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Notes de lecture - Page 3

  • PETER GIZZI, L'EXTERNATIONALE, COLLECTION "SERIE AMERICAINE" CHEZ CORTI

    L’externationale 

    Peter Gizzi,

    traduit de l’anglais (USA) par Stéphane Bouquet,

    coll. « série américaine », Corti, Paris,

    112 pages

    17 €.

    par Jean-Paul Gavard-Perret

     

    Peter Gizzi  s’oriente vers une vision d’un corps autre. Celui auquel il s’identifie à la fois à  travers les images (Jess Collins, Van Gogh) et les sons (John Cage) et par un arrachement puis un transfert du « je » vers le neutre : »

     « Trop de spectacles conquièrent le je.

    Que pourrais-je en tirer ? Stupéfaction ?(…)

    Certains appellent cela confiance en soi. ».

     La poésie devient l’exercice de cet arrachement continuel aux certitudes du moi. Il donne à la perception elle-même l’occasion de subir une métamorphose. L’œil n’est plus une fenêtre vers l’extérieur mais l’intérieur. La narration bascule au profit de la méditation au sein des formes, couleurs et sons. En même temps le corps se métamorphose en une extension physique sans organes sinon les capteurs sensoriels.

     Le poète américain se dégage du corps dolent qui empoisonna la poésie jusqu’à Artaud qui le premier nia sa pression (au moins « sur le papier »). « L’externationale » devient le livre qui énonce des pulsations de vie particulière. Elle se traduit en une écriture éloignée du logos. D’où la difficulté de sa traduction. En effet le poème dévore parfois les mots. Cela exige du lecteur un rôle (presque) excessif et une concentration extrême. Surgissent jeu et jet verbaux où se distinguent des séries d’assonances. Elles  s’appellent, se succèdent, se complètent. Un tissage sonore gouverne le sens, le fait dévier, le précipice. On y suit les pulsations d’une pensée qui avance, non par enchaînements mais par associations juxtaposées : « scule, ence, ide » ou encore « mandias, icieux, rex » par exemple.

     Difficile pourtant de comprendre le rythme de ces élans, de ces chutes et de tels raccourcis violents. On sent que la poésie est une pensée en acte mais en appréhender toute la force n’est pas simple. Tout se comprend plus par suggestion ou « auto transcription » mentale  que par réelle compréhension. La sensation cependant demeure présente. Elle vient des racines de la poésie (Dickinson, Whitman, Blake) et du prisme des images et des sons d’œuvres contemporaines. De la sorte le langage s’abîme dans son propre mouvement et se manque à lui-même pour passer de la confrontation du réel avec l’irréalité de la représentation. Une telle ambition permet de donner à voir, à entendre – et pour paraphraser Artaud -   un théâtre et son double.

     Résumons : Peter Gizzi reste un des tenants de la revendication d’une forme poétique qui ne correspond plus aux normes classiques. Parfois vaguement narrative mais surtout tranchante cette poésie traduit un désir obsessionnel de donner au texte une nouvelle anatomie où s’insèrent des scissions internes. Rares sont les œuvres dégagées de nostalgie et dotées d’une telle vertu énergétique.

     

    Jean-Paul Gavard-Perret

  • LE BECKETT ABSOLU POÈTE d’Isabelle Sobelman

    « Beckett »,

    Isabelle Sobelman,

    Éditions Derrière la Salle de Bain,  Rouen,

    7 Euros.

    par Jean-Paul Gavard-Perret

     

    À partir d’une œuvre de Jean-Olivier Hucleux Isabelle Sobelman a écrit l’essai le plus dense et le plus ramassé sur Beckett un des rares écrivains et poètes dit-elle « à ne jamais mentir ». Il fut pour cela libéré de bien des choses. Surtout des contingences. Porté par les femmes et surtout par Suzanne. Elle fut d’abord l’infirmière aimée qui le tira d’une situation périlleuse. Elle devint l’épousée et la presque haïe. S’en approcher trop le fit s’en éloigner (ah les vases communicants – ou non…). Dans le même appartement le couple n’échangea bientôt plus que par le téléphone intérieur. Ce fut une nouvelle stratégie inventée par Beckett pour quitter le réel afin de respirer. Bref un nouvel avatar du mouvement qui lui fit fuir le pays natal pour trouver de l’air. Beckett ne pouvait rester que loin de l’Irlande en éternelle « vacance ». De retour sur son île – rapporte son psychanalyste Bion – il en revenait couvert de pustules.

     

    Il est certain que tout avait mal commencé. Qu’on se souvienne que Beckett a vu le jour un vendredi saint. La pire date pour une famille catholique. Cette naissance qui fit de lui un mort-né ne pouvant non seulement « s’approcher du rien par le vide mais avec deux êtres chevillés en lui : le vivant et le mort. Les deux à bonne distance de leurs semblables. Avec le sentiment – comme il l’avoua à Charles Juliet – d’ « être jamais né, d’être – naissant – assassiné ». À la fois vieux chêne et épervier.

     

    Mais Isabelle Sobelman par-delà le ponctuel rappelle l’essentiel. À savoir la jeunesse « éternelle » de Beckett. Sa jeunesse c’est le présent, c’est l’instant. Là où l’écriture elle-même fait peur dans l’aventure démesurée de vivre. L’auteur y donne toutes ses forces. À la limite de l’égarement, au pied d’une falaise. Écrire c’est grimper quelques centimètres dans une varappe incessante et une marche forcée dans Paris, sa rumeur, sa beauté. Certains instants soutiennent. D’autres font le contraire (euphémisme). Mais l’auteure rappelle que Beckett n’a jamais parlé de la mort : il n’a montré que la vie. Guettant l’instant. Quand il ne l’attend pas il dort, il se détruit, il a des remords, il boit, il joue du piano. Mains parfaites. Sachant qu’il n’y avait pas de mots, des mots « qui font ». Il n’y a que des murmures et des hésitations.

     

    Une cataracte rendit Beckett un temps presque aveugle. Ce fut une autre manière comme l’indique une de ses phrases « Voir mal pour voir mieux ». Et parler peu pour dire mieux. Dans le silence et l’immobilité. Attendant le seul texte d’une page. Celui dont on peut vivre. Cette « Folie du croire » (publié en fac-similé par la librairie des Éditions de Minuit lors de la mort de Beckett). Un tel saut dans l’inconnu rappelle une dernière fois que l’écriture c’est le risque. Un salto vers l’énergie. Un soupir sans point final. Avant que de finir et de subir la « dernière cure d’ignorance » dont Beckett parla à Novarina en tant que « seul principe poétique ». À savoir se laisser traverser, se laisser dominer par ce qui dépasse. Attendre que tout s’effondre, entrer dans un terrain d’ignorance. Certains ont pris cela pour du mysticisme. Mais c’est tout le contraire. Isabelle Sobelman l’a compris. Ce qui compte pour Beckett c’est la défaillance de la logique et de la transcendance. Il faut être vaincu pour faire.

     

  • Zoom avant, de Christophe Stolowicki,

    Zoom avant,

    Christophe Stolowicki,

    Peintures de Thérèse Jeanneau,

    coll. « Trace(s) », Passages d’encres, 2013,

    14 €.

    par Jean-Paul Gavard-Perret

     

    Stolowicki garde au cœur de sa poésie le ravin et la braise des sacrifiés. Il est le fils secret des sans nom de l’Histoire. Par diffraction ce qui fut mort paraît. Mais laisse chacun encore plus seul. Foule retentit. Foule ou l’un contre l’autre. L’un en l’autre comme revenus stupéfiés. Est-ce la présence à ses côtés de Thérèse Jeanneau ? Mais toujours est-il que le poète « s’ose ». Certes les miasmes de son passé demeurent avec l’absence d’espérance « et sa ceinture de noir ». Mais le regard trouve dans l’obscur un chemin de hallage. Surgit - en dépit du manque de relief qui ne tient pas au paysage mais à celui qui le regarde - : « L’éclat océan des nombres premiers, des entiers décimaux de jeunesse ». Stolowicki replace le corps - ou plutôt l'inscription corporelle de l'esprit - dans des dispositifs techniques poétiques pour faire remonter sans faire abstraction de la mémoire « l’autre face du noir ». En la syncope immense des corps le poète inclus chaque fois toute la nuit et toute la lumière afin que le poème devienne la phrase totale.

    Aux grands silences collectifs, aux bruits des bottes qui firent résonner la souffrance il donne un rythme, un témoignage et réinvente une forêt des songes. Il y repère un bois de signes. Les deux appellent à un au-delà de la vision par la matière travaillée, reprise, élaborée. Et si le poète va toujours puiser du fond des temps un savoir enfoui pour rappeler une violence absolue et une douleur toujours présente il fait briller une lumière de chaos d’éclats. Buvant sa mort vivant il tente d’arracher à ses pesantes nuits d’ombres une splendeur aride au sein de la tension que traduit figures de style et fragmentation du phrasé. Une telle poésie toute en torsions silencieuses devient un tâtonnement sans fin afin que la lumière respire au sein d’une vision aqueuse et minérale. Poésie et peinture s’y répondent dans un voyage à la fois perpétuel et immobile. Au crépuscule l’infime perle d’aube. Le poète propage la vie des obscurs. Il reste comme celle qui l’accompagne ici le passeur qui enterre l’ombre dans la lumière des lignes d’un ciel invisible. Succession d’états de conscience. Retour aux lieux extrêmes. Qui pour les reconnaître ?

    JPGP

     

  • LE VOYAGEUR SANS VOYAGE, de PIERRE CENDORS, éditions Cadex

     Le Voyageur sans voyage,

    Pierre Cendors

    Cadex Éditions,

    Portirange,

    56 pages,

    10 Euros.

     par Jean-Paul Gavard-Perret

    Pierre Cendors est né en 1968 à Ambilly à côté de la frontière suisse. Mais son patronyme d’auteur n’est pas son vrai nom : « C’est un promontoire non-identitaire, un lieu inculte, sans doute un espace d’émigration intérieure. Je suis un marcheur qui s’arrête pour écrire et s’assied pour avancer d’un pas plus loin. Paysages d’origines : l’Irlande et l’Écosse. C’est là que j’ai acquis les rudiments d’un art un peu oublié : l’errance éveillée » dit le poète.

    Son livre le prouve. Il est vrai que Cendors a de qui tenir. Enfant un arrière-cousin romancier et historien l’initia à la littérature. Et après des études d’Art il effectua son service militaire là où une autre figure tutélaire du futur écrivain - Charles Juliet - avait fait le sien. Une correspondance en naquit. Juliet soutint le jeune homme qui s’isole dans le Connemara plusieurs années afin d’écrire. Commence un long travail et un passage de l’Irlande à l’Écosse. À son retour en France Cendors publie son premier roman, « L’Homme caché ». Depuis il vit caché à la campagne, près de Paris dans ses paysages intérieurs qui sont semblables à ceux de ses paysages ascendants irlandais : élémentaires, nus et sauvages.

    Le Voyageur sans voyage s’inscrit sous les mots (rares) d’un enfant secret : « On dit que les histoires d’autrefois commençaient toutes dans les bois. La mienne s’y terminait. Je redoutais d’y suivre l’enfant. Plus que tout, je redoutais de me retrouver face à mes rêves. ». À partir de là le texte devient une nouvelle d’exception dans laquelle un train recouvert de glace - un train bleu - réapparaît chaque soir à la tombée du jour : « Le train bleu n'avait pas de fenêtres. La glace voilait tout. Aucun visage ne paraissait jamais aux wagons » écrit le narrateur. L’étrange convoi ne s’arrête jamais et ne mène nulle part. Personne ne peut dire d’où il vient, qui le conduit et quels sont ses voyageurs.

    S’il peut être vu comme une métaphore de la mémoire et du rêve ou comme celle de tous les déplacements et déportations il reste avant tout un « objet » mouvant, fuyant, insaisissable. Ne connaissant quel est le désir qui lui donna le départ et celui qui en marquerait l’arrêt reste son errance il demeure une énigme. Tracté par le vent fou qu’il déplace à son passage et par la curiosité qu’il génère le lecteur ne peut s’arrêter de dévorer les lignes qui à l’image de la vie et de ce train défilent à travers l’obscur sans en venir en bout mais sans y être fondu.

    Ce train de nuit énigmatique casse la vacuité des jours. Et le lecteur se dit que par une d’entre elles le convoi pourrait atteindre une frontière sans aller plus loin. On rêve pour ce terminus d’une gare non près d’un camp mais d’une poignée de cabanes avec des êtres et des ânes et toute la vie devant eux. Même si celle-ci est incertaine et entrecoupée de pluie comme en terre d’Irlande.

    Le livre est un véritable poème en prose. Moins celui d’un rêve ou d’un cauchemar que celui des conjectures. Comme son sujet il suit son cours dans l’obscurité. Y dormir serait le pire défi. Il faut rester voyageur parmi les voyageurs, entendre d’autres souffles - celui d’une femme, d’un enfant -, craindre ou espérer une portière qui s’ouvre. Et voir contre la lumière bleue de la veilleuse s’ébattre quelques papillons d’espoir. Non ceux du matin mais ceux du soir où l’Un se mêle à tout et où il a perdu son visage.

    JPGP

  • De-ci , de-là de Bernard Dufour

    « De-ci, de-là »,

    Bernard Dufour,

    Éditions Fata Morgana,

    Fontfroide le Haut,

    26 pages,

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    Surgit du livre de Dufour une sensation étrange : à mesure que l’on regarde, « ça » infuse et absorbe. Sans que l’on puisse mettre un nom sur ce « ça ». Émerge en effet un registre du rituel là où pourtant l’art plastique s'exclut de toute bonne manière pour retrouver une primitivité. Il convient de se laisser entraîner (prise en la prise) dans les mouvements et les dérives du noir brut des coulées rapides là où Bernard Dufour ne joue jamais sur l’effet de brûlure. Ne reste de l'image que des lignes hâtives, nerveuses. Dans chaque dessin il y a un faire et un défaire, une prise par défaut, un défaut dans le dessin en sa facture classique.

    Le dessin sert enfin à autre chose qu'à raconter ou à montrer du corps. Il le remet en jeu, il l'enjambe dans une inscription figurative qui accepte le déficit, la perte de contrôle. Par mouvements vifs, partant du haut ou du bas, Bernard Dufour offre ainsi une descente en nous-mêmes à travers ces images. Mais si cette descente est possible c'est parce que nous ne sommes pas dans le tableau : il ne fait plus miroir : la "réflexion" remplace ce miroir.

    L’essentiel réside dans la machinerie, la fabrique, "la mécanique à dessiner". Avec « De ci, de là » comme dans toutes les œuvres de Dufour un "thème" ne joue jamais au-dedans d'une image qui l’illustrerait ou en fournirait des variations. Si réel il y a, le peintre le fait échapper, excéder, s’enivrer par défaut. Il permet de toucher à une sorte de saturnisme en jouant sur l'achèvement et l'inachèvement. Par la prise arrachée au sein d’un continuum se reconstruit, émerge quelque chose de non fini, de suspendu.qui n’oppose plus le travail de la jouissance à sa mise à jour.

    JPGP

  • Alberto Giacometti, Dessin - Texte de Louis Clayeux

    Alberto Giacometti, Dessin,

     Texte de Louis Clayeux

    Éditions Galerie Claude Bernard,

    Paris,

    162 pages,

    20 Euros.                              

    Une lecture de Jean-Paul Gavard-Perret.


    Dans ses premiers dessins, même si les visages sont parfois ronds, Giacometti est déjà le sculpteur en deux dimensions du décharnement et de l’effroi. Corps et objets sont transformés en volumes. Même bien nourris ceux qu’ils dessinent sont déjà des spectres en puissance comme si l’artiste les radiographiait au rayon X de son regard azur.

    Mais ce faisant et par le dessin ils font front à l’éternité tandis que de tout leur silence vrombissant ils témoignent aussi de l’irrécusable solitude de leur créateur.

    Leur signification échappe pourtant à tout pathos, tant, comme les antihéros de Beckett, ils se situent bien au-delà. C’est sans doute pourquoi leur « signification » dépasse de mille lieues une simple illustration de la condition humaine.

    Giacometti savait qu’en art la couleur est une aliénation déterminée par des réactions émotives. Elle reste sans efficacité réelle pour l’esprit. À l’inverse le trait « abs-trait » si l’on peut dire et impose une modalité perceptive que la couleur noie pas l’excès des sensations. A la « colore » s’impose donc le « disegno ».

    Et dans tous les dessins de Giacometti une présence de vie se bat contre le peu qu’elle est. L’ombre attend son heure. Et pour l’artiste ce ne sont pas seulement les êtres qui la  portent en eux mais les Dieux illusoires qu’ils ont créés afin de pouvoir s’extirper tant que faire se peut de leur angoisse du temps.

    Contre les images pieuses les dessins de l’artiste évitent tout lyrisme, tout tragique. Mais ils ne sont pas pour autant purement circonstanciels et réalistes. Les statues sont là en germe. Elles glissent furtivement sur les pages de cahiers, de carnets. Néanmoins ici les presque morts restent des presque vivants même s’ils semblent excoriés de leur chair.

    En eux reconnaissons simplement nos frères d’ombre autoritaires. Leur présence au monde ramène à notre étrangeté. Ils entraînent dans leur sarabande immobile pour faire de nous ce que nous sommes des êtres triviaux et  tristement orgueilleux de n’être que ce creux qui chacun s’efforce de cacher comme il le peut.

    Yeux absents ou fuyants, pensifs ou lointains les visages dessinés par Giacometti restent ceux de fantômes insomniaques de notre propre inquiétude. À travers  ces rares invités d’une attente à redouter  le futur sculpteur  ouvrait l’art à un autre espace : A savoir un horizon à la fois trop haut et trop bas. Qui  ne donne sur rien.

    Giacometti - avant de dresser les êtres  au cœur d’une mélancolie et d’un effroi qui ne sont pas psychologiques – se contentait de les étudier, saisissant leur regard perdu. Comme s’ils regardaient les nuages dans le ciel absent. Réapparaissant dans les sculptures debout mais harassés ils seront voués à marcher péniblement dans leur désert avant de rejoindre l’Achéron.  Entendons par ce mot la nuit de l’être qui - et c’est bien le plus terrible - ne peut pas être ramené au néant.

    Pour l’heure et dans ses dessins Giacometti chérissait ceux qui n’étaient déjà plus vraiment dans l’espace mais y trouvaient encore çà et là une chaise esquissée pour se poser. Sentant que leur histoire moins que de finir n’avait – tout compte fait – jamais commencé. Les lignes sont converties à une fluidité qui se marie à la lumière dans une forme d’effacement. Les visages restent des ombres portées sur un crépuscule sans fond ni repère. L’art se mesure à ce qu’il est : l’ébranlement de la pensée par le trait de cendre et de graphite. Libre et savant le dessin dans ses apparences d’ébauches reste inflexible.

    JPGP

  • Le silence des pierres - Matthieu Baumier

    « Le silence des pierres »

    Matthieu Baumier,

    Le Nouvel Athanor, Paris,

    2013,

    92 pages,

     15 Euros.

     

    L’histoire des arts est traversée par une distinction cruciale entre ceux du temps (musique, danse, théâtre) et ceux de l’espace (peinture, sculpture, architecture). Cette distinction et cette dichotomie reposent sur bien des malentendus que la poésie - et plus particulièrement celle de Baumier - balaie. Elle n’annule plus le passage du temps, ne nie pas plus une sorte de mystique de l’espace par effets de rythmes et d’échos.

    Il existe dans ce livre  une synthèse du temps et de l’espace. Chacun est un « baiser » au sens où il marque l’instant mais aussi un appel qui le transgresse vers une sorte d’éternité provisoire. Mais éternité tout de même. D’où l’effet de décomposition du temps par chaque poème et en même temps l’effet de mouvement qui s’étire dans l’ensemble du corpus sans qu’il se limite à un syncrétisme caoutchouteux.

    Peu à peu les poèmes s’enlacent. On peut alors facilement imaginer qu’entre eux puisse à nouveau s’étirer le temps et le décomposer en nouvelles figures. Si bien qu’à l’image du baiser qui évoque la répétition des histoires d’amour depuis toujours dans la poésie ou les arts plastiques est remplacée implicitement par celle d’un axe fléché à la recherche d’une renaissance de l’être (par l’amour certes, mais qui ne se réduit plus à ce qu’il est dans la poésie ; c'est-à-dire extrêmement fermé).

    L’expérience de la contemplation esthétique est donc remplacée par la visée d’un horizon appelé. Par cette « identité » nouvelle tout change. La poésie sort des ornières où souvent elle se creuse et l’auteur rejoint les hauteurs d’un Jabès, d’un Gamoneda ou d’une Maria Zambrano.

    JPGP

  • Un cadastre d'enfance - ROLAND NADAUS

     

    Un cadastre d’enfance  - et quelques-unes de ses parcelles -

    Roland Nadaus

    Éditions Henry

    ISBN : 978-2-36464-035-6

    Novembre 2012  - 126 p

     

     

    Un cadastre d’enfance vient de paraître aux éditions Henry dans la collection La main aux poètes dont le catalogue s’accroît régulièrement  depuis sa création en 2009.

    Dans le texte préliminaire en prose Journal d’enfance, Roland Nadaus, à travers le regard de l’enfant qu’il fut situe un lieu, La baraque, pose les unités de temps, Aujourd’hui, Demain, Hier, Présentement ! décrit le contexte de  scènes où se joua la comédie humaine d’un quotidien populaire. L’enfant y percera en silence les secrets familiaux qui le concernent intimement.

    Dans la maison des secrets / l’Enfance grandit sans murmures / - car les enfants devinent tout en silence -.

    Là, des personnages s’animent, Môman, Mémère- Boiteuse, Monica Ramos, l’oncle Gus,  et avec eux dans la confusion du regard de l’enfant, l’image troublée du Père qui ne cesse d’être interrogée. À toutes les pages, l’enfant est présent. C’est lui qui écrit les poèmes, lui qui rappelle ses souvenirs, lui qui trace les méandres tourmentés de sa vie naissante - Qui a prétendu que l’enfance / était l’âge de l'innocence / et le plus charmant de la vie ? -. écrit Roland Nadaus. Il n’est pour s’en convaincre que de lire les poèmes.

    Se succèdent alors des scènes  pittoresques, Sous mes yeux éblouis / d’apprenti sorcier/ elle pissait pissait / pissait  plus fort que Paul Dukas/… des portraits tendres, tel le poème intitulé mon vendredi à moi. Mais aussi  des situations ou des souvenirs qui suscitent la gravité et touchent le lecteur Oui : mon enfance

    m’étrangle / quand je respire la nuit.... Et dans cette succession où l’alternance des poèmes nous conduit, le lecteur passe du sourire à l’étonnement, de l’interrogation à l’émotion retenue, Le cœur noir de mon père/ le cœur rouge de ma mère /battaient de la même angoisse/… d’où le poème suivant soudainement  nous  soustrait par une rupture de ton ou l’avènement d’une scène singulière.

     

    Malgré le ton distancié, la gravité et la densité du propos surgissent avec force. Cependant Roland Nadaus maîtrise ici la difficulté d’écrire un livre au plus près de soi, sans succomber au risque d’un affect qui serait trop présent. Il réussit ce livre au sujet délicat avec des poèmes où l’auteur a su lier pudeur et sincérité. Une enfance où notre regard  ne se penche  jamais sans son pendant de gravité empli d’une vraie empathie.

    Quand on découvre que le titre du livre est lié à une confusion, qu’enfant Roland Nadaus établissait entre les mots cadastre et cadavre, on pourra le lire alors avec justesse. Le cadastre est ici le livre où chaque poème porte un titre souligné comme pour rendre hommage à ces moments de l’enfance disparus à jamais.  Deuil de moments heureux ou mémorables, deuil des êtres aimés bien sûr, comme la mère disparue récemment Dans le cadastre de mon enfance / il y a des parcelles d’éternité / - ma mère en est une - .emportant avec elle sinon tous ses secrets, du moins tant de réponses aux  questions restées en suspens. 

    Les situations évoquées dans le livre sont graves, sensibles et contribuèrent à la formation d’un enfant. Comment parler de son enfance ? Sans doute la tonalité donnée aux poèmes et le temps qui a passé l’ont permis aujourd’hui pour Roland Nadaus, après que l’homme, le poète et l’écrivain aient tracé leur chemin.

     

    Mais ce livre raconte également l’histoire de tous les enfants, ceux que nous fûmes aussi, dans l’incapacité de conduire notre propre vie et l’obligation de la subir, pour le meilleur ou pour le pire. Le dernier texte, La soupe aux vers de terre, pourrait bien être une allégorie  à cette situation.

     

    Au commencement était l’enfance, cela durera toute une vie ! Elle nous accompagne l’enfance dans notre carcasse qui se développe, s’étend, s’épaissit dans ce corps qui supporte notre être. À le regarder il semblerait que l’enfance se soit enfuie, si ce n’est que l’enfant, y est toujours présent. C’est du moins le cas pour Roland Nadaus. Il est en lui l’enfant, le protège, revendique en son nom. Et il fait bien, car il aide à ne pas devenir des adultes perçus comme injustes ou insensibles qu’aucun enfant ne voulut être. Comment construit-on une vie d’homme ? Si la République et l’école l’on permit, les conditions d’une vraie résilience parfois sont nécessaires. Et il n’est pas de résilience sans amour. O mon enfance ensorcelée d’amours tristes et / de guerre / - c’est pourtant toi qui m’as appris à aimer -. Roland Nadaus a réussi un parcours en œuvrant à sa vie sans avoir renié l’enfant en lui avec ses désirs et son besoin de justice. Enfant je fus / enfant je demeure en secret / - bien plus lucide que les Grands -.

     

    hm

  • "Ma fellatrice idolâtre" de Fernando Arrabal

    Fernando Arrabal, « Ma fellatrice idolâtre »,

    avec 9 dessins licencieux d'Antonio Segui, Quadri,Bruxelles

    Fernando Arrabal, « Le cahier du refuge 218 »,

    Centre National de Poésie de Marseille,

    décembre 2012,

    Marseille.

    Une note de Jean-Paul Gavard-Perret

     

    Jadis Arrabal était si sombre qu'il connut jamais ou mal la pamoison. Il était idéaliste. L’est moins désormais et ose une vulgate matérialiste d’un type très particulier. Il souque comme un gars de la sardine à Oléron. Sa truite sent le rouge Chanel comme celui du Prix Unique. Car avant de sucer les fraises il y a d'autres plaisirs plus tombal et velouté.  Toutes les « Ruth-à-baga », les « fortes Marie-Bas-de-Laine » ne font cependant pas l'affaire. Pour que le jus roucoule dans le cagibi à mots n'importe quelle « canaillotte » ne fait pas l'affaire. Il faut celle qui « scrapule », « musique », « dente » (juste un peu pour éviter l'Enfer), « drapule », rue, nuance tenante, composte, philtre et filte, palpe et mercerise, spirale pour qu'en faim de fin elle boive le lait d'un vin de fesse.

     

     Arrabal s'adressent - et plus que jamais dans ce livre - aux négateurs de percolateurs, aux mangeurs de « l'eusses-tu-cru »,aux retournés des aisselles, aux barrés d'ocre noir, aux adeptes des cuillères à spatule.  Oui Arrabal s'adresse à eux,  leur lance son stupre et son levain. Il présente son corps désirant et son squelette au rabbin à chaussettes, au pope cornu, au curé d'Uruffe. Pas de religion, de doctrine, pas de vierge.

     

    Mais la putain, la sainte, la brute dont la sexualité va de dedans au dehors. Pour la magnifier à ceux qui ne savent pas lire il offre  ses lignes, ses couilles et leurs assauts.  En a-t-il mal au cœur ? Non sans doute. Il lui suffit de se vider la rate de son foutre selon une nécessite « vessiale ».  Il ne s'agit pas d'un absolu souverain que d'en témoigner mais juste affirmer le goût de ce qu'on appelait le péché. Cela prouve une nouvelle fois sa lutte contre l'alliance pérenne de la matraque et de l'encens.

     

    "Ma fellatrice adorée" renoue avec la poésie panique. Le livre redevient une boîte ou une botte à rire, à sourire, à pleurer, à pleurer de rire. C'est aussi  une boîte aux lettres d'amour,  aux lettres de rupture. Une boîte à malices, à Alice,  à merveilles, à saucisses, à crudités. Finie la pose, haro superflu. La mémoire est du sexe. Le foutriquet décharge son outil de jardinier. Avec sa suceuse il ne fait qu'un plein de vilaines pensées qui finissent en « boulemimine » jusqu'à son appareil à boyau.

     

    JPGP

  • "Chez Soi" de Sarah Hildebrand

    Sarah Hildebrand, « Chez soi »,

    textes et dessins,

    96 pages, coll. « Re : Pacific »,

    éditions art&fiction,

    Lausanne, 2012.

     Une note de Jean-Paul Gavard-Perret

     

    Sans connaître l’issue de son propre mystère Sarah Hildebrand ; magicienne des mots et des traces ne trouve comme recours qu’à évoquer et pénétrer des lieux inconnus, - qui deviennent sa demeure chaque fois réinventée. Moyennant quoi elle enchâsse sa propre histoire dans la grande question du secret, de la généalogie du secret, question que tout artiste se pose. Et cette relation au secret se constitue en espace de tension entre « autoportrait » et indices de l’inconnu. De la sorte, elle pose et repose la question de savoir qui elle est, qui est le sujet du sujet.

     

    Les interrogations de  la créatrice portent souvent sur Les questions du lieu, de l’habitat et de l’intimité. À la manière d’une Sophie Calle - mais avec moins de stratégie délibérément voyeuriste - la recherche du lieu porte vers quelque chose de trouble et de troublant. Celle qui rêve « sur un tas de feuille morte de se sentir chez soi » a quitté son lieu d’origine (Genève) pour retrouver sa propre intimité. Elle pénètre par exemple en inconnue dans la maison d’une personne décédée ou en étrangère dans son pays d’adoption, l’Allemagne, encore habitée en filigrane des heures sombres du passé où certains  furent jetés hors de chez eux.

     

    Contre l'épargne des images poétiques ou plastiques celle qui n’écrit que dans les cafés trouve une submersion, un moyen de casser nos illusions « d’optique ». L’espace poétique est déspatialisé afin d'accéder au statut d'une expérience. Les lieux hantés par Sarah Hildebrand acquièrent la troublante souveraineté, l'efficacité d'un lieu de mémoire - même si ce n'est pas la sienne, même si ce n'est pas la nôtre – du moins a priori.

     

    Tout compte fait, au sein du secret ou de ce qu’on prend comme tel, l’artiste produit une œuvre au statut particulier dans ses frottements temporels et géographiques. Ayant à faire au motif autobiographique Sarah Hildebrand refuse simplement de parler d’elle. L'histoire de l'œuvre est donc l'histoire d'une accession à soi par l'intermédiaire de l'autre. En conséquence la dimension poétique de l’œuvre prend un sens particulier.

     

    JPGP

  • ARAGON DANS SON SIECLE par 25 écrivains d'aujourd'hui

    Faites entrer l'infini N°54.jpgAragon dans son siècle par 25 écrivains d’aujourd’hui

    Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Triolet

    23, Allée Paul Langevin

    78210  Saint Cyr L’école

    Abonnement 2 numéros/ 29€

     

    Avec ce numéro 54 Faites entrer l’infini commémore le trentième anniversaire de la mort d’Aragon. Le numéro donne la parole à 25 écrivains d’aujourd’hui, qui tous à leur manière donnent un texte et partagent un regard sur Aragon. Gérard Bloncourt qui est photographe mais aussi peintre et poète participe au numéro avec des photographies de personnalités que Louis Aragon avait connues ou croisées en son temps. On découvrira des textes (poèmes, notes critiques, évocations…) d’Olivier Barbarant, Christiane Baroche, Matthieu Baumier, Pascal Boulanger, Gérard Cartier, Francis Combes, Jean-Luc Despax, Michel Host, Raoul Sangla et de nombreux autres. Entre ces textes, partageant l’écho et l’intérêt suscité par l’œuvre d’Aragon, on appréciera des photographies de poètes, d’écrivains, de peintres, de chanteurs ou d’hommes politiques: Jean Cocteau, Max-Pol Fouchet, Jean Ferrat, Yves Montant, Angela Davis, Marie-Claude Vaillant-Couturier… ou d’autres, anonymes de Paris.

    Un beau numéro participatif !

    HM

  • REFAIRE SA VIE & CLAIRIERES de JACQUES CANUT

    Avec REFAIRE SA VIE et CLAIRIERES Jacques Canut fait paraître les numéros 38 et 39 de la collection des Carnets confidentiels qu'il autoédite depuis une vingtaine d'années.

     

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                            Entre deux giboulées

           le ciel s'éclaire

           comme théâtre

      à l'entracte

     

                            D'un proche sommet jaillit

                   une fulgurante croix

    de cristal

                                                             .....                        (extrait de Clairières)

    Jacques Canut est  né à Auch en 1930. Il fut professeur de Lettres, Histoire et Géographie.  Depuis 1975 il a publié cent trente recueils dont seize écrits directement en espagnol édités en  Espagne et en Argentine. D’autres furent traduits en allemand, en portugais (brésilien )  ainsi qu’en espagnol et murcien. Plusieurs de ses textes figurent dans des  anthologies aux éditions Gallimard, Hachette, L’Ecole des Loisirs, Milan ainsi que dans de nombreux manuels scolaires dont Lagarde et Michard et Magnard pour des classes de 5ième. Depuis 1992, il autoédite la série des Carnets confidentiels, 39 titres sont parus à ce jour.  Il est possible de se procurer les livres chez l'auteur en passant par Incertain Regard.

    Le prix des livres est de 5€ l'unité.

    Vous pouvez envoyer votre commande à l'adresse suivante:

    Jacques Canut,

    19, allées Lagarrasic  32000 AUCH

     HM

  • Une voix, un regard, Textes retrouvés (1947-2004), - Jean Grosjean

    « Une voix, un regard, Textes retrouvés (1947-2004),

    de Jean Grosjean

    Édition de Jacques Réda,

    Collection Blanche,

    Gallimard, Paris,

    496 pages,

    26 €

    une note de lecture de Jean-Paul Gavard-Perret

     

    Le poète Jean Grosjean (1912-2006) n'a laissé aucun inédit au sens strict du terme. Sous la direction de Jacques Réda Gallimard a pu néanmoins réunir néanmoins une importante quantité de textes critiques jamais repris en volume, qu'il avait confiés à diverses publications. Plus particulièrement à La Nouvelle Revue française où sa présence auprès de Jean Paulhan, Marcel Arland ou Georges Lambrichs s'est manifestée jusqu'au-delà des années 1990 par un nombre considérable de chroniques et de notes de lecture.

    Parallèlement à ses travaux portant sur l'Ancien Testament et le corpus johannique, et à son intérêt pour les grands textes fondateurs qu'il a contribué, en compagnie de J.M.G. Le Clézio, à restituer dans la collection «L'aube des peuples», Jean Grosjean a, au fil du temps, donné à l'actualité littéraire une attention qui bénéficiait de sa familiarité avec l'immémorial. On y retrouve les traits de sa pensée, étrangère aux systèmes et aux modes, et la subtile autorité d'une langue qui distingue son œ… Lire la suite

     

    L’auteur de « Clausewitz », « Apocalypse » et « Hypostases » (entre autres) semble, lorsqu’il écrit, marcher sur la mer. Dommage qu’il y ait désormais si peu de riverains pour s’en soucier. C’est pourquoi il est important qu’un tel livre le relève de la tombe. Car tout au long du chemin de sa vie et de ses lectures, Jean Grosjean témoigne de son audace critique asymptotique à son travail poétique. Il ne se veut jamais un témoin à charge. Ses chroniques ne sont  pas là pour « battre le remous noir » mais rendre visible des livres qu’on a parfois hélas oublié mais qui « voletaient sans qu’on sache s’il descendait d’un ciel sombre ou s’ils s’élevaient des buissons secoués par le vent ».

     

    Ne jetant jamais des fleurs pour le plaisir de les jeter Grosjean propose la défense d’une littérature que lui-même a illustrée même en plantant son bâton dans le désert.  Si bien que les figures mythiques comme les morts qu’on a enterrés trop tôt à nouveau veillent et attentent. Antigone et Electre en tête. Elles restent le symbole, au fond du désespoir et de la mort, d’espoir et d’existence comme le fut en la poésie de Grosjean sa « Reine de Saba ». Après sa mise au tombeau « elle se mit à marcher au-devant du grand soir». Ne se posant jamais en maître, l’auteur a su  rappeler comment les œuvres dignes de ce nom ne cessent de crier  « Grand âge nous voici ».

     

    Le poète privilégie celles qui raniment les questions plus que des réponses. Et celles qui montrent – point essentiel pour le poète – comment l’ombre elle-même peut dire la lumière.  Si bien que dans son écriture  classique le critique reste un dissident capable d’accrocher les lampions devant les fenêtres qui le méritent ou de porter l’attention sur des étoiles inconnues.

     

    JPGP

  • Une beauté plus sourde - Andoche Praudel

    Une beauté plus sourde

    Andoche Praudel,

    coll. Trait Court, Passage d'Encres

    16 pages,

    Romainville.

     

    Le paysage est parfois plus nocturne que la nuit elle-même. Comment trouver le passage ? C'est ce que Praudel, céramiste, photographe et peintre propose en, laissant émerger des surfaces cadastrales tout un substrat agricole et guerrier qui a constitué toute l'histoire du paysage et de l'humanité agissante sous deux axes : la construction et la destruction. Le cru et le cuit aussi.

     

    L'artiste nous plonge  dans la terre et ses strates pour envisager un futur sans terre mais qu'on tente d'apaiser sous couvert d'écologie. Pour autant Praudel ne tombe ni dans le messianisme catastrophique ni dans la leçon de morale. Son poème est un livre d'artiste. Il n'est qu'évocation et non invocation. La vie est devant la porte. L'être est en face d’elle. Le rapport et leur rapport sont mutuels, riche de tout un passé. Avec un volcan dans la tête l'artiste y brasse des limons et des cendres.

     

    Praudel met sous nos yeux le règne élémentaire. Nous y marcherons peut-être bientôt sans appui et nous risquons donc la chute en croyant nous libérer  de nos chaînes. De fait en croyant entrer en aventure nous pénétrons en ignorance.  Le matin continuera à peut-être à verser une soif latente mais nous ne serons peut-être plus les amants du jour. Nous serons alors sans consolation en ayant cassé la communauté et l'union majeure qui nous lie à la terre. Notre rapport risque de devenir sans rapport il n'appartiendra plus à  l’incommensurable. Il n'y aura plus, et c'est bien regrettable à se poser la question de la sincérité, de la fidélité. Notre accord ne sera que de l’ordre de l’infini abandon.

     

    L'artiste mais aussi poète désigne, dénonce  la limite d’une pensée qui se rompt. Toute l'histoire est là. Dans les plis du paysage,  les histoires de solitude et  de foules traversées. De villes où les mots furent inutiles. Une histoire de visage, de jardin, de ciel. Attendre est inutile. Tout arrive.  Mais l'auteur nous demande implicitement de faire encore un pas vers l'horizon.  S'y cache des voies, des sentiers comme si d'une haie de ronce qui pliait sous le vent surgissait des clartés diffuses dans les brumes. Un pivert attentif cherche en voyeur notre existence. Il ne faut pas lui  faire peur.

    JPGP

     

     

  • CHEMIN QUI ME SUIT de Jean-François MATHÉ

    chemin qui me suit JF Mathé2.jpgCHEMIN QUI ME SUIT

    Jean-François MATHÉ

    EDITEUR : ROUGERIE

    ISBN :978-2-85668-169-5

    ANNÉE :Décembre 2011

    PAGES : 112

    Prix : 14 €

     

    Jean-François Mathé est l’auteur d’une œuvre poétique éditée principalement aux éditions Rougerie. Une quinzaine de livres parus entre 1971 et 2011 dont certains furent primés. Contractions supplémentaires du cœur reçu le Prix Antonin Artaud en 1988 et le Prix Kowalski  fut attribué à Le Ciel passant en 2002.

    Ce livre Chemin qui me suit  rassemble le recueil éponyme inédit et des Poèmes choisis  dans cinq précédents  livres parus entre 1987 et 2007. L’auteur a souhaité par « souci d’unité » rassembler des extraits de ces livres qui  marquent de pour lui la maturité de sa poésie.

    Assurément, par l’expression d’une voix intérieure pressante, c’est un langage propre au poète qui se dégage de la lecture de ce livre. Les mots dans l’agencement de la langue, proses ou vers, suscitent en moi  comme une urgence à la lecture des poèmes. Peut-être l’urgence du temps qui passe que l’on ressent ?  Proses, vers libres ou versifiés  Jean-François Mathé utilise diverses formes de l’écriture pour servir sa poésie. Même si comme à mon habitude les poèmes en vers me laissent toujours sur l’impression que la sonorité recherchée subtilise au  poème l'invention, le singulier, l’éclat d’une émotion…Il est  de nombreux vers ici qui me démentiront, Nous avançons sans rien défaire/ de la jeunesse que nous eûmes/mêmes désirs malgré la brume/ qui nous dérobe des lumières. P 37.

    L’amoindrissement des lumières et de ses horizons, voilà sans doute la matière de ce livre.  Tout semble écrit et rassemblés dans ces pages par une volonté de remémoration. Mémoire de ce chemin que l’on trace et qui perdure dans sa quête et ses doutes, avec ces averses de mots qui reflètent une réalité sentie au cœur de la chair. Toute une vie dans une mémoire en équilibre. Équilibre du cœur, d’où jaillissent les mots avec leurs traînes, de souvenirs, de rêves anciens, de nostalgie de tout ce qui fut fêté « vivant ! ». personne d’autre que toi ne porte la lourde étoffe du deuil p47.  Le livre conserve ces sentiments de vie dans les poèmes, que nul temps n’abolira.

    Dans le livre on perçoit le regard du poète qui se retourne vers le passé mais aussi qui surveille  l’avenir en ne cessant jamais de mesurer la distance qui sépare de l’horizon dernier. maintenant / dès que le soleil décline/ Je m’arrête pour vérifier / si c’est mon ombre qui grandit / ou moi qui rapetisse. p 53

    C’est l’ombre souvent ou la brume, celle qui cache et qui clôt l’horizon, qui emplissent les poèmes depuis les premiers temps, tels un viatique sur le chemin que trace le poète.  Très tôt semble-t-il,  le poète a ressenti l’ombre de la disparition. il n’y a pas de trace / tu fus enfant le temps d’un rire / aussitôt tu as entendu l’automne/ en faire un ricanement / de feuille sèches .p 59

    Le vent, les arbres, les oiseaux, le ciel et les jardins, l’ombre de l’homme, tous ces éléments peuplent les poèmes. Mais ils n’existent vraiment qu’à l’aune d’un temps qui passe et qui annonce le terme d’un voyage. En s’ouvrant, la porte arrachera d’un coup / l’ombre qui avait pris ses habitudes p 79

    En filigrane, c’est la disparition des êtres qui  hantent les poèmes du  livre. La mort de ces autres qui nous ont côtoyés, celle du poète lui-même, celles de ceux que l’on aime et que l’on a aimés. Je n’avais pas vu la limite / au-delà de laquelle ceux qui me devançaient/ ou me côtoyaient / ne me voyaient que de dos.

    Ce Chemin qui me suit, c’est celui qui a lien avec les verbes tracer et être. Chemin construit en cheminant  que l’on suit et qui à la fois précède, tant le poète comme les hommes en connaissent l’issue. Chemin d’écriture et chemin de vie se superposent. Les traces demeurent dans les vers, les proses, la poésie comme autant de signes de cette vie et de la  présence au monde du poète. Mais malgré les menaces qui demeurent : qui saurait arrêter ceux qui vont / d’ombre en ombre au-dedans d’eux-mêmes/.p17

    hm