages de l’extérieur vers l’intérieur, le passage de portes pour pénétrer, pour traverser la peau des impalpables. C’est bien là que tout devient intéressant En effet, franchir une porte revient toujours à changer de corps, de lieu, de temps, de matière. Cela touche à notre plaisir, à notre jouissance et, en conséquence, à nos possibilités d’angoisse puisque nos certitudes se voient interpellées par le passage.

    Certes le franchissement est rare. Souvent un poète pense traverser un seuil et s'affranchir. Mais d’au-delà de la frontière il ne ramène que du pareil, du « même ». Ne demeure qu’un vestige au lieu de vertiges puisqu’au sein du passage espéré la différence recherchée s’est évanouie. Jean-Pierre Lesieur réussit à l’inverse, sa quête du changement.

     

    La ligne de passage inscrit chez le poète une coupure : le voyageur ne peut plus emmener avec lui ses propres bagages, sa propre interprétation, son propre inconscient. Tout mute grâce à "l'importateur de portes". Il permet d'installer des portes qui "parlent quand on leur tourne le dos". Il n’existe alors que de rarissimes arpents de réalité sur lesquels on ne peut même plus s’appuyer. Une étrangeté explosive défie l’affalement dans l’orthodoxe. Non seulement le « décor » tourne mais chaque texte-porte ouvre à un autre espace pour un défi du sens.

     

    La  jouissance ne tient pas à un  retour des « choses » mais à leur retournement. Si bien, qu’à l’âcreté et à l’amertume qui désagrègent la jouissance fait place un franchissement que l’on croyait impossible. Soudain on ne se retrouve plus  du même côté de chaque porte. Soumis à une étrange torsion le langage butte mais ensuite s’approprie des « paysages » inconnus à la lumière à la fois caverneuse et rutilante.  Jean-Pierre Lesieur permet de rompre avec les perceptions acquises par l’habitude. Il ne duplique jamais du semblable dans ce qui tiendrait à une sorte de complaisance. En lieu et place des habituels rituels de certitude un saut a lieu loin de ce qui est pris généralement en poésie pour des invariances. Un  « pas au-delà » (Blanchot) de la porte est entamé. Dans chaque texte il vient à bout des clivages de l’intériorité et de l’extériorité. Il faut donc y entrer sans en sortir, que la porte soit grande ouverte ou entrebâillée.

    JPGP

  • Théâtre 95 à Cergy-Pontoise

    Fête de fin de saison de Gérard Noiret

    18, 19 et 20 juin 2010 au Théâtre 95 à Cergy-Pontoise

    SOUS UN SOLEIL FÉMININ

    Vendredi 18 juin

    L'opéra des pas perdus / Mireille Jaume
    une création radiophonique sur RGB (99.2) dans l'émission Fêt'arts
    avec Meryl Gaud, Aurore Prieto, Emmanuel de Sablet et Mireille Jaume

    Samedi 19 juin

    16h - 16h45 - Grande scène
    Le chant de la matière /
    Michèle Ninassi

    avec Philippe Lemoine au saxophone
    présence  plastique de Cécile Picquot

    17h - 18 h - Salle de répétition
    Inauguration de l'exposition de Caroline Tafoiry
    Des brouillons...moi

    intervention de Chris Brook
    Tout ça autour d'un verre avec Joël Dragutin

    Librairie
    Sur la margelle de mon âme

    vidéo de Sylvio Cadelo

    18h - 19h   grande scène
    La « poésie féminine » existe-t-elle ?
    une conférence à la mode de Gérard

    textes  Gérard Noiret
    Mise en scène : Daniel Muret
    avec Evelyne Fort et Sylvia Bongau, de la Compagnie Willy-danse-théâtre

    19h15 - 20h45 - Café de la plage
    Diner convivial

    FÉMININS SINGULIERS / FÉMININ PLURIEL

    avant la fête de la Musique, une fête des Paroles autour du « féminin »
    à partir de 21h sur la grande scène et jusqu'à épuisement des étoiles.

     

    • Vœux pour une bonne nuit des Paroles par Henriette Zouguébi du Conseil Régional d'Ile-de-France
    • Poèmes par les amis d'Achères, les amis de La Ruche, les amis des ateliers d'Argenteuil, les amis de la Maison de la poésie de Guyancourt et des alentours, les amis des Mots Migrateurs et les amis d'Etapes.

    • Scène ouverte avec les amis des amis de nos amis et les autres qui sont bien entendu nos amis.

     

    Les participants de la scène ouverte devront s'être inscrits avant le 17 juin. Ils devront participer (à l'heure où il leur plaira) à la mise en place par Thierry Le Gall et Gérard Noiret qui aura lieu le samedi 18 entre 11 heures et 15 heures, au Théâtre 95.
    Les textes ne doivent pas dépasser 3 minutes. Le thème est « le féminin ». Toutes les conceptions seront entendues, sauf les racistes.

    Dimanche 20 juin

    15h - 15h45
    L'étrangère française /
    Nora Chaouche

    avec Boudji à la guitare et au chant

    16h - 16h45
    Pourquoi ne suis-je pas devenue chanteuse ? /
    Sophie Chappel

    scénographie de M.M.

    17h - 17h45
    L'heure est mûre /
    Olivier Campos

    Tous les textes lus et mis en voix ont à voir avec la résidence de Gérard Noiret au Théâtre 95, financée par le Conseil Régional d'Île-de-France.

    Avec l'amical parrainage du PRINTEMPS DES POETES

  • J'irai rêver sur vos tombes

    Maurice Couquiaud,

    Editions de L'Harmattan

    110 pages

    11,50 euros.

     

    MAURICE COUQUIAUD : LES GRISéS DéGRISéS

     

    Maurice Couquiaud ne tient pas la pose, il ne joue pas l'âge venu au vert galant :

    "Vieillir

    c'est apprendre à mieux aimer l'amour

    en le faisant moins

    à le styliser par des silences

    à le déshabiller dans l'ombre

    pour en caresser les formes oubliées"

    Pour autant, à l'inverse de Lucian Freud, le corps n'est pas gris, irrémédiablement gris. L'outrage du temps n'est pas un outrage fait à la vie mais un accomplissement avant l'ultime lumière du soir. L'existence suit donc son cours, selon un autre rythme et selon une sagesse dont on a oublié les leçons de toujours puisque la vieillesse est devenue un tel tabou qu'on l'affecte de périphrases plus ridicules les unes que les autres.

     Refusant de cracher sur ses fantômes l'auteur profite du temps qui lui reste et de la poésie pour leurs parler avant d'aller avec les ombres pleurer sous leurs tombes et la sienne. Doté d'une humanité indulgente qui sait le prix des valeurs et pas seulement celui des choses tout érotisme n'est pas écarté mais il se fait discret. À la sauvagerie du corps fait place la conscience de ce qu'il fut. Et si le désespoir a des mouvements de suie et de poussière de gravats le poète les disperse sans les respirer. Que l'être ait un goût de cendres ne peut le satisfaire et il cultive la douce folie d'être face aux

    "maîtres nageurs de la raison (qui) se noient dans les bassins de l'ombre".

    La nuit est là mais le matin aussi. Il faut s'en étonner tant que cela dure même si l'espoir est fragile. Il convient de plonger dans son bain d'huile pour rester "allumé".

     Couquiaud a décliné longtemps des couleurs roses, sable, ocré. Mais avec le temps le cuivré s'est oxydé dans un transfert du pastel au passé. Et c'est là toute l'ambiguïté d'une poétique ouvertement et sobrement ironique mais qui n'en reste pas moins tragique. L'auteur demeure travaillé par le temps qui passe et par la mort. Tous ses poèmes en portent la trace même s'il la maquille sous des couches de chair. Le corps peut être encore vaguement désirant mais clos dans une attente sans illusion. Car le désir est une expérience qui suppose l'échec au moment où le corps est « enchaîné » à un affaissement, à une désillusion comme s'il se savait voué à une fin de non-recevoir.

     Néanmoins le poète propose avec "J'irai rêver sur vos tombes" une œuvre étrange dont l'aventure comme toujours chez lui reste existentielle. Elle provoque un mouvement d'horreur ou de repoussoir chez certains. Elle peut engendrer des silences mais aussi une fascination quasi agissante. Nul ne sait en effet si les corps obsolètes ne vont pas sortir de leur prostration et redevenir des cœurs habités de la joie de la génitalité. Ils peuvent émerger du silence, renoncer encore à leur incomplétude humiliée. Couquiaud prouve que la volupté peut prendre des voies particulières et que tout demeure possible. Du grisé à la griserie le saut dans l'impossible représente encore une hypothèse désirable tant que demeure la seule certitude vitale : "l'amour est une arme de construction massive".

     JPGP

  • Les Plumes d'Éros

    Bernard Noël

    P.O.L  ÉDITEUR

    441 pages

    29 euros


    Bernard Noël a regroupé tous ses textes « érotiques » (même si ce mot est trop restrictif et fallacieux) publiés ou inédits afin de montrer que la plaie d'amour est autant dans la tête que dans le corps. Autant dans le masque des postures et impostures que dans la chair et la peau. Bref l'amour n'est pas qu'un « désir de duvet ». Sous le frémissement du cru se cherchent des figures d'Éros parfois inattendues. Il y a autant des « Parois partout (que) des planches en l'air ». L'espace du corps est une caisse qu'un peu d'obésité mentale se plaît à soulever.


    De la noire sœur naît du désir mais autant de la langue. Parfois fourvoyée elle se transforme aussi en une bouture de nuit qui permet  de revoir le jour. Et si la voix « bâtit de l'air en croyant dire l'amour » il arrive que la bouche ait devant elle une profondeur de vie sur l'infini des lèvres. Le cerveau garde ses rêves mais la viande est son lit. La tête crée donc la grandeur du sexe et pas forcément par désir de miroir déformant.


    Mais Bernard Noël sait que le corps ne possède pas assez de sexe pour multiplier ses dimensions. Il lui faut du langage pour tenter le saut vers ce qui le presse pour ne pas seulement tenter de résister à la mécanique de l'espèce. Le texte lui-même (lorsqu'il ne tombe pas dans le factice) sert de support au jeu d'un « Nous ». S'il peut le dévoyer il peut tout autant mettre le bas dans le haut. Et si l'on sait le danger des tête-à-queue dans les écarts de conduite, le texte peut creuser les reins vers l'invisible. Il suffit presque à son jaillir et le cœur peut venir quand il s'abouche à la blessure de l'Origine.


    « Les Plumes d'Eros » appelle le vivre essentiel. L'ensemble des textes réunis par leur auteur devient la venue d'une lumière profonde qui s'empare de l'ombre trouble de l'intime. Son secret est un besoin de matière. Et son manque est un infini. La langue touche alors une serrure dont la « combinaison » demeure souvent cachée. À la condition que le corps ne soit pas qu'un mot. Sa vérité tient dans son ouverture s'il met sur la douleur et sur le plaisir un grain de souffle.

    JPGP

  • TERNAIRES

    Maurice Regnaut

    Editions P.J.Oswald

    80 pages

    1971

    ______

    Cette note sur un livre de 1971 Ternaires permet d'éclairer l'oeuvre de Maurice Regnaut. On peut découvrir la page qui lui est consacrée sur le site d'Incertain Regard. J'engage les lecteurs à lire sur le site du poète Maurice Regnaut, qui est mort en 2006 nombreux de ses textes essais, poésie, théâtre.. et à découvrir son oeuvre et sa voix, qui demeure présente vivement dans son écriture.

    ______

    Ternaires,

    « Il ne viendra jamais rien que la nuit sur la neige »

     

    Ternaires a paru aux éditions Pierre Jean Oswald en 1971. Ce titre de Ternaires renvoie nombre trois, tel le nombre de vers composants les poèmes. Sans doute les acceptions de ce mot nourrissent des significations plus larges comme peut-être celle du rythme dans l'écriture.

    Le livre est composé de quatre ensembles. Le ternaire

    « Quai, rails, horloge, / Et soudain le déclic de l'aiguille / Sur l'univers. »

    les précède et ouvre le livre comme pour en indiquer le propos. Numérotées de un à quatre chacune des parties est composée d'une dizaine de poèmes de trois vers.

    Cette conscience de vivre

    « M'étendre sur la terre, / N'être plus que le temps qui va / Me supprimer. »

     

    Le premier ensemble de poèmes paraît circonscrire la conscience du poète quant à sa présence au monde. Il s'agrège autour de ces poèmes le sentiment tangible d'une finitude inévitable et celui plus diffus de l'absurde face à l'infini. Qui n'a pas été emporté par ses pensées dans les méandres d'un réel impensable face à la dimension de infinie l'univers et aux limites de la réflexion humaine. Réalité inimaginable que notre vie pensée à l'aune de cet univers et où soudain, un relent de mal-être nous rattrape.

    Je crois discerner dans ces premiers ternaires, les signes d'une écriture qui caractériseront celle de Maurice Regnaut dans ses autres livres.

    -Le jeu avec la sonorité, l'homophonie et les répétitions : si vert le vert

    -Une écriture jouant avec les oppositions de sens, la contradiction langagière et les changements de registre : Si noir, si clair, le bleu si rouge,

    -Et enfin, des inversions dans la construction grammaticale des vers qui donne à son écriture, un rythme et ce phrasé particulier reconnaissable que l'on retrouvera dans ses livres :

    Si lourde au pied mon ombre.

    Les autres vers qui montrent la conscience de cette finitude simultanément à celle du vivre s'accumulent au cours de cette partie : »Comment suis-je encore ici » ; « Grands tournesols / Le soir / face à l'horizon vide. »...

     

    La conscience du rien

    « O monde immense / Et moi / En mes mots seuls ! »

     

    La deuxième partie du livre paraît isoler l'homme, le poète et le monde. C'est le moment de réflexion  avant un choix. Le poète possède la conscience d'un soi seul au monde, comme ce ternaire en témoigne. Le poète est l'être de la parole, des mots et du langage. L'homme qui le devient dans cette conscience de vacuité de l'univers doit choisir,

    Monde ou poème / Choisis ta foi / Ou sois folie.

    Dès lors, l'homme et le poète confondus savent ensemble qu'il ne faut rien attendre,

    Il ne viendra jamais / Rien / Que la nuit sur la neige.

     

    Extraire du néant

    «  La nuit vient , ma rare, / Et ton corps encore / Plus beau qu'au soleil. »

     

    Les parties trois et quatre me semblent plus énigmatiques. Le poète doit se nourrir du rien, puisque cela seul est présent, à la fois intangible et pourtant immémorial. Au sens perdu d'un monde, à l'absence d'un dieu, le poète interpelle la nuit - appelée - (p),  nomme les poussières - visibles - (p 42), rend témoin d'une présence le silence, l'écume et la lune (p44)... Il énumère le tangible du monde ! Face à eux le poète les transcende dans le regard qu'il leur porte. Il substitue au rien, le vrai de la parole. Dis-moi que rien n'existe, ô dis-le moi, / Que le seul vrai soit non ce rien, Mais ta parole ! On trouve dans ce ternaire, ce qui sera constant dans la poésie de Maurice Regnaut, la présence du VRAI dans la parole. Dans la parole du poète Maurice Regnaut. Il y a dans les poèmes de cette troisième partie les strates d'une nouvelle naissance. Pour vivre, recommencer à vivre en homme mortel sous les auspices - acceptées - de la finitude humaine.

     

    Vivre

    « Et ne plus être au cœur du bleu, / Terre , / Qu'un seul cri ! »

     

    La quatrième partie est comme une sorte de réconciliation du poète avec la vie. Il semble l'accepter pour ce qu'elle est dans ses limites, après que tout homme eût empli son existence de sens en dehors de toute expérience mystique. Cette dernière partie loue la lumière, le soleil et l'éclat des couleurs de la vie.

    Bleu à bleu, feu à feu bleu, et dire / Que j'aurais pu ne pas vous voir jamais, / Myosotis de ce monde !

    Le livre est-il le fruit d'une expérience existentielle ? Hormis ce titre faisant référence à la forme trois du ternaire, quels sont les autres sens auxquels il se rapporte ? Peut-être contient-t-il dans les phonèmes le composant, celle de « terne » qui pourrait être rapprochée avec l'humeur qui aurait accompagné son écriture ? Ou pourquoi pas un néoadjectif décliné de terre à l'instar de lunaire ? Le dernier poème pourrait en témoigner :

    Ce bruit d'eau dans la nuit, / Dors, / C'est la Terre.

     Alors ces poèmes seraient propres à notre planète habitée par l'homme - seul - dans l'univers mais qui ne cesse fébrilement de s'interroger sur le sens de son existence.

     

    « Entre le hêtre et l'homme, O honte, Était le tremble. »

     HM

  • Masque de nuit

    Anne Mounic

    Éditions Caractères,

    128 pages

    25 Euros

     

    Lune de Miel

     

    Anne Mounic a beaucoup parlé des autres, de Silvia Plath à Djuna Barnes, de Catherine Pozzi à Claude Vigée, bref de tous les réenchanteurs – souvent endeuillés - du monde et de l’être. Elle ose aujourd’hui avec « Masque de nuit » son livre le plus intime sous forme d’un « carnet de voyages poétiques » et sous couvert (mais pas seulement) d’un sentiment nocturne de l’amour en partie inassouvi.

    Ce texte n’est pas un journal intime en dépit de ce qui y est exprimé. Il dépasse ce cadre. Fascinante et parfois presque (le presque est important) douloureuse, une déambulation ouvre un regard sur l’intériorité. La mémoire souterraine (et non plus anecdotique en dépit de certaines indications) joue donc à plein « vers des lieux de partage au cœur de l’intime » (p. 29).

    Anne Mounic écrit contre tout ce qui sépare. Elle cultive pour cela une certaine contention. Cette dernière donne sa force au livre. Ses mots reflètent un soleil noir face à un azur idéal dans un temps qui s’enfle ou se rétracte suivant les moments : « La poitrine se contracte comme le moignon d’un iris fané puis s’épanouit à nouveau telle la fleur de l’esprit » (p. 90). Le mystère de l’existence est là mais l’auteur ouvre un équilibre entre paysages du dehors et de dedans - quels que soient ces dehors et ces dedans.

    L’écriture reste toujours simple, dépouillée. Elle se fait gardienne d’une vérité d’autant plus forte que chez l’auteur la beauté n’est jamais vierge et pure. Elle est, comme la lumière du livre, une noire sœur qui caresse. Elle est aussi de chair. Si bien que le retour de l’amour – mais est-il jamais parti ? - est un retour aussi mental que physique. Il reprend toute sa réalité jusque dans la mort.

    Anne Mounic dit à la fois le « je, tu, il, elle, ici et maintenant » (p. 105). Elle sauvegarde de la sorte son être et sa parole. Si bien que, comme chez Claude Vigée, son être est sa parole. Son livre la rassemble et la diffracte en des métamorphoses qui excluent la métaphore. Cette dernière sert trop souvent à cicatriser, à édulcorer. La poétesse le refuse.

    Dans des territoires qui sont autant des confins que souvent des lieux d’arts où « l’ombre nous ravit, nous emporte, nous enchante » (p. 19), Anne Mounic crée une nouvelle attente et confirme une alliance. Elle s’y sent bien mais s’interdit à elle-même d’y jouir pleinement comme dans de jolis draps. De cet empêchement naît pourtant une trame d’une paradoxale fraîcheur adolescente.

    Celle-ci est issue d’une grande sagesse de vie et d’écriture. Les textes se situent en dehors de la déréliction. La poétesse n’est pas encore suffisamment âgée pour tomber dans ce travers. Il gâche parfois - en poésie comme en littérature en général - les livres qu‘on désigne comme ceux de la maturité (par élégance de style).

    Si en art les peintres osent parfois (de Renoir à Picasso) des légèretés dont ils se privaient avant, les poètes parfois gaspillent cette possibilité. Chez Anne Mounic elle demeure présente même si son livre est grave et ne craint pas d’explorer les empreintes de l’abîme. L’auteur arpente des pans de son existence sans acrimonie. Un constat douloureux est présent. Mais il demeure comme tel, presque neutre et sans pathos.

    L’absence rampe sans cesse. Elle n’ouvre pas pour autant au chagrin et à l’amertume, à la détresse ou la colère. Anne Mounic trouve toujours la force de l’émerveillement face aux grandes œuvres d’art comme face aux choses les plus simples que répertorie ce voyage dans la « jouissance du seuil au soleil du sommeil » (p. 20). Mais du sommeil paradoxal.

    Quoi de mieux alors pour résumer ce grand-livre que cette phrase « Non, il n’y a pas lieu de s’attrister, l’amour est là, entre nous deux, tissé bien plus tranchant que cette brève absence… » (p. 98). Notons cependant la présence des points de suspension. Ils prouvent combien la poétesse connaît la compréhension de l’abîme. L’irrécusabilité toujours possible de l’absence fût-elle brève peut provoquer une distance pas toujours facile à combler. Mais il vaut mieux cela que le ballet austère de l’indifférence.

     

    JP G­­P

     

  • Haro sur la bête

    Louis Savary

    Gravures et dessins de Baudhuin Simon

    Editions de l'Ane qui Butine, Mouscron Belgique

     

     

     

     

    Le poète Savary n’est pas forcément un sage. Et c'est tant mieux. Il rappelle qu'en nous les loups hurlent et que le porc n'est pas toujours épique. La maïeutique du poète représente un va et vient entre l'homme et ses bêtes intérieures. En soi(e) le ver est donc profond. Et les perroquets qui disent « merde » en nous ne sont pas les seuls à  trouver ça drôle.

    Savary prouve que l’hygiène la plus intime est celle de l’esprit. Il rappelle que l'odeur de l'homme peut-être un parfum de brebis ou de cochon qui sans dés dit. Et si le lièvre de la fable sait que La Fontaine est un menteur, les cochons de Savary savent que ce dernier dit la vérité. Le Wallon sait en effet que l’homme chercheur de truffes s’accommode d’une laie. Et les deux pensent qu'ils ont bien du mérite.

    Partant de sa propre expérience, car une poésie bien ordonnée commence par soi-même, Savary ne nous caresse pas dans le sens du poil. La vache en lui comme en nous ne rêve pas forcément de l’Inde. Et il comprend qu'il n'y a pas que les souris alcooliques pour aimer le Chablis. Il sait aussi que si l'homme a la langue pendante c'est parce qu'en lui il y a un chien voûté et que l’éléphant qui nous habite vit dans la hantise d’être trompé.

    Face aux philosophes à qui il faut toujours un mitigeur de morale Savary  fait passer du fleuve du songe aux affluents du réel. C'est pourquoi il laisse parler la bête en nous. Celle dont l’excitation du gland plus que son calibre fait de l’amoureux transi un éjaculateur précoce. Son rat d'eau méduse et on découvre  en lui le manteau de vision.  

    Grâce au poète on comprend que même un dompteur de panthères peut mourir d’amour. Une charmeuse de serpent aussi. Mais ce n'est pas parce qu'elle dort en chien de fusil qu'elle doit nécessairement épouser un chasseur. On peut estimer enfin que lorsque le canard rit jaune  trop de raies alitées font des succès damnés. Savary nous laisse ainsi avec les bêtes en soi. A nous de faire avec. Et en avant ! doute !

                 

    JPGP

  • Perméables

    Ilarie Voronca

     

     

     

    Éditions Le Trident Neuf, Toulouse

     

    13 €

     

     

     

     

     

    Voronca a enfermé sa vie dans ses livres comme un commentaire, comme les traces d’un autre. Ses hallucinations étaient la terre de sa création. Mais celui qui voulait bâtir un autre ciel de chair s‘est enfermé dans lui-même. Comme beaucoup d’écrivains roumains de son époque il s’était lancé dans l'aventure du modernisme. Rappelons qu’en 1924, alors que paraît en France le "Manifeste du surréalisme", Tzara fonde avec Ilarie Voronca la revue "75 HP" qui réunit dans ses pages "l'avant-garde de Roumanie" et perpétue l'esprit dadaïste. Avec Victor Brauner, Benjamin Fondane, Jacques Hérold, Claude Sernet, Tzara, Paul Celan, Brancusi, Eugène Ionesco, Eliade, Emil Cioran, Gherasim Luca, Panait Istrati, Anna de Noailles (née Brancovan) il est donc un des messagers des mots et des images.

     

     

    À travers l’expérience existentielle et poétique l'immense poète roumain qui écrivait en français, n’a cesse de parler d’un creusement de l’humain. Son œuvre est une expérience spirituelle et physique où le corps et l’esprit, liés, se confrontent à un infini et font face à leur propre finitude au sein d’une proclamation d’espoir dont « Perméables » témoigne mais dont sa vie témoigne moins. En un soir d’avril 1946 il rentre chez lui, s’enferme dans sa cuisine, en calfeutre porte et fenêtre. Il avale tout un tube de somnifères, arrache le tuyau de gaz. Sans laisser un mot derrière celui ce "frère des bêtes et des choses, des livres et des villes, de l'espoir et du malheur" se donne à 43 ans la mort. Être dans son corps réel ne lui suffisait plus. Il lui fallait non seulement briser la solitude, célébrer par son acte « la fin du règne de la soif » mais signer le fait de n'avoir en fait "qu'entrer dans la vie d'un autre" et non dans la sienne. Il laisse ainsi derrière lui une suite de chants inachevés preuve comme il l’écrivait à la fin de « Perméables » que « nous ressemblons à un gant retourné ou à une terre perméable qui, dans un circuit sans fin, est en même temps la terre traversée et la terre qui traverse ».

     

    Son écriture reste un milieu physique presque inhabitable. Le poète y éprouve concrètement l’expérience de la finitude, de la fragilité, du constat de la dissolution du corps. Il révèle en même temps que cette dissolution du corps est une opération de creusement et d’incandescence par quoi, dans l’épreuve de la solitude, nous nous débarrassons progressivement de ce qui nous encombre et fait se lever un appel dévorant. Le chaos se retourne sur lui-même, la lumière se concentre. Elle efface les ombres du moins un temps par la voix du poète. Du chaos aux échos, il y a dans le retournement langagier. Il devient le signalement du retournement opéré, à travers le langage, dans la conscience de celui qui parle.

     

    Voronca fait émerger un espace de l’indifférencié, de la privation portée à son comble et qui, par là même, fait surgir le noyau de l’infracassable. L’écriture du poète est toujours dense. Son économie verbale témoigne du creusement de l’Être qui culmine, éblouit, conjure et à la fois purifie et absorbe la vision du monde. Voronca n‘hésite pas quand il le faut à ajouter du privatif au privatif en un processus paradoxal dont témoignent les mystiques pour mettre à jour l’état de manque. Dans « Perméables » cependant la ligne ne se brise pas mais il est possible que l’ensemble tend à s’annuler prodigieusement en une géométrie de l’air et de l’espace.

     

    Le lecteur avance jusqu’à ce qu’il rencontre la nuit mais pour percevoir la lumière qui l’annule d’un seul regard, d’une visée. De ce corps à corps avec soi-même et par l’expérience concrète du poème l’auteur mesure chaque arpent de notre non-lieu par le sien jusqu’à s’abolir lui-même. Le texte devient lieu d’acquiescement et lieu habitable. Habitable dans la fragilité, la métamorphose et l’éphémère sont assumés avec une maturité absolue d’expression. Comme dans une œuvre abstraite, mais aussi profondément phénoménologique, le discours poétique s’articule de manière oxymorique. Les couleurs blanc et noir, la parole et le silence, la nuit et le jour, la vision et la cécité, les voyelles et les consonnes, la ligne d’horizon et le cercle, l’œil et la bouche, le stable et l’instable, la présence et la perte se déclinent en images et figures complémentaires d’une recherche du sens.

     

    L'écriture de Voronca traduit la position ontologique post-moderne. Il faudra bien sortir du « je », du jeu des apparences à travers une scrutation quasi hallucinatoire de ses composantes, pour déboucher sur la seule position qui vaille : celle de l’errant, d’un marcheur, poreux et perméable à un univers de signes en constante mutation. Mais la parole du poète roumain reste aussi une approche kaléidoscopique d’un réel aux multiples potentialités. Elle entre dans l’abîme de la porte, dans les profils pleins, les profils creux, les profils tombés dans l’espace éclaté de toutes les portes. Face à une réalité (le jour, le paysage, la chambre, les murs, la claustration) qui s’avère inquiétante, étouffante, le poète aura écouté la nuit monter comme il aura entendu sourdre le rêve comme les gouttes de solitude dans la chair des vivants.

     

     

    JPGP

  • Aspects riants

    Paul Badin

     

    Éditions de l’Atlantique, Saintes

     

     

    Chez Paul Badin et contrairement (peut-être) aux apparences ce n'est pas le paysage qui est langage mais bien l'inverse. Dans la fluidité et la simplicité de ses images la poétique découpe tout un univers bien plus complexe qu'il n'y paraît. Par-delà le paysage d'autres arrières fonds se dégagent non seulement par "la mise en lumière de clairs obscurs" mais par ce qui reste chez l'homme "de fringales d’enfance". À savoir - par-delà tout ce qu'il a raté - ce qui demeure en lui de mystère et peut-être d'accomplissements à naître sur le versant du soir de sa vie. L'auteur a d'ailleurs toujours été fasciné par cette quête à travers la durée et l'espace. Il faut relire des livres comme "Les plis du temps" pour repenser la première ou " Gouttes d’Afrique" afin d'en estimer le second.

    Paul Badin crée des possibles auxquels nous donnons, nous, le nom d’histoires. Chacun de ses poèmes devient une fable. À savoir quelque chose qui tente de tenir debout, de tenir le coup alors que notre histoire ne sera jamais rien d'autre qu'un écart. Toutefois le poète par ses agencements d'images et d'interstices rappelle le désordre qui nous habite au sein même du quotidien. Il crée ses indices « d’évidences » et ses cassures en réaction profonde aux dynamiques du réel. D’où cette insatisfaction par la beauté qui surgit de ce livre. De son trouble aussi. Contre le « chaomorphisme » surgit l'attente d’un monde en dépit des dépressions que fait subir parfois l'existence.

    Ce qui est écrit et montré n'est donc plus ce qu’on voit souvent à travers les images : la trahison par le mensonge de l'exhibition de seuls temps forts. À l’inverse Paul Badin évoque une sorte de manque. Son texte en devient la métaphore mais aussi sa fulguration Cette affirmation formelle exige un degré supérieur d'abstraction esthétique. Le travail de Badin n'est cependant jamais formaliste. Il implique un degré important de recueillement et de réflexion. S'abstenant de toute pensée discursive, le créateur pense par images dont la solennité de l'éphémère n'est pas absente.

     

    JPGP

  • Anthologie du projet MW

    Robert Wyatt

    Anthologie du projet MW
    (Poèmes traduits par J-M Marchetti et CD de Pascal Comelade,)

    Aencrages And Co, Baume les Dames,

    240 page

    20 €

     

    FORCE ET FRAGILITÉ DE ROBERT WYATT

     

    Wyatt est un artiste transversal et un dessinateur d’espaces sonores. Sa volonté demeure de faire vibrer le et les sens. On peut le définir comme un voyageur utopique. Il se voulut d’abord peintre et écrivain. Il entra d’ailleurs dans la musique sous le patronage de Dada et de la Pataphysique. En pénétrant dans l’art qui allait lui permettre ses explorations les plus probantes le barde, après l’aventure de « Soft Machine », dégringola de plusieurs niveaux avant de composer un des albums les plus importants de l’histoire de la musique populaire (en la faisant rejoindre une musique plus savante) « Rock Bottom ».

     

    Aencrages and Co fait ici coup double. D’abord en compilant 80 textes de Wyatt et de sa compagne Alfreda Benge en collaboration avec le plasticien et pianiste Jean-Michel Marchetti. Ensuite en joignant à ces textes un C.D. de reprises minimalistes de Pascal Comelade. Ce dernier offre une lecture sonore nouvelle de Wyatt. Les textes du compositeur et auteur sont magnifiques et ouvrent à bien des dérives « dans la ville aux portes closes, des hommes vivants miment des saints gisants, sur des surfaces gondolées ». Se retrouve dans les mots la voix feulée (à la Chet Baker) de l’artiste. On sait combien elle porte en leurs quasi-murmures les textes d’une sensibilité rare. Ils peuvent traiter d’un tableau de Magritte, de la dénonciation de la guerre des Malouines ou encore du bombardement de Tripoli. Jamais le désamour du monde précipite Wyatt dans les plis de la rêverie « vide ». Alors que Wyatt a parfois de quoi s’assombrir, l’île noire de ses imaginations reprend le dessus et la machine de travail se réenclenche dans une approche subversive pour dépasser la fin des mondes.

     

    Wyatt est par excellence un artiste contemporain. Il porte le poids de l’Histoire mais lui donne une dimension humaine jusque dans les lignes mélodiques qu’a reprises et comprit Comelade. Force, douceur, fragilité sont liées dans les textes comme dans les musiques. Wyatt demeure exceptionnel dans les rendez-vous qu’il propose en faisant irruption dans nos vies par ses formes, ses structures musicales et les comptines à facettes de ses textes. Baroque et classique, il nourrit notre écoute d’une grande part d’inconnu. Reste à prendre une attitude suffisamment ouverte pour entrer dans l’œuvre non comme on visite un monument mais comme on explore un environnement neuf fait d’ondulations et de variations.

     

     

    JPGP

  • Vanités, Carré Misère

                                  vanites.jpgYves Boudier

    Editions de L’ACT MEM

    N° ISBN : 978-2-35513-031-1

     

    Date de parution : deuxième trimestre 2009

     

    Nbre Pages : 144

                                                               

    Passé la lecture du texte de Michel Deguy Propos d’Avant, puis les trois citations de Sophocle, Beckett et de Patrick Declerck en introduction du livre, la pagination nous conduit vers un face à face avec deux carrés picturaux.

     

    L’un est la reproduction d’une Vanité du peintre David Bailly daté de 1650 Le portrait d’un serviteur, l’autre est une photographie d’un sans-abri – comme on les nomme pudiquement – prise à Paris en 2005. L’absence du nom de l’auteur de la photographie nous renvoie à un double anonymat, et à cet homme d’abord, ce sans-abri qui  nous regarde droit dans les yeux.

     

    Les trois citations et ces deux représentations nous placent dès les premières pages au centre du livre. Avec lui Yves Boudier pose l’hypothèse que ces hommes et femmes dans le décorum de nos villes,  que nous voyons et laissons dépérir dans les rues, seraient les Vanités d’aujourd’hui. L’homme  –  le sans-abri  - sur la photographie a remplacé l’homme – le  serviteur - de la Vanité.

     

    Les Vanités sont des natures mortes, représentant des possessions terrestres, censées illustrer par delà la mort une réussite sociale. Éphémères possessions au milieu desquelles la représentation d’un crane rappelle la temporalité de la vie.

     

    Le livre est composé de huit ensembles tous ponctués en introduction de vers de L’épitaphe de François Villon

    Frères humains qui après nous vivez, N'ayez les cœurs contre nous endurcis,...

     

    Les poèmes présentent une écriture à la forme scindée en deux parties. Une forme singulière  mais non ad hoc à ce livre et que j’avais rencontrée dans un livre précédent d’Yves Boudier intitulé, . Caractérisée par cette forme générale évoquant  la scission, l’écriture se nourrit, me semble-t-il, à des scènes issues, de la vie quotidienne, de tableaux ou de photographies.

     

    Yves Boudier suggère qu’à bien des égards, les hommes et les femmes  sans domicile, qui errent dans les paysages de nos villes s’apparenteraient à des Vanités modernes. Comme cet homme sur la photographie, trainant dans un chariot de supermarché les vestiges des choses qui emplissent nos vies d’occidentaux. Le dénuement de ces personnes errantes regroupées  dans les villes, assises, couchées comme exposées est le revers de fortunes devenant indécentes.  Accumulations de richesses parfois iniques et aux excès morbides dont les sans-abris seraient le triste corolaire. Voici peut-être le lien qui existe, comme inversé, avec les vanités.

     

    Potentiellement inscrite dans ces scènes de rue, dans la détresse et le fatalisme des relégués de nos sociétés l’ombre de la mort plane. Car c’est bien la mort qui est au centre du livre. Des poèmes en témoignent très vertement dans des scènes expurgeant du corps ses organes. Sont-ce des scènes d’autopsies ?   

     

    Sur la table/     le cœur/ le  foie/ un œil/    

     

    ou plus loin    

     

    Ses organes        sous ses yeux / les voient défiler /

     

    En lisant certains de ces poèmes, je ne peux m’empêcher de songer à cette récente exposition - d’art nous dit-on ! Our  body  - qui fut finalement interdite, en France. Elle montrait des corps humains écorchés, conservés  par un procédé dit de plastination,  qui laisse les tissus internes et les organes absolument et monstrueusement  visibles. Cette exposition est symptomatique du cynisme de nos temps où le corps, mort et exposé, au nom d’un pseudo art est employé comme une matière première. Il y a dans cette hypocrisie là, consciente ou non, une transgression des valeurs humaines. La barbarie se répète sans jamais se dupliquer de la manière.

     

    Quand l’intérieur du corps n’est pas inventorié, des détails le montrent soufrant.  On pense alors à des tableaux Francis Bacon  ou  à des scènes de tortures. 

     

    Épines/ sous l’œil / grandes venaison/ de cadavres/ La corde croche/dans l’articulation/ s’étirent les chairs/ jusqu’à la déchirure/ Os tombent au sol / secs - viandes

     

    ou encore

     

    Celle qu’on aimait/ tant qu’on voulait / (la tuer)/:jusqu’à lui plier / les phalanges / déjointer  / le cartilage / de sa / voix/ (sa grâce)

     

    Le corps expie. Mais pour quel crime ?

     

    D’autres poèmes du livre nous montrent des scènes de rue,

     

    Couchés/ sur les grilles / d’où souffle/ une vie épaisse / flaques d’huile/ de pisse/ poussettes orphelines/ écrasées / de sacs /…

     

    et nous recroisons soudain dans notre mémoire ces Carrés Misère éparpillés dans la ville cosmopolite. Abris de  fortunes le long des voies expresses et des chemins ferrés, couches innommables, matelas de cartons, baldaquins noirs de sacs poubelles sauvés des bacs aux matins froids, apostrophes des passants que nous sommes. Témoins silencieux, têtes basses. Ces scènes Yves Boudier les traque dans la cartographie des villes. Elles le happent, l’interpellent. Lui l’homme, le passant et le poète ensemble. Ce livre est le fruit d’une solidarité vraie où Yves Boudier nous interpelle à son tour. Il intercède et unit sa parole, par les courtes citations et fragments qu’il cite, à celles de poètes et d’écrivains que sont Shakespeare, La  Boétie, Spiniza, Appollinaire, Paul Celan… Cela suffira-t-il pour que notre société mondialisée sorte de sa léthargie amnésique ?

     

    Ce livre entre en confrontation directe avec les symptômes de notre temps malade. C’est bien là le travail du poète que de baliser les précipices. Une menace, le sombre, la mort rôdent ici explicitement. Vanités, carré misère,  est le livre d’un poète qui interroge son époque. Et en se questionnant sur notre société, Yves Boudier nous interroge à notre tour.

     

    Naissons      un par un

    mourrons     un par un

     

                                       tomberons d’un corps

                                       à son tour

     

    (de) lui-même              tombé

                                       nu        comme un mortel

     

                                       délié de son labeur

     

     

     

    Chacun paiera sa dette

    : horizontal

     

     

     

    HM

     

  • ça

    CA F VENAILLE.gif 

    Franck Venaille

     

     

    Mercure de France,

     

    152 pages

    15 €

    Voici sans doute le livre le plus grave et le plus poignant de Franck Venaille. Bien malin celui qui y trouvera     encore une once d’espérance. Mais à l’inverse la nostalgie n’est pas plus le fait d’un poète rare et dont un récit, « Caballero Hôtel », fut une révélation.

     

    Sans doute l’auteur ne possède pas la place qu’il mérite. Et « ça » ne lui donnera pas d’ouverture. L’ensemble de ses poèmes est trop aride, trop rêche. Mais ils surgissent pourtant comme des révélations. Ils possèdent (même si Venaille a dépassé la soixantaine) quelque chose d’immensément rimbaldien.

     

    On ne dira pas que lire de tels textes est un plaisir. Mais on lit aussi afin de ressentir par un autre ce qu’on ressent en soi-même. Et voilà que ça coule à nouveau « Comme les enfants saignent du nez / Sans savoir pourquoi ».

     

    Nul ne sait où sont passés nos pères et mères. Rien ne sert de monter en chaire et en chair pour le demander. Les prie-Dieu grincent. On se met à tousser. Nous restons les vieux enfants terrorisés par le sang des femmes et leurs linges louches qui séchaient aux fenêtres. Il ne faisait pas bon être sensible en ce temps-là.

     

    C’est pourquoi Venaille n’écrit pas en pensant à autre chose. Sauf exceptions. À savoir les beaux garçons qu’il a croisés. Plus de soixante ans que ça dure (mais en retirer quinze d’inconscience). « Gaumont. Pathé ». Les actualités. D’hier les actualités. Le poète est sans goût pour l’école. Il rêve encore d’être le solitaire mystique en chambre de bonne 6ème sans ascenseur. La concierge est dans l’escalier.

     

    Enfance pieuse. Pluie fine. Crachats de Dieu. Messes à n’en plus finir. Eau bénite. Quitter cet endroit où parler fort est prohibé et où les corps sont rarement musclés (sauf sur des fresques italiennes). Vivre à l’heure le leurre. Et même après. Le corps le sait. Il le fait. Avec ses humeurs ombrageuses. Telle est la destinée du poète. « Sa vie sur terre ce fut ça ». Point final.

     

    JPGP