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Notes de lecture - Page 7

  • Ode à la poésie

    Louis Savary,

    Opium de personne, Editions Arcam,

    Paris, 2010,

    104 pages,

    15 Euros.

    Selon Savary c'est en l'absence de jour qu'apparut la poésie. Elle reste encore aujourd'hui orpheline à jamais de son anniversaire. Car d'une certaine manière elle naquit un 30 février. Si avec une poignée de terre Dieu créa l'homme, ce dernier fertilisa de quoi planter des mots afin qu'à son incinération la poésie devienne ses cendres. Depuis ce premier jour les baisers de la poésie ont le goût de la salive des morts. Elle ne mène donc nulle part mais il ne tient qu'à nous d'y aller. Elle reste le voyage au pays du dedans éveillé, endormi, endormi, éveillé mais jamais rêvant. En elle parfois le mal de mère prospère mais sans envie d'y repêcher le père. À ce titre Savary lance un hommage aux poètes vaincus qui "comme des assassins reviennent toujours sur le lieu de leur crime". D'un côté ils contemplent le ciel, de l'autre ils scrutent la terre en se foutant des commissaires et des cons temporains.

    Pour l'auteur belge, même du néant, la poésie ne sort pas les yeux vides en dépit de ce qu'elle porte en elle : à savoir une maladie orpheline. Son pays est trop vaste pour qu'on le fasse à notre chef : c'est donc la poésie qui nous fait à sa tête. Il n'y a rien à ajouter. Être poète revient à écouter le silence en prenant garde de ne pas l'ébruiter. Car on ne dresse pas les mots. Ils restent sur leur garde afin que le cœur, le sexe et l'esprit entrent en transe sans renier la vérité de l'enfance. Dans la poésie, il y a donc tout et "Surtout le reste. Il est incommensurable". C'est pourquoi elle répond aux questions qu'elle ne pose pas. Elle nous dévoile à notre indifférence. Au sensible elle "préfère le sang cible et énonce ce que les mots n'ont jamais pensé". Qu'importe donc ce qu'on peut en dire. Elle garde la clé des vents de la maison de l'être. Ce dernier y vit avec elle en union libre. Ni pute ni soumise la poésie est donc bien "opium de rien ni de personne". C'est de la Bella Donna et de la belladone.

     

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  • Slumming on Park Avenue

    Paul Sanda,

    Rafael de Surtis Editeur,

    Cordes sur Ciel ( Tarn)

    non paginé 14 €

    JAZZ PARTY A NEW-YORK

    Sanda revient à deux de ses amours pour un double hommage. D'abord à New York « la seule ville tentaculaire où je pourrais accepter de vivre ». Ensuite au Jazz. Celui de Coltrane entre autres. Dont l'ombre plane toujours l'hiver sur Park Avenue où il se promenait engoncé dans un immense pardessus. Mais il y a aussi Miles Davis au Cotton Club et Woody Allen en « clarinettriste » pas loin de l'aiguille du Chrysler Building.

     Le poète nous emporte en 50 vignettes écrites en une nuit dans la ville à travers le Jazz et avec quelques amis : Arrabal bien sûr l'incontournable vagabond hérétique, Alain Marcadon, l'énigmatique Fabienne G. - comme le point - ou encore Alain-Pierre Pillet et Francis Meunier. Des amis mais aussi des allumés et - chacun à leur manière - des surréalistes décadents et dissidents.

     Il y a donc New York, le jazz, mais aussi ses peintres et ses rues. La 123 ème Ouest, le Yankee Stadium, un thème indien de Roy Lichtenstein. Que demander de plus pour que « move the groove » et suive les sérénades à offrir à une femme nue dans une nuit réelle dans un hôtel pour musiciens pas loin de la plus grande cathédrale du monde près de Central Park.

     Reste alors dans les rues et le jazz la vapeur des mâchoires au milieu du détergeant froid d'un matin de janvier. Avec d'un côté du Daumal et de l'autre du « Grand Jeu », l'écriture de Sanda possède une étonnante force d'imprégnation et de déstabilisation des images. Il y a en elles comme dans certains souffles de Coltrane des formes bizarres. Elles existent pour sucer le vent. Celui qui agonise dans le délit des branches des bosquets nus près de l'Hudson River.

     Parlant de New York et du Jazz Sanda devient une sorte d'éponge naturelle Et par les trous que le poète crée dans la langue admise le jazz retrouve sa force de contestation. Ses riffs dérapent encore dans les mots de poètes afin de donner une inclination à l'assiette stable de ce que nous prenons pour notre individualité et notre perception.

     Les mots forgent ce que les nôtres sont incapables de marteler. Voici la création d'un univers sans fonds mais en métamorphose. Sa réalité ne peut se réduire à une vision classiquement surréaliste de la poésie ou à une vision nostalgique du jazz des années cinquante et soixante. En bon gnome du langage et d'un des buildings gothiques de Manhattan, Sanda réinvente une façon de revoir le métier de vivre plus que celui du dur désir de durer.

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  • Une beauté plus sourde

    Andoche Praudel

    Editions Passage d'Encres, coll. Trait Court

     

    CADASTRE

     
    Revendiquant et expliquant pourquoi à l'inverse d'un Titus Carmel le titre de plasticien, Andoche Praudel écrit un livre poétique surprenant. Il trouve son point de départ entre le cru et le cuit. Ou si l'on préfère dans la double équivalence entre la céramique et la photographie. Tout cela est aussi de la peinture sous couvert de registre et de temps différents "la céramique m'ayant appris l'attente, le temps mort, l'appareil photo m'est apparu bientôt comme une autre sorte de four".

    Pour Andoche Praudel les deux sont des éclaireurs et des éclaircisseurs. Ils restent le vecteur inverse de ce qu'ils représentent pour beaucoup d'artistes. Chez ceux-là l'art est le moyen de faire pousser les fantasmes comme un chiendent. Pour sa part l'auteur d'une "beauté plus sourde" arrache. À partir de sa double expérience s'engage une réflexion (mais le mot est trop étroit) sur la question de regard, du réel, du passé, du devenir et du paysage. Ce dernier terme l'auteur a l'intelligence de ne pas citer. Pour lui en effet il n'existe pas. Ce qu'on voit est sans cesse réencordé, réaccordé, imaginé dans un substrat d'une épaisseur insondable.
     
    Celle-ci est faite à la fois par l'histoire même du paysage, entre autres par ses fonctions agricoles ou guerrières, par les regards que les poètes ont posé dessus (Praudel prend appui sur les visions de Rimbaud, Pessoa, Tolstoï, Stendhal, Claude Simon, Etty Hillesum, Virgile et Châteaubriand) et par sa propre expérience et sa propre vision. Ce que la céramique cristallise, ce que la photographie retient n'épuise pas le paysage. D'où ce recours à la poésie. Elle décrypte, délite, découvre ce qui ne se voit pas. C'est pourquoi un tel livre n'est pas celui d'un artiste écrivain mais d'un écrivain artiste dont le texte n'est pas dans ou sur l'art. La poésie est là mais pas dedans. C'est un autre moment, un autre "faire".
     
    Passant d'une activité sensuelle, matérialisée, Praudel entre dans, sinon le nulle part, du moins dans l'immatériel qui n'est pas pure immanence. S'il existe des céramiques réelles, le livre n'est pas "réel", il est toujours livre du livre. Mais c'est un moyen d'atteindre une autre liberté. Elle permet et propose un registre métaphorique et métamorphique particulier. Elle creuse par séries de renvois poétiques, agricoles ou polémologiques. Elle renvoie d'un autre côté du silence de la peinture, de la céramique, de la photographie. Elle chasse l'épaisseur et la matière pour faire pénétrer ses strates orphelines.

     

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  • Masque de nuit

    Anne Mounic

    Éditions Caractères,

    128 pages

    25 Euros

     

    Lune de Miel

     

    Anne Mounic a beaucoup parlé des autres, de Silvia Plath à Djuna Barnes, de Catherine Pozzi à Claude Vigée, bref de tous les réenchanteurs – souvent endeuillés - du monde et de l’être. Elle ose aujourd’hui avec « Masque de nuit » son livre le plus intime sous forme d’un « carnet de voyages poétiques » et sous couvert (mais pas seulement) d’un sentiment nocturne de l’amour en partie inassouvi.

    Ce texte n’est pas un journal intime en dépit de ce qui y est exprimé. Il dépasse ce cadre. Fascinante et parfois presque (le presque est important) douloureuse, une déambulation ouvre un regard sur l’intériorité. La mémoire souterraine (et non plus anecdotique en dépit de certaines indications) joue donc à plein « vers des lieux de partage au cœur de l’intime » (p. 29).

    Anne Mounic écrit contre tout ce qui sépare. Elle cultive pour cela une certaine contention. Cette dernière donne sa force au livre. Ses mots reflètent un soleil noir face à un azur idéal dans un temps qui s’enfle ou se rétracte suivant les moments : « La poitrine se contracte comme le moignon d’un iris fané puis s’épanouit à nouveau telle la fleur de l’esprit » (p. 90). Le mystère de l’existence est là mais l’auteur ouvre un équilibre entre paysages du dehors et de dedans - quels que soient ces dehors et ces dedans.

    L’écriture reste toujours simple, dépouillée. Elle se fait gardienne d’une vérité d’autant plus forte que chez l’auteur la beauté n’est jamais vierge et pure. Elle est, comme la lumière du livre, une noire sœur qui caresse. Elle est aussi de chair. Si bien que le retour de l’amour – mais est-il jamais parti ? - est un retour aussi mental que physique. Il reprend toute sa réalité jusque dans la mort.

    Anne Mounic dit à la fois le « je, tu, il, elle, ici et maintenant » (p. 105). Elle sauvegarde de la sorte son être et sa parole. Si bien que, comme chez Claude Vigée, son être est sa parole. Son livre la rassemble et la diffracte en des métamorphoses qui excluent la métaphore. Cette dernière sert trop souvent à cicatriser, à édulcorer. La poétesse le refuse.

    Dans des territoires qui sont autant des confins que souvent des lieux d’arts où « l’ombre nous ravit, nous emporte, nous enchante » (p. 19), Anne Mounic crée une nouvelle attente et confirme une alliance. Elle s’y sent bien mais s’interdit à elle-même d’y jouir pleinement comme dans de jolis draps. De cet empêchement naît pourtant une trame d’une paradoxale fraîcheur adolescente.

    Celle-ci est issue d’une grande sagesse de vie et d’écriture. Les textes se situent en dehors de la déréliction. La poétesse n’est pas encore suffisamment âgée pour tomber dans ce travers. Il gâche parfois - en poésie comme en littérature en général - les livres qu‘on désigne comme ceux de la maturité (par élégance de style).

    Si en art les peintres osent parfois (de Renoir à Picasso) des légèretés dont ils se privaient avant, les poètes parfois gaspillent cette possibilité. Chez Anne Mounic elle demeure présente même si son livre est grave et ne craint pas d’explorer les empreintes de l’abîme. L’auteur arpente des pans de son existence sans acrimonie. Un constat douloureux est présent. Mais il demeure comme tel, presque neutre et sans pathos.

    L’absence rampe sans cesse. Elle n’ouvre pas pour autant au chagrin et à l’amertume, à la détresse ou la colère. Anne Mounic trouve toujours la force de l’émerveillement face aux grandes œuvres d’art comme face aux choses les plus simples que répertorie ce voyage dans la « jouissance du seuil au soleil du sommeil » (p. 20). Mais du sommeil paradoxal.

    Quoi de mieux alors pour résumer ce grand-livre que cette phrase « Non, il n’y a pas lieu de s’attrister, l’amour est là, entre nous deux, tissé bien plus tranchant que cette brève absence… » (p. 98). Notons cependant la présence des points de suspension. Ils prouvent combien la poétesse connaît la compréhension de l’abîme. L’irrécusabilité toujours possible de l’absence fût-elle brève peut provoquer une distance pas toujours facile à combler. Mais il vaut mieux cela que le ballet austère de l’indifférence.

     

    JP G­­P

     

  • L'intérieur du monde

    Jean-Pierre Lemaire

    Editions Cheyne

    112 pages

    2 ième trimestre 2007

     

    interieur du monde.jpgC'est au deuxième trimestre de 2007 que paraît aux éditions Cheyne L'intérieur du monde. Ce livre de Jean-Pierre Lemaire est composé de cinq ensembles d'une quinzaine de poèmes. Simple mortel qui débute le livre est dédié au père du poète, à sa disparition. Les poèmes ici rappellent sa figure avec une sobriété qui met à distance et qui éloigne tout lyrisme excessif. Le vers est écrit au plus près du réel dans un esprit d'évocation. La mémoire est à l'œuvre qui rappelle la présence du père.

     

    Je recueille ton silence / comme les bulles du brochet qui passe / entre les racines des saules,/

     

    Toutes les autres parties du livre poursuivent cette ligne d'horizon tracée par la mort du père évoquée dans ce premier ensemble. Présence aussitôt éclairée par ces traits de détails qui tracent et qui singularisent, à jamais, l'ombre désormais du père. Et puis, alternent entre ces évocations de la mémoire silencieuse, des poèmes du temps des funérailles qui esquissent alors dans une perspective temporelle la figure de l'absence.

     

    Je te cherche encore des yeux sur la place / parmi les chaises de café, les platanes / ...

     

    Par la grâce de ces poèmes, le poète apprivoise cette absence. Elle se façonne pour le long chemin de la pérennité.

     

    Parmi les racines, ton masque de sang / est devenu un masque de cristal / où je te revois faible, endormi, suivant de loin / le lent travail, dans la lumière sépulcrale, de ton visage qui se recompose.

     

    Et marque le passage de la vie des uns à la mémoire de ceux qui restent. La conscience prend acte de la disparition.

     

    nous nous séparons comme deux rameaux / sous le soleil commun des vivants et des morts.

     

     

    L'ensemble qui succède, Noé, poursuit ce périple intérieur et intime qui accompagne tout deuil. Perdre son père est tel un cataclysme. Et cette arche suggérée pour y faire face, c'est peut-être la mémoire dans son repli intérieur. C'est ce monologue intime qui s'écrit en chacun de nous, d'abord dans le silence de la bouche. Cette fin d'un monde impensable, ébranle l'être dans ses fondements premiers et déclenche une volée de questions. Celle de Dieu en premier lieu, puis celle du sens. Le poète pour cela contemple la nature, l'interroge pour tenter d'y retrouver une sérénité perdue. Puis il retourne enfin sur le lieu où s'érigea sa personne, peut-être dans cette perception d'infinitude qu'éprouvent les enfants.

     

    Ainsi, les ensembles se succèdent dans un état d'esprit qui accompagne le deuil. De la douleur vive et piquante à celle plus diffuse mais persistante qui s'inscrit en nous même chaque jour de notre vie. Seule peut-être la mémoire, réinventant au cœur de notre intime l'être perdu - en ce monde intérieur -, peut le sauver de la disparition. C'est aussi le projet de ce livre.

     

    Les deux derniers ensembles du livre tracent le trajet d'un long retour vers la vie. Une vie d'après. Celle où il faut bien faire avec l'absence à ses côtés, comme un faix ineffable et indéfectible qu'il nous faudra supporter et craindre pour l'avenir.

     

    Tu revois le printemps après trois hivers / mais tu gardes un œil ouvert sous la terre / et derrière le mur de l'hôpital rose / où les hommes disparaissent.

     

    Ce livre trace un parcours douloureux. Les poèmes, comme autant de stèles, marquent des bornes où achoppent la mémoire et la peine. Ils tracent, ensemble une cartographie de chemins qui se croisent, se confondent et se perdent sous le ciel vrai du sentiment de l'affection.

     

    HM

  • Haro sur la bête

    Louis Savary

    Gravures et dessins de Baudhuin Simon

    Editions de l'Ane qui Butine, Mouscron Belgique

     

     

     

     

    Le poète Savary n’est pas forcément un sage. Et c'est tant mieux. Il rappelle qu'en nous les loups hurlent et que le porc n'est pas toujours épique. La maïeutique du poète représente un va et vient entre l'homme et ses bêtes intérieures. En soi(e) le ver est donc profond. Et les perroquets qui disent « merde » en nous ne sont pas les seuls à  trouver ça drôle.

    Savary prouve que l’hygiène la plus intime est celle de l’esprit. Il rappelle que l'odeur de l'homme peut-être un parfum de brebis ou de cochon qui sans dés dit. Et si le lièvre de la fable sait que La Fontaine est un menteur, les cochons de Savary savent que ce dernier dit la vérité. Le Wallon sait en effet que l’homme chercheur de truffes s’accommode d’une laie. Et les deux pensent qu'ils ont bien du mérite.

    Partant de sa propre expérience, car une poésie bien ordonnée commence par soi-même, Savary ne nous caresse pas dans le sens du poil. La vache en lui comme en nous ne rêve pas forcément de l’Inde. Et il comprend qu'il n'y a pas que les souris alcooliques pour aimer le Chablis. Il sait aussi que si l'homme a la langue pendante c'est parce qu'en lui il y a un chien voûté et que l’éléphant qui nous habite vit dans la hantise d’être trompé.

    Face aux philosophes à qui il faut toujours un mitigeur de morale Savary  fait passer du fleuve du songe aux affluents du réel. C'est pourquoi il laisse parler la bête en nous. Celle dont l’excitation du gland plus que son calibre fait de l’amoureux transi un éjaculateur précoce. Son rat d'eau méduse et on découvre  en lui le manteau de vision.  

    Grâce au poète on comprend que même un dompteur de panthères peut mourir d’amour. Une charmeuse de serpent aussi. Mais ce n'est pas parce qu'elle dort en chien de fusil qu'elle doit nécessairement épouser un chasseur. On peut estimer enfin que lorsque le canard rit jaune  trop de raies alitées font des succès damnés. Savary nous laisse ainsi avec les bêtes en soi. A nous de faire avec. Et en avant ! doute !

                 

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  • Perméables

    Ilarie Voronca

     

     

     

    Éditions Le Trident Neuf, Toulouse

     

    13 €

     

     

     

     

     

    Voronca a enfermé sa vie dans ses livres comme un commentaire, comme les traces d’un autre. Ses hallucinations étaient la terre de sa création. Mais celui qui voulait bâtir un autre ciel de chair s‘est enfermé dans lui-même. Comme beaucoup d’écrivains roumains de son époque il s’était lancé dans l'aventure du modernisme. Rappelons qu’en 1924, alors que paraît en France le "Manifeste du surréalisme", Tzara fonde avec Ilarie Voronca la revue "75 HP" qui réunit dans ses pages "l'avant-garde de Roumanie" et perpétue l'esprit dadaïste. Avec Victor Brauner, Benjamin Fondane, Jacques Hérold, Claude Sernet, Tzara, Paul Celan, Brancusi, Eugène Ionesco, Eliade, Emil Cioran, Gherasim Luca, Panait Istrati, Anna de Noailles (née Brancovan) il est donc un des messagers des mots et des images.

     

     

    À travers l’expérience existentielle et poétique l'immense poète roumain qui écrivait en français, n’a cesse de parler d’un creusement de l’humain. Son œuvre est une expérience spirituelle et physique où le corps et l’esprit, liés, se confrontent à un infini et font face à leur propre finitude au sein d’une proclamation d’espoir dont « Perméables » témoigne mais dont sa vie témoigne moins. En un soir d’avril 1946 il rentre chez lui, s’enferme dans sa cuisine, en calfeutre porte et fenêtre. Il avale tout un tube de somnifères, arrache le tuyau de gaz. Sans laisser un mot derrière celui ce "frère des bêtes et des choses, des livres et des villes, de l'espoir et du malheur" se donne à 43 ans la mort. Être dans son corps réel ne lui suffisait plus. Il lui fallait non seulement briser la solitude, célébrer par son acte « la fin du règne de la soif » mais signer le fait de n'avoir en fait "qu'entrer dans la vie d'un autre" et non dans la sienne. Il laisse ainsi derrière lui une suite de chants inachevés preuve comme il l’écrivait à la fin de « Perméables » que « nous ressemblons à un gant retourné ou à une terre perméable qui, dans un circuit sans fin, est en même temps la terre traversée et la terre qui traverse ».

     

    Son écriture reste un milieu physique presque inhabitable. Le poète y éprouve concrètement l’expérience de la finitude, de la fragilité, du constat de la dissolution du corps. Il révèle en même temps que cette dissolution du corps est une opération de creusement et d’incandescence par quoi, dans l’épreuve de la solitude, nous nous débarrassons progressivement de ce qui nous encombre et fait se lever un appel dévorant. Le chaos se retourne sur lui-même, la lumière se concentre. Elle efface les ombres du moins un temps par la voix du poète. Du chaos aux échos, il y a dans le retournement langagier. Il devient le signalement du retournement opéré, à travers le langage, dans la conscience de celui qui parle.

     

    Voronca fait émerger un espace de l’indifférencié, de la privation portée à son comble et qui, par là même, fait surgir le noyau de l’infracassable. L’écriture du poète est toujours dense. Son économie verbale témoigne du creusement de l’Être qui culmine, éblouit, conjure et à la fois purifie et absorbe la vision du monde. Voronca n‘hésite pas quand il le faut à ajouter du privatif au privatif en un processus paradoxal dont témoignent les mystiques pour mettre à jour l’état de manque. Dans « Perméables » cependant la ligne ne se brise pas mais il est possible que l’ensemble tend à s’annuler prodigieusement en une géométrie de l’air et de l’espace.

     

    Le lecteur avance jusqu’à ce qu’il rencontre la nuit mais pour percevoir la lumière qui l’annule d’un seul regard, d’une visée. De ce corps à corps avec soi-même et par l’expérience concrète du poème l’auteur mesure chaque arpent de notre non-lieu par le sien jusqu’à s’abolir lui-même. Le texte devient lieu d’acquiescement et lieu habitable. Habitable dans la fragilité, la métamorphose et l’éphémère sont assumés avec une maturité absolue d’expression. Comme dans une œuvre abstraite, mais aussi profondément phénoménologique, le discours poétique s’articule de manière oxymorique. Les couleurs blanc et noir, la parole et le silence, la nuit et le jour, la vision et la cécité, les voyelles et les consonnes, la ligne d’horizon et le cercle, l’œil et la bouche, le stable et l’instable, la présence et la perte se déclinent en images et figures complémentaires d’une recherche du sens.

     

    L'écriture de Voronca traduit la position ontologique post-moderne. Il faudra bien sortir du « je », du jeu des apparences à travers une scrutation quasi hallucinatoire de ses composantes, pour déboucher sur la seule position qui vaille : celle de l’errant, d’un marcheur, poreux et perméable à un univers de signes en constante mutation. Mais la parole du poète roumain reste aussi une approche kaléidoscopique d’un réel aux multiples potentialités. Elle entre dans l’abîme de la porte, dans les profils pleins, les profils creux, les profils tombés dans l’espace éclaté de toutes les portes. Face à une réalité (le jour, le paysage, la chambre, les murs, la claustration) qui s’avère inquiétante, étouffante, le poète aura écouté la nuit monter comme il aura entendu sourdre le rêve comme les gouttes de solitude dans la chair des vivants.

     

     

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  • Preuves de la vie même

    Pierre Schroven

     

    L’arbre à paroles, Amay

    72 pages

    12 €

     

    Pierre Schroven : l’enfant d’eau

     

     

    Pierre Schroven jette toujours un regard nouveau non sur, mais par la poésie. Grâce à une technique de plus en plus maîtrisée il présente d’une manière aussi simple que complexe ses preuves de vie. À ce titre sa poésie est philosophique mais dans le bon sens du terme. À savoir qu’elle est au service de la pensée et non l’inverse. À titre d’exemple un passage peut suffire à comprendre cette propension essentielle :

     

    « Sur une immensité d’eau

    Parsemées d’îles rocheuses

    Les poissons bondissent

    Change d’apparence chaque fois que je respire

    Et quand surgit la lune

    Visage balayé par des rafales de vent

    Je jette mes filets dans les flots d’une question qui résonne sans réponse

    Comme la voix d’un fantôme contemplant dans la mer l’évaporation lente de son ombre »

     

    On voit comment l’écriture poétique infiltre la pensée. Elle le propose - comme elle le crée pour la terre - de « la faire pencher du côté dont on ne peut rien savoir ». C’est pourquoi tout l’univers de Pierre Schroven est maritime. Le poète devient l’enfant d’eau. Pas n’importe laquelle : celle des plages où le monde entre en déséquilibre mais aussi en une forme de transparence implicite. Cette zone de frontière témoigne autant du fond, du dépôt que de l’irruption. Elle est le lieu, comme la poésie, où peut affleurer ce qui était jusque-là caché entre abysses et origine.

     

     

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  • Aspects riants

    Paul Badin

     

    Éditions de l’Atlantique, Saintes

     

     

    Chez Paul Badin et contrairement (peut-être) aux apparences ce n'est pas le paysage qui est langage mais bien l'inverse. Dans la fluidité et la simplicité de ses images la poétique découpe tout un univers bien plus complexe qu'il n'y paraît. Par-delà le paysage d'autres arrières fonds se dégagent non seulement par "la mise en lumière de clairs obscurs" mais par ce qui reste chez l'homme "de fringales d’enfance". À savoir - par-delà tout ce qu'il a raté - ce qui demeure en lui de mystère et peut-être d'accomplissements à naître sur le versant du soir de sa vie. L'auteur a d'ailleurs toujours été fasciné par cette quête à travers la durée et l'espace. Il faut relire des livres comme "Les plis du temps" pour repenser la première ou " Gouttes d’Afrique" afin d'en estimer le second.

    Paul Badin crée des possibles auxquels nous donnons, nous, le nom d’histoires. Chacun de ses poèmes devient une fable. À savoir quelque chose qui tente de tenir debout, de tenir le coup alors que notre histoire ne sera jamais rien d'autre qu'un écart. Toutefois le poète par ses agencements d'images et d'interstices rappelle le désordre qui nous habite au sein même du quotidien. Il crée ses indices « d’évidences » et ses cassures en réaction profonde aux dynamiques du réel. D’où cette insatisfaction par la beauté qui surgit de ce livre. De son trouble aussi. Contre le « chaomorphisme » surgit l'attente d’un monde en dépit des dépressions que fait subir parfois l'existence.

    Ce qui est écrit et montré n'est donc plus ce qu’on voit souvent à travers les images : la trahison par le mensonge de l'exhibition de seuls temps forts. À l’inverse Paul Badin évoque une sorte de manque. Son texte en devient la métaphore mais aussi sa fulguration Cette affirmation formelle exige un degré supérieur d'abstraction esthétique. Le travail de Badin n'est cependant jamais formaliste. Il implique un degré important de recueillement et de réflexion. S'abstenant de toute pensée discursive, le créateur pense par images dont la solennité de l'éphémère n'est pas absente.

     

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  • Anthologie du projet MW

    Robert Wyatt

    Anthologie du projet MW
    (Poèmes traduits par J-M Marchetti et CD de Pascal Comelade,)

    Aencrages And Co, Baume les Dames,

    240 page

    20 €

     

    FORCE ET FRAGILITÉ DE ROBERT WYATT

     

    Wyatt est un artiste transversal et un dessinateur d’espaces sonores. Sa volonté demeure de faire vibrer le et les sens. On peut le définir comme un voyageur utopique. Il se voulut d’abord peintre et écrivain. Il entra d’ailleurs dans la musique sous le patronage de Dada et de la Pataphysique. En pénétrant dans l’art qui allait lui permettre ses explorations les plus probantes le barde, après l’aventure de « Soft Machine », dégringola de plusieurs niveaux avant de composer un des albums les plus importants de l’histoire de la musique populaire (en la faisant rejoindre une musique plus savante) « Rock Bottom ».

     

    Aencrages and Co fait ici coup double. D’abord en compilant 80 textes de Wyatt et de sa compagne Alfreda Benge en collaboration avec le plasticien et pianiste Jean-Michel Marchetti. Ensuite en joignant à ces textes un C.D. de reprises minimalistes de Pascal Comelade. Ce dernier offre une lecture sonore nouvelle de Wyatt. Les textes du compositeur et auteur sont magnifiques et ouvrent à bien des dérives « dans la ville aux portes closes, des hommes vivants miment des saints gisants, sur des surfaces gondolées ». Se retrouve dans les mots la voix feulée (à la Chet Baker) de l’artiste. On sait combien elle porte en leurs quasi-murmures les textes d’une sensibilité rare. Ils peuvent traiter d’un tableau de Magritte, de la dénonciation de la guerre des Malouines ou encore du bombardement de Tripoli. Jamais le désamour du monde précipite Wyatt dans les plis de la rêverie « vide ». Alors que Wyatt a parfois de quoi s’assombrir, l’île noire de ses imaginations reprend le dessus et la machine de travail se réenclenche dans une approche subversive pour dépasser la fin des mondes.

     

    Wyatt est par excellence un artiste contemporain. Il porte le poids de l’Histoire mais lui donne une dimension humaine jusque dans les lignes mélodiques qu’a reprises et comprit Comelade. Force, douceur, fragilité sont liées dans les textes comme dans les musiques. Wyatt demeure exceptionnel dans les rendez-vous qu’il propose en faisant irruption dans nos vies par ses formes, ses structures musicales et les comptines à facettes de ses textes. Baroque et classique, il nourrit notre écoute d’une grande part d’inconnu. Reste à prendre une attitude suffisamment ouverte pour entrer dans l’œuvre non comme on visite un monument mais comme on explore un environnement neuf fait d’ondulations et de variations.

     

     

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  • Vanités, Carré Misère

                                  vanites.jpgYves Boudier

    Editions de L’ACT MEM

    N° ISBN : 978-2-35513-031-1

     

    Date de parution : deuxième trimestre 2009

     

    Nbre Pages : 144

                                                               

    Passé la lecture du texte de Michel Deguy Propos d’Avant, puis les trois citations de Sophocle, Beckett et de Patrick Declerck en introduction du livre, la pagination nous conduit vers un face à face avec deux carrés picturaux.

     

    L’un est la reproduction d’une Vanité du peintre David Bailly daté de 1650 Le portrait d’un serviteur, l’autre est une photographie d’un sans-abri – comme on les nomme pudiquement – prise à Paris en 2005. L’absence du nom de l’auteur de la photographie nous renvoie à un double anonymat, et à cet homme d’abord, ce sans-abri qui  nous regarde droit dans les yeux.

     

    Les trois citations et ces deux représentations nous placent dès les premières pages au centre du livre. Avec lui Yves Boudier pose l’hypothèse que ces hommes et femmes dans le décorum de nos villes,  que nous voyons et laissons dépérir dans les rues, seraient les Vanités d’aujourd’hui. L’homme  –  le sans-abri  - sur la photographie a remplacé l’homme – le  serviteur - de la Vanité.

     

    Les Vanités sont des natures mortes, représentant des possessions terrestres, censées illustrer par delà la mort une réussite sociale. Éphémères possessions au milieu desquelles la représentation d’un crane rappelle la temporalité de la vie.

     

    Le livre est composé de huit ensembles tous ponctués en introduction de vers de L’épitaphe de François Villon

    Frères humains qui après nous vivez, N'ayez les cœurs contre nous endurcis,...

     

    Les poèmes présentent une écriture à la forme scindée en deux parties. Une forme singulière  mais non ad hoc à ce livre et que j’avais rencontrée dans un livre précédent d’Yves Boudier intitulé, . Caractérisée par cette forme générale évoquant  la scission, l’écriture se nourrit, me semble-t-il, à des scènes issues, de la vie quotidienne, de tableaux ou de photographies.

     

    Yves Boudier suggère qu’à bien des égards, les hommes et les femmes  sans domicile, qui errent dans les paysages de nos villes s’apparenteraient à des Vanités modernes. Comme cet homme sur la photographie, trainant dans un chariot de supermarché les vestiges des choses qui emplissent nos vies d’occidentaux. Le dénuement de ces personnes errantes regroupées  dans les villes, assises, couchées comme exposées est le revers de fortunes devenant indécentes.  Accumulations de richesses parfois iniques et aux excès morbides dont les sans-abris seraient le triste corolaire. Voici peut-être le lien qui existe, comme inversé, avec les vanités.

     

    Potentiellement inscrite dans ces scènes de rue, dans la détresse et le fatalisme des relégués de nos sociétés l’ombre de la mort plane. Car c’est bien la mort qui est au centre du livre. Des poèmes en témoignent très vertement dans des scènes expurgeant du corps ses organes. Sont-ce des scènes d’autopsies ?   

     

    Sur la table/     le cœur/ le  foie/ un œil/    

     

    ou plus loin    

     

    Ses organes        sous ses yeux / les voient défiler /

     

    En lisant certains de ces poèmes, je ne peux m’empêcher de songer à cette récente exposition - d’art nous dit-on ! Our  body  - qui fut finalement interdite, en France. Elle montrait des corps humains écorchés, conservés  par un procédé dit de plastination,  qui laisse les tissus internes et les organes absolument et monstrueusement  visibles. Cette exposition est symptomatique du cynisme de nos temps où le corps, mort et exposé, au nom d’un pseudo art est employé comme une matière première. Il y a dans cette hypocrisie là, consciente ou non, une transgression des valeurs humaines. La barbarie se répète sans jamais se dupliquer de la manière.

     

    Quand l’intérieur du corps n’est pas inventorié, des détails le montrent soufrant.  On pense alors à des tableaux Francis Bacon  ou  à des scènes de tortures. 

     

    Épines/ sous l’œil / grandes venaison/ de cadavres/ La corde croche/dans l’articulation/ s’étirent les chairs/ jusqu’à la déchirure/ Os tombent au sol / secs - viandes

     

    ou encore

     

    Celle qu’on aimait/ tant qu’on voulait / (la tuer)/:jusqu’à lui plier / les phalanges / déjointer  / le cartilage / de sa / voix/ (sa grâce)

     

    Le corps expie. Mais pour quel crime ?

     

    D’autres poèmes du livre nous montrent des scènes de rue,

     

    Couchés/ sur les grilles / d’où souffle/ une vie épaisse / flaques d’huile/ de pisse/ poussettes orphelines/ écrasées / de sacs /…

     

    et nous recroisons soudain dans notre mémoire ces Carrés Misère éparpillés dans la ville cosmopolite. Abris de  fortunes le long des voies expresses et des chemins ferrés, couches innommables, matelas de cartons, baldaquins noirs de sacs poubelles sauvés des bacs aux matins froids, apostrophes des passants que nous sommes. Témoins silencieux, têtes basses. Ces scènes Yves Boudier les traque dans la cartographie des villes. Elles le happent, l’interpellent. Lui l’homme, le passant et le poète ensemble. Ce livre est le fruit d’une solidarité vraie où Yves Boudier nous interpelle à son tour. Il intercède et unit sa parole, par les courtes citations et fragments qu’il cite, à celles de poètes et d’écrivains que sont Shakespeare, La  Boétie, Spiniza, Appollinaire, Paul Celan… Cela suffira-t-il pour que notre société mondialisée sorte de sa léthargie amnésique ?

     

    Ce livre entre en confrontation directe avec les symptômes de notre temps malade. C’est bien là le travail du poète que de baliser les précipices. Une menace, le sombre, la mort rôdent ici explicitement. Vanités, carré misère,  est le livre d’un poète qui interroge son époque. Et en se questionnant sur notre société, Yves Boudier nous interroge à notre tour.

     

    Naissons      un par un

    mourrons     un par un

     

                                       tomberons d’un corps

                                       à son tour

     

    (de) lui-même              tombé

                                       nu        comme un mortel

     

                                       délié de son labeur

     

     

     

    Chacun paiera sa dette

    : horizontal

     

     

     

    HM

     

  • ça

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    Franck Venaille

     

     

    Mercure de France,

     

    152 pages

    15 €

    Voici sans doute le livre le plus grave et le plus poignant de Franck Venaille. Bien malin celui qui y trouvera     encore une once d’espérance. Mais à l’inverse la nostalgie n’est pas plus le fait d’un poète rare et dont un récit, « Caballero Hôtel », fut une révélation.

     

    Sans doute l’auteur ne possède pas la place qu’il mérite. Et « ça » ne lui donnera pas d’ouverture. L’ensemble de ses poèmes est trop aride, trop rêche. Mais ils surgissent pourtant comme des révélations. Ils possèdent (même si Venaille a dépassé la soixantaine) quelque chose d’immensément rimbaldien.

     

    On ne dira pas que lire de tels textes est un plaisir. Mais on lit aussi afin de ressentir par un autre ce qu’on ressent en soi-même. Et voilà que ça coule à nouveau « Comme les enfants saignent du nez / Sans savoir pourquoi ».

     

    Nul ne sait où sont passés nos pères et mères. Rien ne sert de monter en chaire et en chair pour le demander. Les prie-Dieu grincent. On se met à tousser. Nous restons les vieux enfants terrorisés par le sang des femmes et leurs linges louches qui séchaient aux fenêtres. Il ne faisait pas bon être sensible en ce temps-là.

     

    C’est pourquoi Venaille n’écrit pas en pensant à autre chose. Sauf exceptions. À savoir les beaux garçons qu’il a croisés. Plus de soixante ans que ça dure (mais en retirer quinze d’inconscience). « Gaumont. Pathé ». Les actualités. D’hier les actualités. Le poète est sans goût pour l’école. Il rêve encore d’être le solitaire mystique en chambre de bonne 6ème sans ascenseur. La concierge est dans l’escalier.

     

    Enfance pieuse. Pluie fine. Crachats de Dieu. Messes à n’en plus finir. Eau bénite. Quitter cet endroit où parler fort est prohibé et où les corps sont rarement musclés (sauf sur des fresques italiennes). Vivre à l’heure le leurre. Et même après. Le corps le sait. Il le fait. Avec ses humeurs ombrageuses. Telle est la destinée du poète. « Sa vie sur terre ce fut ça ». Point final.

     

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  • Matelamatique des genres

    Louis-Michel de Vaulchier

     

    Editions Passage d'encres  

     

     

     

     

    Rebut des vêtements abandonnés sur le plancher. Tout arrive. En glissade d’un texte l’autre, d’une graphie l’autre et sexes idem. Presque pas besoin de faire un dessin (même si le poète en abandonne quelques uns). Reste un corps hautement dégagé. Mais un corps qui demeure étranger. Il y a jambes autant qu’il le faut nues contre les siennes. Les corps en doigts tordus s’ajustent, se serrent. L’autre à l’autre en appui tout au long. Une seule silhouette à deux. Remplissage parfait. Danse de compagnie au ralenti consenti. Souffle d’air. Frôlement. Nouveau plongeon. D’un texte à l’autre à plat ventre dans cette matelamatique qui va "du presque lyrique au presque scientifique". Drap repoussé à force. Le tissu se tend. Retenir le geste. Le prolonger. De façon que la partie ne s’arrête plus. Corps flous, fous. Leurs ombres servent de preuve. De Vaulchier cherche la formule secrète. Chaque texte enlève, enfile. Suave retentissement, temps découpé à mi-cuisses. Accélérer, ajouter, ralentir, quitter, revenir. Sans penser. Sans voir le temps passer. Consentir. Obligation de poursuivre guidé par des hauteurs et des intensités. Ambiance plus sauvage virant au glam-rock. Arche d’un pont entre épaules et reins où circulent les idées de plus en plus chargées d’odeur. Il faut que sexe et texte se confondent en « lit & rature ». Crêtes levées des lèvres ourlées jusqu’en une heure tardive, brûlantes de fièvre.

     

     

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  • Corps de Rimbaud, Carnet de Djami

    Jean-Pierre Védrines

     

    Editions Le Bruit des Autres à Limoges

                                                              

    70 pages   -    10 Euros.                                                            

     

    Chant de Fouille.

     

    Comment un poète pense-t-il un poète ? Comment procède-t-il avec celui-ci lorsqu'il s'agit d'un des écrivains majeurs à savoir Rimbaud ? Védrines l’aborde par la fin. Lorsque Rimbaud n'est plus le poète mais le mourant. Toutefois l'auteur du "Corps de Rimbaud" sait que sa propre écriture doit rester un état naissant qui n’a rien d’une nostalgie.

    En ce sens le livre développe une écriture dialectique. Elle offre deux temporalités : celle de la traversée finale, de la saison vers l'enfer, celle de la poésie de "la saison en enfer" où tout continue à se passer.

    "Corps de Rimbaud" n’est donc pas simplement une retranscription tragique d'une agonie. Le livre nous familiarise à nouveau avec Rimbaud dans le présent à travers sa dernière errance, son ultime marche claudicante et "forcée".

    Il s’agit d’une fouille, d’un creusement du substrat biographique. Le texte est une mémoire et un état naissant pour voir à travers Djami une dernière fois le poète tel qu'il fut laissé. Il s'agit de descendre dans les mines de son cerveau à travers le puits horizontal de la mort qui vient.

    L'écriture de Védrines s'emploie à déployer des images de fouille à coup de vignettes fulgurantes. Elle les pousse à leur limite jusqu’à voir la pensée de Rimbaud, une pensée qui nous échappera toujours, celle sur laquelle on ne peut mettre de mots.

    Ce texte est un moyen de trouver un autre contact par la poésie vers la poésie à l’aide d’une technique archéologique. Il s'agit pour être en mesure de comprendre le poète de se remettre dans ses ultimes pas et de faire émerger l’empreinte du temps. Celui-ci nous précède comme il a précédé Rimbaud et ses ancêtres et comme il se poursuivra après nous.

     

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  • D'ENTRE LES ÎLES ET LES ROCHERS

     

    Laurent Bourdelas

     

    Locmalo

    Éditions Gros textes

    Fontfourane

    60 p,

    6 euros.

     

     

     

    Laurent Bourdelas nous a habitué à bien. Avec « Locmalo » il aboutit à mieux au sein même un exercice périlleux. Celui de la chose vue qui nécessairement oscille entre le descriptif et le nostalgique. Il arrive même que l’auteur quittant Broceliande note de manière laconique « je suis reparti mélancolique ». Pourtant pour évoquer la Bretagne ses sables du temps et ses archives de granit l’auteur - affronté à tous les lieux de cette chair tellurique mais aussi d’air, de marées et de vent - trouve le langage conséquent afin de transformer les lieux en ce que Bachelard nommait "la maison de l'être".

     

    On ne peut que partager les visions (plus que contemplations), les invocations (plus qu’évocations) que le poète développe juste ce qu’il faut. Ses vignettes ne tolèrent aucunes faiblesses. Elles témoignent d’un stoïcisme propre à cette terre entêtante et mystérieuse en ses côtes jusqu’en ses landes.

     

    Par fragments Laurent Bourde las donne une leçon de vie. Mais il propose aussi le martèlement sourd, sans la moindre fioriture, de ce qui pourrait être une suite de tables de la loi existentielle. Rien n'est dit que dans l’événement choisi par-delà l’anecdote comme emblématique.

     

    Chaque « histoire » reste en bascule entre terre et mer et entre sentiments disparates comme en témoigne ce paragraphe :

    « Toujours revient le bateau de Groix où mon fils fut conçu ou presque. Les passagers sont tristes, voici la terre ferme ».

    Dans une telle approche l’aporie joue son rôle et le livre reste du même tonneau, de la même tonalité jusque dans les peintures évoquées en fin de livre. Soudain les jacinthes deviennent abstraites et les alignements de Carnac deviennent un « fleuve étrange ».

     

    À qui ne connaît pas encore la Bretagne ce texte sera une invitation au voyage. A qui la connaît il offre une autre vision, une rumeur qu’on ne soupçonnait pas. Bourdelas reste fidèle à sa poésie essentielle dans son mouvement de retour réflexif sur l'existence. Il trouve des mots capables de peupler nous seulement les lieux mais ce dont ils sont nourris pour mieux nous habiter.

     

    « Locmalo » est donc un texte dense. Il donne des raisons de s’apaiser à qui sait soulever le voile des apparences. Le poète y rappelle à qui n'est plus capable de son pays de trouver des territoires qui permettent de le faire tenir vers le temps sans images. Avançant douloureusement et sereinement vers au milieu de ses propres anciennes images, l’auteur les prolonge d’un écho vers celui qu'il est devenu à travers elles. Ajoutons que Bourdelas reste un des rares poètes qui tordent le coup à l'effusion lyrisme. Il tend son écriture vers une fraternité sans fioriture et au cœur de la splendeur du monde dans sa dureté comme dans sa fragilité.

     

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