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Notes de lecture - Page 4

  • CONTRE-ALLEES N° 31- 32 AUTOMNE -HIVER 2012

    CONTRE-ALLÉES N°31 / 32

    ISSN : 1291 - 4096

    ANNÉE :Automne- Hiver 2012

    PAGES : 140

    Prix : 10 €

     

    Le numéro 31 – 32 de la revue Contre-Allées vient de paraître en ce début d’année 2013. Passés la couverture – un collage – que l’on doit à Valérie Linder et la présentation singulière du sommaire,  la lecture de l’éditorial de Romain Fustier ravira avec humour nombre de lecteurs.  Une quinzaine de voix à lire, à découvrir dans ces pages, parmi lesquelles celles de Jacques Ancet, On ne reconnaît rien. On se perd dans les bribes. On dit voilà la vie : des bribes, des bribes. Il est  l’invité de ce numéro avec un bel ensemble de textes en versets d’où perce sa voix. On lira Olivier Bourdelier, Chante Valérie / la villanelle jolie / avant l’hiver avant / le temps des couteaux., Marie Huot,  À quoi ressemblons-nous dans la tête des autres ?  Et Philippe Longchamp, Emmanuel Merle, Mira Wladir… Ou encore Cécile M. Rapin qui publie ici pour la première fois : Notre désir/ toujours / a fait des restes / et l’amour, là-haut/ s’est mis à regarder.

    Dans le numéro,  deux questionnaires sont proposés.  L’un à des poètes, il concerne l’espace entre l’écriture et la réécriture, l’autre à des éditeurs de poésie sur les critères de sélection des textes qu’ils éditent. Et les réponses sont riches d’enseignement et suscitent le vif intérêt du lecteur. Je suggère la lecture de ces entretiens à tous ceux qui désirent écrire de la poésie – et à tous les autres aussi ! -  et qui se posent mille et une questions. Ces réponses seront alors d’une aide certaine ! La poésie n’est-elle pas justement dans cet écart, cette inaccessible, impossible déclaration ? s’interroge Luce Guilbaut. On lira aussi Cécile Guivarch, Cédric Le Penven et James Sacré. À lire, à relire, à méditer ! Les textes concernant les éditeurs présentent le même intérêt et sont révélateurs de la manière dont ils abordent les textes qu’ils reçoivent. Sandrine Fay pour Éclats d’encre termine ainsi : Être touché est sans doute mon principal moteur de sélection. Jean Le Boël pour les éditions Henry, Anne Belleveaux pour Potentille et Jean-Louis Massot pour Les carnets du Dessert de Lune ont aussi répondu au questionnaire. Après la lecture de ce numéro des questions m’assaillent, redondantes. Qu’est-ce qui fait poésie dans le texte, voilà bien la question ! Et le vers ?  Un retour à la ligne ne suffit pas toujours à faire poésie. La forme…? Celle de Christian Vogels m’interpelle. La lecture : pas aisée ! Mais à haute voix, elle restitue bien un rythme ! On termine le numéro sur les nombreuses notes de lectures livres et revues. Voici un beau numéro pour commencer l’année !

    hm

  • LES TRAVAUX DE L'INFIME - JACQUES ANCET

    Les travaux de l'infime.jpgLes travaux de l’infime

    Jacques ANCET – Alexandre Hollan pour les dessins

    Éditions Érès

    ISBN : 978-2-7492-3331-4

    Été 2012

    312 pages

     

    Avec « Les travaux de l’infime » paru dans la nouvelle collection PO&PSY in extenso, les Éditions Érès proposent des textes d’auteurs précédemment  édités dans la collection PO&PSY en les restituant dans l’ensemble plus vaste qui les a vus naître (Recueil thématique intégral ou œuvre poétique complète).

    Avec sa jaquette en papier calque recouvrant  la couverture ornée d’un dessin d’Alexandre Hollan, le livre offre une belle présentation.   Il  est composé de trois grandes parties, les travaux de l’infime, portraits sans visages et pour ne pas finir où une même écriture témoigne tout au long des poèmes d’un univers perçu comme insaisissable.

    Le poète semble-t-il, ne sait rien du monde dont il soupçonne pourtant les beautés. Il quête, recherchant quels signes qui raviveraient ce monde et le métier de vivre ? Avec Jacques Ancet, le poète redeviendrait-il un voyant ? Mais ici un voyant du réel découvrant au-delà des choses nommées un univers plus grand que le regard ne le laisse à penser. Le poète questionne le monde qui l'environne.  Dans un va-et-vient continuel, il fouille un espace lové entre la réalité visible et celles qu’il pressent. Tout se mêle alors.  Concret et pensée. Présent et passé. Réalité et désir. Le poète œuvre avec ses travaux de l’infime dans tous les interstices possibles.  Il met à jour ces trésors de l’intime, ces petites choses infimes qu’il ressent, pensées et visions imperceptibles au premier abord  mais qui se révèlent pépites par delà son regard. Il recherche jusque dans « …l’échancrure des paupières… » les beautés de ce monde. Et la beauté surgit,  parfois même comme une blessure, dans une brièveté qui laisse soudain orphelin d’une extase. « …il voudrait s’y glisser, entrer dans l’éblouissement. Mais comment avec son corps ? ».

    Dans le premier ensemble éponyme au titre du livre, des étapes de la survenue du poème semblent décrites à mesure que l’on progresse dans sa lecture. D’abord,  avec la première partie qui pourrait renvoyer à  l’état d’attente que le poète éprouve avant l’écriture du poème. Une atmosphère de vacuité et d’attente s’en échappe durant laquelle les mots s’apprêtent à surgir au poème. L’alchimie du poème semble en œuvre. Alors la venue des mots se précise. Leur évidence apparaît dans l’incertitude et les tâtonnements : le surgissement lent du poème est en cours. « Brusquement le brouhaha / des voix se tait. Le silence/ est un éclair immobile./… ».  Et le poème s’impose sans dire ce qu’il est vraiment, un mystère parfois incontournable pour le poète. « Personne ne sait. Ni l’ombre entrée sans qu’on ne l’ait vue, ni la voix qui s’obstine à épeler le jour… ». Puis, il surgit dans ses éclats de lumières  « Dans l’éblouissement, toujours. Malgré l’obscur qui s’accumule. Les étincelles sur les cils et les objets, des formes de feu qui se confondent… ».

    Dans « Portrait sans visages » qui regroupe sept ensembles comportant tous dans leur titre le mot portrait, le poète semble rechercher des ombres. Qui sont-elles ces ombres que le poète croise, qu’il croit apercevoir puis qui s’effacent soudain au moment où il est près à les reconnaître ? Peut-être des disparus qu’une  mémoire obstinée n’oublie jamais et qui hantent dans des flous d'imprécis les visions et la pensée du poète. Portrait pour un silence  semble avoir été écrit autour de la figure absente de Henri Meschonnic  dont un vers, extrait de Puisque je suis ce buisson, est placé en exergue.

    La lecture des poèmes fait apparaître des paysages intérieurs, des territoires imprécis où chaque signe tangible disparaît en des lieux nés de l’imaginaire et du désir du poète. Les tableaux d’Alexandre Hollan accompagnent avec justesse ces clairs-obscurs, de leurs emmêlés de traits, de brumes grises ou de lignes esquissant des cartographies de territoires intimes. Ce que cherche le poète est peut-être lové là, dans le flou de ces brumes d’où tout peut jaillir soudain,  la beauté même que le poète espère.

    Du noir, du blanc ou de la lumière… De la présence puis de l’absence ou des ombres… Il y a le son des voix qui brusquement fait place au silence… On croit saisir ce qui s’échappe mais soudain tout devient  insaisissable. « On voit ce qu’on ne voit pas mais qui est là dans cette présence qu’on sent si proche ». Chaque chose se dérobe, s’efface, s’amenuise. Tout dans ces poèmes – en quête – est sur un fil. Le fil d’un réel qui s’infiltre par l’imaginaire du poète pour tenter de montrer ce que l’on ne voit pas mais qui cependant existe au-delà de la perception de nos sens. Ce sont ces interstices, ces limites impalpables que les poèmes en proses traversent, questionnent et découvrent jusqu’à la beauté possible. Ici la poésie fouille l’espace infime de territoires occultés en repoussant leurs limites à l’extrême. La voix creuse ces territoires,  en repousse les bords, tente de les élargir. Car elle sait que ce qui n’a pas été nommé n’existe pas. Jacques Ancet devient tour à tour aventurier de l’imaginaire, archéologue, explorateur de nouveaux territoires. Il œuvre à agrandir le réel en débusquant l’infime qu’il tente de nommer pour que - peut-être ? - nous puissions mieux y vivre.

    HM

  • L'OMBRE QUE LES LOUPS EMPORTENT (poèmes 1985- 2000), CHRISTOPHE DAUPHIN

    L’ombre que les loups emportent (Poèmes 1985-2000),

    Christophe Dauphin,

    Les Hommes sans Épaules Éditions,

    2012,

    470 p

    22 euros.

     

    Imprégné par les avancées du Surréalisme, Christophe Dauphin s’en est dégagé autant par son inspiration que par son écriture. Son livre est par excellence la  somme qui le prouve. Elle permet aussi de voir un pan du chemin de celui qui caresse l’utopie comme il ouvre parfois à des chants moins sereins. Adepte des voyages sous toutes ses formes, « par la rivière Kwai » comme sur « les pas de Baudelaire dans les voiles », de la nuit mexicaine aux  touffeurs de Samarkand,  à travers un tableau de Monet, de Madeleine Novarina ou de Frida Khalo le poète est  toujours au plus près de la vie : le monde est là. L’idéalisme du poète ne l’expurge pas de ses miasmes. De même sa propension à l’absolu ne prive pas le lecteur de toute une sensualité. Dauphin crée une œuvre qui se dérobe à l’ombre même s’il se dit « un crépuscule aux mains coupées ». Et si la poésie ne sauve pas elle cicatrise un peu. Certes la peau est souvent prête à éclater à nouveau, le sang pulse mais il n’empêche que l’écriture métamorphose tout – jusqu'au « collier de Buick et de Lada » sur l’île de Cuba.

     

    Il existe dans une telle œuvre des sortes de narrations plastiques poétiques qui forcent l'espoir en luttant contre la réalité lorsque nécessaire. L’écriture est donc la source de la résistance à la vérité instrumentalisée comme à l’amour déçu. La femme y est d’ailleurs présente de manière paradoxale, hors champ. Et le poème devient parfois par-delà la douleur  le lieu sourd de rêves provoqués par les attentes que la femme comme les lieux provoquent. Dans ces derniers réside toujours quelque chose d’intime qui joue de l’entre deux : l’ici et le là-bas, l’avant et l’après.

     

    Le visible et l’énoncé  suggèrent de l’invisible et du tu, du nous, du liant et du lien – c’est d’ailleurs une idée mère chez Dauphin. Un tel livre permet de traverser les couches sédimentaires  d’une œuvre et d’une existence. Certes son contenu ne se confond pas avec le signifié. Dauphin élabore des énoncés qui n’ont rien de « médico-légaux». Ils expriment un état particulier  de la visibilité du monde et de la profondeur des émotions et leur charge d'ineffable que l’artiste engendre et  nourrit.  Chaque texte révèle le cri de vie, d'amour, d'exigence intérieure. C’est pourquoi il se conçoit comme un espace à relire et relire pour découvrir ce qu’il en est - par-delà le poète - de l’être  et de ce qui le met en question et l’affecte dans sa relation au monde.

     

    JPGP

     

     

     

  • VISAGE VIVE -MATTHIEU GOSZTOLA

    Visage vive

    Matthieu Gosztola

    Éditions Gros Textes

    4e trimestre 2011

    ISBN N° 978-2-35082-169-6

    96 pages

    Format A6

    7 €

     

    C’est une courte prose qui introduit ce long poème composé de strophes courtes, irrégulières et espacées de blancs comme autant de silences surgis de l'incompréhension. Au fil des pages, les vers  évoquent  des souvenirs et des ressentis, seuls patrimoines intimes qu’il nous reste après un deuil. Des photographies de l’auteur intitulées « Inde » divisent le livre en trois parties possibles où l’on  devine les étapes d’une épreuve difficile. Ce poème rend hommage à un enfant disparu. L’écrire fut sans doute pour le poète l’unique façon  de maintenir sa présence. Et quoi de moins  incontournable que le visage pour honorer cette mémoire humaine ! « Mais le visage est une belle chose » écrit Matthieu Gosztola. Alors Visage vive, ce titre qu’il convient d’entendre comme « que le visage vive à jamais », suggère ici par l’évocation et l’expression de sentiments vrais, une présence. On ne peut  jamais admettre la mort d’un être aimé et à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un enfant. « L’enfant avec ses silences il se bat / Très fort/ Malgré les apparences il n’y a / Rien à faire de la mort ». Et ce refus s’inscrit dans l’écriture de ces vers à la fois narratifs, évocateurs et témoins d’une insupportable douleur.  L’écriture de ce livre fut semble-t-il  nécessaire. Impérieuse face à la douleur mais impuissante hélas, contre l’absence incompréhensible.  Des scènes, des moments particuliers  surgissent et ravivent la mémoire du poète en des flashs que le poème saisi dans le  tremblement de l’instant. L’emploi du nous et du on dans certains vers, montre ce désir fort de retrouver l’être perdu. D’ailleurs, les vers tout au long du poème ne cessent de s’adresser à ce disparu comme pour le maintenir vivant. Ainsi célébré il peut  à nouveau être réuni au poète : « Je suis dans tes bras-dans tes mains/ Quelque chose nous ressemble » ou  « Il suffit d’un peu / Pour que nos visages se/rassemblent ».  L’écriture rapproche et semble annihiler les barrières de la mort, retarder la conscience de cette perte « Je te garde toujours avec /Moi lorsque j’écris ». Ici  la poésie aide à survivre à ces tsunamis  de la vie « J’ai tellement hurlé / Que dans la respiration les mots / Sont apparus ».

    Par moments des vers sibyllins illuminent cette traversée douloureuse, comme des respirations nécessaires

    « Dès demain / Je serai ce que tu as cueilli ».

    Comment se  souvenir  à jamais, de cet autre qui nous fut si proche lorsqu’il disparaît ? Comment lutter contre l’affadissement de la mémoire, l’altération des souvenirs ? Comment faire face à la mort d’un être aimé ? Car le temps  emporte tout dans l’oubli, le poète choisit l’écriture et le poème pour lutter contre l’irréversible. Dans le deuil, tout possible oubli est pensé comme inadmissible et vécu comme un outrage à la figure de l’absent. Alors la poésie, même si elle ne peut y réussir totalement,  tente de conserver intacte par l’émotion recommencée : le souvenir du disparu,  la nature des sentiments, la fidélité de la mémoire,  l’empreinte d’un  amour fort. « Visage vive » est cet ultime appel  qui résonne hautement en refus à l’oubli.

     

    hm

     

     

     

  • Action Poétique, L’Intégrale - Dernier numéro - N° 207 à 2010

    Action Poétique, L’Intégrale - Dernier numéro - N° 207 à 2010

    Mars 2012

    ISBN N° 978-2-85463-210-1

    304 pages

    Format A5

    21 €

     

    Avec la parution du dernier numéro de la revue Action Poétique, c’est une histoire éditoriale de 62 ans qui se referme. À L’intégrale, titre de cette ultime parution est adjoint un Dvd-rom qui réunit dans un format numérisé la totalité des numéros parus depuis 1950. En parcourant ce Dvd, on découvre que c’est sous le titre de L’action poétique que paraissent les premiers numéros de cette revue créée par Gérald Neveu et Jean Malrieu. Puis après avoir consulté la liste impressionnante des numéros présents sur le Dvd et ouvert au hasard quelques-uns d’entre eux, j’ai repéré la devise inscrite en tête de sommaire du premier numéro paru en 1958 dans une nouvelle formule: « La poésie doit avoir pour but la vérité pratique ». Une belle devise qui pointe probablement le réel. Elle disparaîtra avec le numéro 79 paru à l’occasion des 25 ans de la revue. Un numéro charnière que je conseille de lire. Et notamment ce texte d’entretien d’Henri Deluy intitulé entre Yves et moi. Sur le ton d’une conversation amicale se tenant autour d’un album photos, il retrace l’histoire d’Action Poétique jusqu’en 1979 : «... Nous étions des poètes du type : « La poésie c’est dans la vie… », ils n’écrivaient pas la poésie de la tripe… mais ils avaient la poésie dans le ventre, c’étaient des gens qui vivaient la poésie comme une espèce d’aventure, à la vie à la mort… ».

    Mon attention s’est ensuite portée sur le grand éclectisme des sommaires proposés durant ces soixante années .De .La .Sextine aux Troubadours, des Poètes baroques allemands  du XVII siècle aux Avant-gardes…tant de sujets ont été abordés et fouillés. Puis, j’ai parcouru par curiosité le seul numéro bis ! Ce  N°74, paru spécialement à l’automne  1978 pour permettre aux membres de  la revue de s’expliquer publiquement sur un événement politique. Henri Deluy rappelait alors dans l’éditorial de ce numéro : « Action Poétique n’est pas une revue de politique. Elle n’est pas une revue Impassible : contre les agressions Impérialistes au Vietnam ou contre l’occupation de Prague, pour prendre deux exemples forts, nous sommes Intervenus. Et contre la guerre coloniale en Algérie, huit années durant... ». On mesure ainsi l’implication et la détermination des membres d’Action Poétique face à des événements politiques, de la vie,  qu’ils se déroulent en Algérie (A.P. N°12),  à Prague (A.P. N° 38), au Vietnam (Suppl. A.P. N° 53) ou en France pour ce n° 74.

    Ce quadruple numéro propose plus de 300 pages entre l’entretien d’Henri Deluy recueilli par Sandra Raguenet et la préparation culinaire du Flan, pour cette page-recette qui clôtura les numéros en quatrième de couverture durant plusieurs années. Entre, un nombre  important de poètes et d’écrivains sont rassemblés. Ils accompagnèrent la revue sur des périodes longues ou à des moments de son histoire, soit,  pour diriger un  numéro particulier.  Au cours de l’entretien d’Henry Deluy des questions relatives à l’histoire et à la vie de la  revue sont largement évoquées.  Ainsi, l’origine d’Action Poétique, le choix de la diversité, les comités de rédaction, les relations avec le PC ou avec les autres revues sont abordés sans ambages pour esquisser brièvement l’histoire de la revue.

    C’est près de cent écrivains et poètes qui sont rassemblés ici par ordre alphabétique. Hormis les poètes traduits, ils furent tous membres du comité de rédaction. On découvrira leurs textes souvent inédits, parfois extraits de numéro anciens  mais aussi écrits spécialement pour la circonstance comme ceux de Gil Jouanard, de Jean-Pierre Léonardini ou d’Elisabeth Roudinesco. On aurait aimé lire plus de textes de témoignages comme ces derniers. Aujourd’hui de nombreux poètes ont disparus tels Gérald Neveu et Jean Malrieu ces figures emblématiques de la revue, mais aussi Martine Broda, Pierre Lartigue, Mitsou Ronat, Maurice Regnaut ou Bernard Vargaftig  décédé très récemment et dont la photographie  précède ses textes dans les pages du numéro. Il faut aussi préciser que depuis la création d’Action Poétique la poésie étrangère est présente dans la très grande majorité des sommaires et souligner que cette volonté fut un fil rouge tout au long de l’existence de la revue. Rappelons enfin que si Henri Deluy a traduit des poètes tchèques, allemands, slovaques, russes, néerlandais ou portugais de nombreux membres du comité de rédaction participèrent à ce travail de traduction. Dans le sommaire, on trouvera leurs noms associés aux poètes qu’ils ont traduits : Claude Adelen et Franco Fortini, Yves Boudier et Enrique Santos Discepolo, Alain Lance et Volker Braun… Les exemples nombreux laissent deviner un état d’esprit solidaire dans cette volonté de diffuser une poésie internationale. On ne peut bien sûr résumer en quelques lignes et cette histoire d’Action Poétique et ce numéro dense qui a d’ailleurs rapidement été épuisé. Pour l’histoire, on se reportera au livre écrit par Pascal Boulanger, « Une «Action Poétique » de 1950 à aujourd’hui » paru chez Flammarion et pour ce numéro,  au site www.actionpoetique.eu sur lequel est reproduit la totalité de L’intégrale.

    Comme pour un passage de relais que je veux y voir, au cours de l’entretien Henri Deluy formule : «Il appartient aux nouvelles générations de créer de nouveaux outils ».  Une aventure prend fin mais d’autres commencent ou ont déjà commencé. C’est là, la force de la poésie de ne pas renoncer! Saluons enfin l’obstination de la revue pour son action : 62 années consacrée la poésie!

    hm

     

     

     

  • BLONDES OBSCURES - Alain Crozier

    Blondes Obscures,

    Alain Crozier,

    Éditions Chloé des Lys, Barry (Belgique),

    86 pages,

    16,40 Euros.

     

    WHITE ON BLONDE

    Le titre du meilleur album de Texas et de Charlene Spiteri convient parfaitement aux poèmes d’Alain Crozier. L’artiste « multicarte » est en effet immergé dans une mouvance rock dont l’écriture est tatouée. Même lorsqu’ils sont torturés les textes de l’auteur sont en épure au milieu pour dire les errances de l’amour :

    « Aimer et déprimer

    En même temps.

    Penser ? »

    Pas besoin de faire des phrases. Tout ajout ne serait qu’enluminure et verbiage.

     

    Toujours à la limite de la déréliction Crozier ne tombe jamais dedans. Sans doute parce qu’elle est à l’image de sa vie : entre imaginaire et réalité. L’existence à la fois, se rêve, se mérite - mais pas toujours. Et au besoin le poète appelle des dieux à la rescousse :

    « Dieu Râ va me sauver

    De la mort.

    Le soleil me réchauffe

    Revitalise

    Goutte à goutte

    Vie à vie ».

    D’où le recours pour cette thérapie aux femmes, enfer et paradis. Sur terre, elles empêchent l’homme, le mâle, ce bois flotté de ne pas basculer dans les goudrons visqueux de la mélancolie qui met l’être sous hypnose comateuse.

     

    Ajoutons que Crozier ne cherche jamais un refuge dans le passé. Il ne chérit pas Venise. Nul besoin de gondoles pour glaner des mirages dans des eaux amniotiques. Sa nostalgie ne guigne pas vers le passé mais vers le futur. Dès lors l’écriture pose question de la séduction face au temps. Chaque poème essaye d’être là, avec la femme, avec « l’Elle », avec « L » qui se décline sous divers noms tus et registres. Comment dès lors s’empêcher à notre tour d’être séduit par une telle écriture ? Dans la contrainte de la brièveté son baiser au lépreux court infiniment plus vif que les plus troublantes embrassades des femmes qu’on a aimées.

    JPGP

  • DE L'OBSCUR A L'AURORE

    Dominique Daguet,

    De l’Obscur à l’Aurore,

    Éditions Zurfluh (13, Rue du Lycée-Lakanal à Bourg-la-Reine, 92340)

     

    LE COMBAT POUR LA LUMIÈRE

     

    Avec « De l’Obscure à l’Aurore » toute l’œuvre poétique (volée au temps) de Dominique Daguet nous est donnée à lire ou à relire. Poète habité il n’ignore rien de l’ombre et de la lumière. Il propose ici un voyage à rebours dans son univers d’extrême clarté. Celui qui s’est toujours battu en éditeur courageux et à travers ses « Cahiers Bleus » pour faire connaître diverses voix reste lui-même un poète majeur. Il fut reconnu dès 1961 par la publication du superbe « Atteintes attendues ». Dès ses premiers textes le poète était propre à saisir son chant intérieur. Celui-ci reste toujours proche d’un mystère divin et dépasse toute volonté didactique ou prosélyte de la part de l’auteur.

     Pour Daguet la valeur cardinale reste l’Amour. Il est consubstantiel à Dieu mais se traduit « dans les faits ». Le poète de Troyes possède dans son écriture une force pathétique mais loin du pathos et une force de vie liée au sentiment de la mort. Sa poétique tord le coup à tout effet rhétorique et reste à la recherche d’une sorte de prosaïsme. « Atteintes attendues » le prouve comme l’illustrent plus tard des titres majeurs. Par eux-mêmes ils traduisent le combat de Daguet entre la clarté et l’ombre, la mort et la vie : « Paroles entre la nuit et le jour », « Étoiles d’ombre », « Croix de l’Espace » sont autant de moments d’une entreprise de recouvrement qui prend tout son sens dans ce haut volume de tous les aveux.

     Dans chaque texte résonne une voix qui dit son incrustation dans les contingences du quotidien. Daguet s’y sent seul même si sa foi en Dieu se métamorphose en celle d’Autrui. Mais cette solitude hantée de miroirs fait sourdre son impalpable qui tait son vrai nom. « Nous restons seuls, malgré l’effort » écrit simplement celui qui garde portant chevillé en lui l’espoir de la rencontre. Se retrouve ici la même puissance que chez un autre poète trop méconnu : Jean Mambrino. Comme ce dernier Daguet est toujours guidé par l’éveil jusque dans le grandiose dénuement de sa solitude. Mais son âme est assez grande pour embrasser l’absence. Et si chez l’un comme chez l’autre et à chaque instant la poésie n’ignore par l’aura sacrée, elle fait de ces poètes des pèlerins de l’ « amour fou ». Est-il besoin de souligner que ce dernier dépasse ici et de loin ce que Breton entendait pauvrement par ces deux mots ? Chez Daguet l’amour se refait toujours (presque) silencieusement dans l’été en attendant que les dernières illusions tombent en flocons telle une neige qui rôde autour de la mort obscure.

     Car la croyance en Dieu ne cautérise pas tout. Tocsin dans leur ventre, les livres du poète exultent et souffrent, ils dégringolent vers la mer, enfantent des phalènes dans la coulée des hauts fourneaux. Et lorsque les jours s’éloignent de plus en plus il reste dans les derniers textes une nuit blanche de misère mais aussi la grandeur faite de fièvre. C’est pourquoi même lorsque la dernière porte se rapproche rayonne une espérance. Non seulement dans l’au-delà mais ici même, ici-bas. C’est bien là toute la force de ses « Fièvres » sous-titrées « non-poèmes » comme si Daguet se méfiait d’une conception romantique à laquelle le concept de poème se réduit si souvent.

     Soucieux des autres - qu’ils appartiennent au cercle familial ou à celui plus large des « passants » et « passantes » le poète reste lucide sur toute vie. Elle est selon un de ses titres une « anthologie de morts successives », des morts qui seraient – dixit encore le poète - les seules « amies de raison ». Toutefois il ne cesse de croire à l’amour du vivant sous toutes ses formes. Il fait de ses “Paroles entre la Nuit et le Jour” la folie du sage. À savoir celui qui lutte contre les deuils au nom d’une foi et qui sous sa lumière ne cesse de recoudre ses ailes lorsqu’il risque - en albatros baudelairien - de s’écraser.

     Ayant la poésie dans le sang, Daguet y trouve le moyen de découvrir de l’aube au crépuscule et, à ce point précis, une sorte de silence intérieur. Certes ce silence reste toujours provisoire. C’est pourquoi le poète reprend voix afin de lutter contre l’extase du vide qui ne pourra jamais le guérir de la maladie du temps. Bref il poursuit sa quête.

    JPGP

  • QUAND L'AMANDIER REFLEURIRA - SAMIRA NEGROUCHE

    Éditions de l’Amandier

    Mars 2012

    N° ISBN :978-2-35516-170-4

    60 pages

    Format A5

     

    Quand l’amandier refleurira

    Une anthologie de poètes algériens contemporains

    de langue française établie par

    Samira Negrouche

     

    Les éditions de l’Amandier en collaboration avec la Maison de la Poésie de Guyancourt et la communauté d’agglomération de Saint-Quentin en Yvelines font paraître cette anthologie de poètes algériens contemporains de langue française. Établie par Samira Negrouche, cette anthologie au titre plein de promesses, Quand l’Amandier refleurira rassemble onze poètes algériens nés entre 1935, pour Djamal Amrani et 1984 pour le plus jeune d’entre eux, Mohamet Mahiout. Par une courte introduction Samira Negrouche présente les desseins sous lesquels s’avance le livre. Notamment celui d’ouvrir des territoires, territoires de langues et de langages. « … j’entre dans l’espace commun d’une terre-mère et d’une histoire commune des dépossessions. ». Puis elle poursuit, « je dis je et je parle pourtant de nous, cette œuvre éphémère, solidaire et éclatée. C’est ainsi que je vois la poésie algérienne… ». Démontrant ainsi une belle solidarité humaine et une communauté de pensée, le livre rassemble des poètes qui œuvrent du creux d’une langue intime, afin de mettre à jour pour les leurs d’hier et d’aujourd’hui, leurs histoires infalsifiables. Ce vécu du fond de l’être qui prévaut seul au cœur de l’homme. C’est dans cette langue française que Kateb Yacine qualifiait de « butin de guerre », demeurée cependant étrangère, que sont écrits les poèmes.

    Ici, la poésie met à jour. Elle déchiffre et cherche des réponses « La parole / parlante avec le temps. Émergence d’un visage/ Une étendue / Ce qui manque ? /…» écrit Habib Tengour ; Elle tente de reconstruire « Ici les hommes / Bâtissent tout le temps : / Sur la boue / Sur leurs maisons d’avant /… ; » précise Mohamed Sehaba ou encore, essaie de s’ouvrir sur un désir de vivre « Ce soir j’interroge / L’ordre du désir /… »  affirme Hamid Nacer Khodja, quand Samria Negrouche poursuit inlassablement cette espérance « Tu ne te résignes pas / à relâcher le bord du ciel /… ». Un possible alors parfois s’éclaire dans ces poèmes, même si un constat demeure : « ce qui reste /  commencer chaque matin / à heure précise / comme / reprendre à zéro /… ».  C’est donc au prix d’une réitération quotidienne et obstinée de cette quête de vivre et de désirs que des territoires sont conquis et s’apaisent. Onze poètes interrogent une histoire singulière et commune. Ils sont rassemblés ici pour ériger et poursuivre le nouveau territoire commun d’une poésie algérienne. Blessures du passé, espérances du présent, Samira Negrouche agrège dans ce livre les disparités poétiques d’une langue commune pour aller ensemble vers un avenir gros des récoltes à venir. Prometteuses !

    « Attention travaux /  ( j’ouvre / une parenthèse / mais / ne la ferme pas » prévient Hamid Tibouchi.

    Peut-être tant que la source d’un renouveau ne sera pas perçue ? Alors, Djamal Amrani s’interroge puis affirme « Où chercher la source ? / Comment débusquer les pierres / et l’argile boréale / de nos fugues ? / Ici, quand l’amandier / refleurira. ». D’abord dans ce livre, avec ces poètes rassemblés autour de leur rythme propre et leur écriture singulière, où de premières récoltes s’annoncent.

     

     

    HM

  • CONSOLATIO - YVES BOUDIER

    CONSOLATIO

    d’Yves Boudier

    Édition Argol

    Janvier 2012

     

    C’est par une citation de Sénèque extrait de Consolation à Marcia que s’ouvre ce livre dense qui porte une interrogation première. Après Là  (2003) Fins (2005) et Vanités carré misère (2009), le thème de la mort est à nouveau exploré par Yves Boudier, ici dans la tradition de la consolation. C’est bien sûr le poème d’abord qu’il faut interroger, lire et ressentir  pour envisager ce face à face qu’Yves Boudier, en explorateur solitaire des rives accidentées de la mort, entreprend dans l’édification de son œuvre. Une postface de Martin Rueff remarquablement détaillée questionne Consolatio au regard de l’œuvre poétique d’Yves Boudier et d’un corpus de textes anciens ou contemporains – poétiques ou philosophiques - qui furent écrits autour du thème de la mort.

    Dès les premiers poèmes des questions émergent sous l’auspice de Janus  et des passages,  avec cette description d’entrée dans le sommeil lorsque la conscience cède à la nuit. « Je ferme les yeux / cède /au cœur vigile ». C’est ce passage de l’éveil au sommeil qui rappelle la question obsédante, de mémoire douloureuse, cette lisière franchie à la mort venue par ceux, ces «  Noms (si) lourds », et hautes figures tutélaires  «  devant l’enfance », qui furent chair de chers. Alors, tout au bord du sommeil la mémoire semble rappeler et raviver la douleur de la perte des êtres aimés, tout en soulignant la fragilité et la fugacité de la vie. « ça / mord dans la tête / opacité / ce bruit de cœur ». On croirait alors que le poète traque ce moment de passage où la conscience s’apaise, s’amenuise et se retire. Des passages à double sens  lorsque l’on revient de ce lieu  d’a-conscience  et que l’éveil survient  «  le bleu / cicatrise la nuit ».  « …l’insomnie / (elle) / arrache le temps passé / à être mort » Avec ses passages d’un état à un autre Yves Boudier apparente le sommeil à l’état de mort « où les  batailles se livrent » mais sans l’agonie, au-delà de laquelle tout retour reste impossible « La mort s’accouple / au jour / (elle) / feint d’être nuit / sa méthode : son legs »

    C’est de ce monde du sommeil et de l’a-conscience que perce l’angoisse première, à laquelle il faut pourtant s’habituer, quand « lève la plainte / létale »   et qu’il faut participer à «  L’épreuve du vertige / vivre / « contre la mort militante » /…/ « pour instituer l’idée ». Entre les poèmes parfois, des pages blanches s’intercalent et paraissent préciser les états de cette simili mort où seuls les rêves président à construire des mondes d’images aux sens multiples.

    C’est par un dialogue intérieur régulier et en questionnant les mots « (la valeur éponyme) » que le  poète se livre à des «  travaux d’aveugle » pour contrer « les peurs / ventrales » et éloigner ce moment où «  se creuse/ la / défaite ».

    La forme aussi, dans le visuel qu’elle propose au regard et dans la symbolique du motif de la ligne, de la marge,  de la frontière…participe également au signifié du livre. Cette forme qu’Yves Boudier  donne  à la disposition de ses  vers faisant apparaître  une limite immatérielle qui divise la page en deux parties. Cette disposition fait songer à une scission - à une ligne de passage ? -, comme une cicatrice ancienne  – première ? -  que le temps aurait laissée (in)visible chez l’auteur et qu’un poème débuté par ce vers, « Autant de peine / à parler / à (me) / taire… » ne (dé)voile qu’à peine dans cette ligne frontière. Ligne de frontière, zone de clair-obscur, comme un entre-deux, un passage universel  d’un état à un autre, du jour à la nuit, du sommeil au réveil ou encore, de la vie à la mort. Tout semble ici signifier, de part et d’autre de cette marge centrale, où le poème appuie la certitude que le corps seul sait tangible. Cependant, avec de rares vers coupant la frontière de cette marge, l’espérance pointe ici. Elle tente des incursions dans l’autre monde du sommeil, traversant la frontière de l’(a)conscience  pour essayer d’identifier la nature de la mort  « les tremblements se rapprochent / le centre s’échappe fait retour ».  Le  livre est le lieu où le poème inscrit ce qui borne toute vie, avec en désir cette espérance humaine de repousser les frontières de la mort « le bandeau d’Orphée dans les mains d’Eurydice… ».  Ce qui est visible ici c’est ce funeste présage – comme seul avenir sûr – qui attend et qui veille. Longtemps  j’ai pensé que mes congénères se partageaient en deux familles, ceux qui vivaient en s’oubliant mortels et ceux que la mort hantait. C’est peut-être alors à dessein que des fragments de textes  – cités en italique -  sont parsemés dans les poèmes et que les noms de leurs auteurs sont rassemblés à la fin du livre comme en une communauté de pensée qui poserait  la question : « comment parler de la mort ? ». Ce lieu espace dont on ne peut que dire, toutes acceptions comprises : « (il n’y a rien à voir) » et finalement «  ce n’est rien ».

    HM

  • MISERERE de Raymond Farina

    MISERERE

    Raymond Farina,

    Éditions Dumerchez,

    Col. « Éclats de Vivre », Liancourt, 62 pages.

     

    Les « Éclats de vivre » de Raymond Farina sont le combat journalier contre l’infléchissement. Un combat transformé en chant puissant qui se prolonge d’une section du livre à l’autre. Il n’est plus question ici d’images ou de descriptions mais de mise à jour d’une problématique existentielle qui rapproche le lecteur de l’auteur et fait du semblable un frère.

    Le « piéton halluciné

    que ses rares extases

    n’ont pu distraire de l’asphalte »

    nous ramène à notre « tout petit tas d’os » dans un mouvement d’accélération qui dit tout. Jusqu’à – justement - ce tas que nous deviendrons.

    Le problème de la relation reste ici essentiel. Elle n’est pas traitée par-dessus la jambe. C’est pourquoi la parole, quoique fragile ne tremble pas, elle affronte le gouffre existentiel que le quotidien rappelle :

    « On ouvre le journal

    On le ferme aussitôt

    Quel naïf chercherait encore

    Une nouvelle fraîche

    Dans cet infini nécrologue ? »,

    Pour autant le vivant reste essentiel, la beauté aussi. En perdition, toujours, mais toujours essentiels. Comme le Rouault des « Miserere », le poète par les voies  qui lui sont propres cherche à embrasser le sens de la vie. Refusant le « je », écrivant à la « non-personne » selon la formule de Benveniste, Farina refuse autant les quincailleries précieuses et sans profondeur que les sentiments en carton-pâte. En ce sens son écriture reste un geste de fondement. Tout ce que l’auteur a vécu demeure très présent mais sans la moindre exhibition narcissique. C’est sans doute pourquoi ce qu’il incise devient un récit existentiel conséquent.

    JPGP

  • C'EST A DIRE de Franck Venaille

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    C'EST-A-DIRE

    de Franck Venaille

    Mercure de France

    Janvier 2012

    N° ISBN :978-2-7152-3239-6

    172 pages

    Format A5

     


    C'est-à-dire, vient de paraître au Mercure de France. Un livre qui regroupe des ensembles de poèmes aux formes différentes comme souvent chez l’auteur. Franck Venaille construit depuis plus de quarante ans une œuvre poétique dans laquelle apparaît son attachement aux Flandres. Passion née d’un séjour de vacances durant l’enfance qui ne le quittera plus et dont ses livres témoignent. Depuis Papiers d’identité paru en 1966 les livres sont nombreux, on peut citer L’apprenti foudroyé, La descente de l’Escaut, Hourra les morts, et plus récemment Chaos et ça édités au Mercure de France. Cette œuvre est pleine d’une inquiétude et d’une angoisse existentielle qui persistent dans la succession des livres.

     

    On peut entendre ce titre deux façons selon que l’on ajoute un point d’interrogation ou que l’on marque une pause pour entendre – cela est à dire.

     

    C’est-à-dire ? Cette première forme interrogative ouvrirait les champs d’un questionnement procédant par approches et tâtonnement de langage de celui qui à désir à remonter les sources de lui-même pour chercher sens. Tel celui procédant par l’analogie du – comme tente, par la comparaison, de dire au plus juste de sa perception.

    « égaré dans la nuit / dans ce qui est / l’obscur complet / j’avance lentement / me tenant par la main ».

    La seconde s’inscrirait dans l’intime témoignage de soi, rapportant les faits signifiants d’une histoire personnelle. Entendant alors – Cela est à dire – on entendra la voix de celui qui quête, cible et choisit des événements de son existence ayant compté d’une façon définitive.

    « C’est le visage trempé d’embruns, de sueur, d’amères larmes c’est avec çà que je cherche ma vérité ».

    Considérant ces deux possibilités, je veux souligner la sincérité touchante de cette quête, quand le poète du plus profond, extrait les sensations vécues de son être. Et lorsqu’enfin les ressentis sauvés du corps sont traduits dans le poème, le poète atteint ces lisières imperceptibles où le corps et les mots s’unissent. Là est le travail du poète.

    « Toutes les marées hautes se ressemblent/Toutes vies se valent & valsent ensemble /,Chaque barbare cherche à étreindre / sa part intime de sable et de vent / C’est cela qui est à dire. »

     

    Ce livre m’a conduit vers les portes d’un intime. Tout dans ces poèmes, me force à une silencieuse et respectueuse lecture face à l’homme, ce poète transgressant les frontières de ses pensées intérieures dans un dénuement à la fois humble et imposant qu’il partage de son être profond. Et j’ai lu ce livre sans sommaire, mais non sans étape en découvrant des titres souvent sombres évoquant la gravité en différents propos ! La face obscure, l’enfance en deuil, certains qui tombent, la guerre au plus près…

     

    « Tout m’est blessure. Je ne sais plus que faire pour vivre mieux » ce vers pourrait illustrer le propos de ce livre. Mais Franck Venaille ne renonce pas pour autant et poursuit la traversée de sa vie. Au fil de ma lecture les méandres de ses poèmes me conduisent de la Mer du Nord ( Ner(f) du Mort ? ) aux rives funestes du Styx. Cette mer du Nord que j’imagine dans les mots du poète fascinante - rassurante ? - et où je croise des enfants puis des femmes - la Femme - et enfin la camarde qui hante les pages. Tel est le paysage de ce livre où la mort semble présente depuis le premier temps de la conscience, cette amante noire qui trahira le poète, il le sait, au tout dernier moment. Et c’est de là, de ces côtes des Flandres, de ces villes du Nord qu’elle remonte l’enfance ! Elle remonte en une marée plaintive qui submerge, au point que le souffle halète parfois dans certains vers aux longueurs inégales et dont l’irrégularité du rythme me suggère des vagues progressant sur le territoire du poète. Territoire comme d’une île qui réduirait ses surfaces devant une submersion maritime inéluctable. Ces vers comme les vagues de la mer du Nord, mer noire, au bleu d’encre de chine qui noircit les pages de la vie.

     

    Franck Venaille aime Les Flandres, ce pays d’une enfance qui marquera durablement le poète avec ces villes du littoral telles des êtres vivants luttant dans un combat inégal, contre l’approche inexorable d’une fin qui les ronge, « La légende des hameaux engloutis me revint à l’esprit ». L’envahissement de l’angoisse au rythme des marées, « J’ai l’image de la mer du Nord en moi ». Franck Venaille persiste et habite ce territoire de vie et d’écriture. Ce pays d’enfance et de vivants. Pays aux espaces cachés derrière la platitude presque inoffensive d’une ligne d’horizon droite, d’où semble naître l’infini, les Flandres, avec leurs villes côtières bercées par la lente musique des vagues qui rythme ses poèmes et le cours de sa vie.

     

    • HM
  • JEAN DIF DANS LES COULOIRS DU TEMPS

    L’aile de la cendre,  (Poèmes 1957-2000)

    Jean Dif,

    Éditions Edilivre.com,

    Paris, 94 pages,

    12,50 Euros

     

     

    Depuis plus de cinquante ans Jean Dif ne cesse de jeter des passerelles entre lui et le monde à travers les lignes de sa poésie. C’est dire que ce pont reste fragile. Pour autant pour lui comme pour une Duras « l’écriture ne se quitte pas ». Mais ce n’est pas une maladie : juste une suite de temps de recouvrement dans l’espoir – mais pas seulement – que les mots fassent ce que la vie ne fait pas. 

    En leurs fugues ils ne cautérisent pas mais tentent autant le rêve que le réel. L’auteur sait qu’il ne faut pas chercher la poésie où on croit la trouver : elle «  déteste le bruit / Elle est une maison abandonnée / Que l’on retrouve au détour / Du sentier où l’on s’égare ». Elle agit en avançant, vient à l’improviste. C’est un long travail du temps qu’illustrent ces « morceaux choisis » traversées d’un demi-siècle.

    De 1957 à 2000  la veine reste la même : la poésie demeure une tentative de recouvrement. Et même lorsqu’il se cache sous un masque Jean Dif surgit nu, sincère en tension entre les douleurs et les plaisirs des jours. Nulle « frime »,  nulle posture donc nulle imposture. Juste un parcours où parfois ses  « draps sont blancs et la neige noire » lorsque  le poète a « laissé périr de faim / celui qui offrait aux oiseaux / son ultime quignon de pain ».

    Mais c’est ainsi que vont la vie et la poésie. Les deux valent d’être vécus. Dans leurs cendres s’envolent encore les ailes du désir. Surtout lorsque l’écriture demeure ce « feu follet qui témoigne / Du profond travail des vases ». Et même lorsque le poète semble se retirer en lui-même son appel perdure. Avec intensité.

    JPGP

     

  • FRAGMENTS 4 de Gérard Paris

    Gérard Paris,

    Bleu d'Encre Éditions

    Dinant (Belgique),

    coll. la Grande Bleue,

    38 p,

    5 Euros,

    2012.

     

     

     SOUS LE MASQUE

     

     

    Chez Gérard Paris "orpailleur de l'informel, destructeur du concret" une perplexité embrasse l'écriture. Celle-ci va vers l'indicible et l'essentiel. Mais elle connaît tout autant ses limites : "Derrière les masques, la vérité peinte". Tout est là. La vérité n'avance jamais telle quelle, au mieux elle reste "peinte". Comme le rappelle à leur manière les encres de Béatrice Gaudy qui ponctuent le livre.

     

    Celui qui se dit "bègue réprimé" sait ce que les mots peuvent faire et ce qu'ils ne font pas. Poursuivant ses "Fragments" Gérard Paris se rapproche sans cesse de l'aphorisme mais sans tomber dedans. Il refuse en effet le mot pour le mot, le simple jeu d'esprit ou de consonance. Il cultive au contraire les dissonances qui rapprochent d'une vision essentielle : "Vers l'origine : exil de la vie, exil de la mort". Cela dit bien plus que de gros traités philosophiques.

     

    Et tout est du même ordre, un ordre ouvert et fermé, entre désir et chaos, corps et âme, laideur et beauté. Ecce home en quelque sorte. Que demander de plus à un livre où sinon la vérité du moins la justesse se concentre en lanières ?

    JPGP

  • POST IT

    Paul Badin,

    Vincent Rougier Éditeur,

    Soligny La Trappe,

    39 p,

    9 Euros,

    2012.

     

     BADINAGES ET BIEN PLUS

     

    Tout être a besoin d’une vie sensée, d’un croisement harmonieux. Rien de mieux pour cela que le « post it ». On dira que c’est une drôle de manière de communiquer. Mais il arrive que les mots disent ce que la parole ne peut exprimer. D’autant que pour Badin le « post it » engage au dialogue. Pour preuve, un d’entre eux cueilli au hasard :

    « - Pour toi cette rose qui te va bien et dure.

    - le rouge vraiment nous souligne ».

    Badin croise ainsi les messages jusqu’à en dépasser les bords. Ils permettent de réaliser que ce qui n’a d’existence qu’immédiate peut prendre une autre dimension.

     

    Chaque « post it » provoque l’élan au sein d’une autre corporalité mentale et en une étrange volupté faite de distance mais en vue d’un rapprochement. L’émotion et la réflexion y sont induites. Et le « post it » dans sa texture pelliculaire acquiert une densité charnelle. Elle réintègre le mental dans l’organique et fonde l’acte poétique d’une union au cœur même du quotidien de l’amour. En ce sens ce livre devient presque un acte « érotique » de réciprocité puisque qu’il métamorphose la vie de tous les jours en cérémonie.

     

    Le « post-it » tend ainsi un voile éphémère pour enchanter le lieu de vie et pour éviter que la vie à deux tombe en sommeil. Le poète la libère. Le monde le plus familier mérite soudain une autre attention. Tout semble en attente d’être reconnu autrement. L’imagination remplit l’espace du carré collé généralement sur le réfrigérateur. Le monde en palpite et s'y rêve par-delà ses arêtes, ses surfaces, ses apparences.

     

    Le réel tronqué dans sa simple évidence reprend la vibration étrange d’un dialogue amoureux. Son "détour" rouvre à la disposition d’une curiosité de la vie dans le respect de l'un et l’autre des messagers au sein d'une tension toujours énigmatique, mystérieuse, dynamique. Des vérités omises s'aperçoivent. Le geste qui colle le papier est genèse. Il marque le passage du souffle repris et repris. Il est accomplissement de l'espace illimité de l’amour dans la limitation étroite d’une surface minime.

     

    JPGP

  • Autoportrait au soleil couchant ---- de Gérard Noiret

    Autoportrait au soleil couchant

    Gérard Noiret

    Éditions Obsidiane

    Septembre 2011

     

    Sans doute le lecteur sera-t-il surpris en lisant ce livre singulier, qui vient de recevoir le prix Max Jacob 2012, comme je l’ai été moi-même lors de sa découverte. Organisé autour d’un quatuor, au sens d’une formation de musique de chambre ce livre, signé Gérard Noiret, rassemble dans ses pages un éditeur, Christian Lachaud et les trois poètes, Guy Châtealain, Viviane Ledéra et Pierre Du Pontel. On aura beau utiliser les meilleurs moteurs de recherche d’Internet, on ne retrouvera aucun des noms des poètes ni celui de l’éditeur.

    « Il faut être capable d’entrer dans l’intériorité d’esthétiques contradictoires » cette affirmation que l’on lit dans le texte préliminaire de Christian Lachaud est peut-être une clef pour entrer dans le livre. Comme peut l’être dans un autre registre la manière d’entendre « même – nom » dans la collection intitulée Colosses de Memnon évoquée pour ce livre écrit par le seul Gérard Noiret. Et pour qui a lu, disséminés dans des revues ou dans les pages de sites internet, les textes de Gérard Noiret sur l’écriture (Incendit, La Quinzaine Littéraire, Remue Net…), ce premier texte nous indique des pistes de lecture qui s’appuient sur cette opinion de l’éditeur Christian Lachaud : « A mon sens, un poème est la cristallisation d’une sorte de produits de facteurs, au nombre indéterminé, à la définition instable, où les composants ne multiplient pas forcément d’une manière identique, mais d’un produit de facteurs quand même. Sans forcer je peux risquer cette formule : poème = ( langage) (histoire poétique) (imaginaire) (monde) (pensée) (projet)… »  Lisant la suite on retrouvera en filigrane, une conception sur l’écriture et sur la poésie propre à Gérard Noiret. Il faut ici rappeler que Gérard Noiret dirigea la collection de poésie Ipomée aujourd’hui distribuée par Le Temps des Cerises qui rassembla autour de quelques titres, des poètes restés importants.

     

    Trois poètes hétéronymes, dans des registres différents si ce n’est opposés par leur nature, nous sont proposés en lecture.  Guy Chatelain  de religion catholique tente de rendre la plainte possible et réfute la mise en voix des poèmes. Pessimiste et sombre, le chant de plainte de Guy Chatealain, perce dans des distiques et la rectitude qu’ils tracent sur la page « quelque chose est en route qui brandira mon scalp ». Un langage qui ne laisse poindre que des sentiments contenus, portés par des métaphores désincarnées, éthérées ou surréalistes « la ville se fait couler un bain ».  Seuls ici les objets semblent dotés de vie. Un dialogue intérieur tourné vers soi et où parfois l’autre perce dans un tu  ou un tes esquissés. Une poésie où l’autre à du mal à prendre corps. Un poème apporte pourtant une lueur d’espérance, comme une tentative d’approcher  – enfin ! –   le désir de vivre et qui commence ainsi : « Avec son bleu pâle et ses images / le ciel est une lettre d’amour ». Cette poésie à la maîtrise émotionnelle s’oppose à celles de Viviane Lédéra et de Pierre Dupontel, l’une avec une attention vive à l’humain et le second, avec une exaltation dévorante, dont la poésie épique et enflammée de désirs flamboyants emporte dans tout sur son passage avec ses crimes, ses rêves de grandeurs et de conquêtes. « Plus dévorante que la jalousie Fugace que l’espoir/ Subtile que le désir / La Gloire».  La poésie de Viviane Ledéra me touche plus,  avec ses portraits de femmes, souvent,  comme des instantanés pris sur  vif du quotidien. De très beaux poèmes aux expressions sensibles et compassionnelles, suffisamment retenues pour que soit partagé par le lecteur  le ferment d’humanité qui s’en échappe et qui relie les êtres. « Ils ont déposé leurs gestes / au milieu de la clairière,/ échangeant le soleil contre leurs prénoms,Puis ils sont allés / les yeux dans les yeux du ciel/… » On retrouvera ici  la façon de Gérard Noiret. C’est assurément l’hétéronyme dont la poésie est la plus proche de la sienne.

     

    Quant à la forme de l’écriture, celle des poèmes, on en reconnaîtra  trois utilisées généralement par Gérard Noiret. L’emploi de distiques dans les poèmes de Guy Chatelain, la forme polyphonique de Pierre Du Pontel et enfin les poèmes courts de Viviane Ledéra, comme de courtes  scènes portant parfois des noms mythiques, comme Gérard Noiret aime les titrer, Pénélope, Icare, Eurydice…. Ces trois formes d’écriture utilisées indifféremment dans ses livres y sont disséminées en une mosaïque. Chaque forme d’écriture pourrait être considérée comme un motif. Dans autoportrait pour un soleil couchant chacune est employée par un des hétéronymes, représentant un aspect, un état d’écriture du poète Gérard Noiret. Ainsi réunies – séparées ? – c’est l’entité cohérente représentée par un hétéronyme qu’il est proposé de découvrir. On peut penser que ces écritures, que Gérard Noiret a circonscrites, sont celles élaborées dans un état particulier ou une circonstance singulière dont il situe exactement les moments, les raisons ou les motivations. Sinon une multiplicité d’états de conscience, au moins trois pour ce livre que l’on pense intrinsèques à l’auteur, si récurrents, qu’il éprouve le besoin de créer des hétéronymes. Des écritures suscitées par les  différentes facettes du poète ou dans des temps différents et qui  surgissent à l’occasion de tels faits ou de telle réminiscence issue de l’histoire personnelle, de l’imaginaire ou de considérations sensibles face au  monde. Un langage apparaît, que les poèmes dans leurs formes et leurs rythmiques désignent alors. C’est ainsi que Gérard Noiret rejoint dans les faits, la  condition énoncée par Christian Lachaud « d’être capable d’entrer dans l’intériorité d’esthétiques contradictoires ». La boucle paraît se refermer.

    Avec ces écritures, rattachées à des poètes hétéronymes plausibles, Gérard Noiret donne de la consistance à sa vision sur l’écriture. Il n’énonce pas seulement mais met en œuvre. Avec des poèmes maîtrisés et liés à des univers différents, c’est aussi la forme qui rythme et fonde l’écriture poétique. La question de la nature de la poésie est revisitée. D’où émane-t-elle ? Demeurons-nous le même au cours d’une vie ou passons-nous par étapes des frontières en nous-mêmes ?  Quel homme, quel poète demeure sous sa propre nature ? C’est peut-être ces questions que Gérard Noiret à tenter de poser en présentant sous son nom, trois poètes, trois pseudonymes sous lesquels il a reconnu en lui-même une part de sa vérité d’homme.

     

    HM