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Incertain Regard - Page 11

  • CLAMEURS NOMADES

    Francesca Y. Caroutch

     

    Éditions du Cygne.

     

    ISBN : 978-2-84924-139-4

    13 x 20 cm

    92 pages

    12,00 €

    La poésie de Francesca Y. Caroutch permet la jonction de l'altitude la plus vertigineuse avec le corps dans ce qu'il a de plus temporel, d'instantané et de tellurique donc de plus abyssal. C'est à travers lui que la poétesse donne le point d'appui et de référence à l'incommensurable. Ne nous y trompons donc pas : chez elle la métaphysique ne vient pas d'en haut mais d'en bas. Du ras de la conscience voire même de dessous la peau de l'inconscient.

     

    Mais cette métaphysique (fruit - qui sait ? - d'un manque de la jouissance liée à l'amour et la connaissance) demeurerait naïve et sourde si elle ne passait pas par le filtre de la conscience. Toutefois il ne s'agit pas de transformer la bête en ange mais simplement d'ouvrir une nouvelle dimension à la jouissance. Écoutons l'auteur :

    “Les plaisirs des sens

    auxquels on ne s'attache pas

    Sont des alliés de l'éveil” (p. 41).

    Tout est là. C'est le moyen de sceller l'homme à l'univers dans une dimension essentielle.

     

    À travers une poésie se mêlent à des fragments de mémoire, de réelles visions inspirées souvent par des espaces italiens. Ils contrastent avec le motif intime - lieu clos où s’absorbe sa vie et s’accomplit son œuvre. Francesca Y. Caroutch donne à la nature humaine l'effusion du nombre. Tout dans son livre est en mouvance vers le "signal" :

    "éclair bleu dans la faïence de l'été" (p. 30).

    Au sein de la rencontre d’images chères à l’artiste naît une création originale qui ne dissimule pas une propension à dévoiler une intimité. Cependant on est bien loin de ces évocations "domestiques" où s’éprouve une sociabilité apaisante ou encore une attention portée aux images furtives du paradis d’enfance.

     

    Chez la poétesse ce qui est retenu appartient à des moments de vie. Ils s’épanouissent à contretemps. Comme si c’était la marge, le bord des choses, quelque part entre solitude et liberté qui comptaient. On est loin d'un panthéisme béat, d’une recherche d’un bonheur perdu. On revient à la source même de l'écriture, de ses fissures. Car la poétesse cède parfois à la brisure contre l'intégrité de l'étendue même si c'est bien cette dernière qui est recherchée. En conséquence ce qui devient saisissant d’un point de vue poétique, est précisément le paradoxe d’une écriture vouée de livre en livre à communiquer une véritable phénoménologie cachée de la vie dans ce qu'elle a de plus intime et de plus large aussi.

     

    Tout lecteur des sublimes "Clameurs nomades" se trouve confronté à l’apparente clarté structurelle de ses fragments inspirés largement par l’épreuve de la nature, du temps ou de choses vues ou plutôt ressentie au plus profond de l’expérience intérieure. Une configuration minimale s’impose alors, identifiable dès la première lecture et bientôt récursive d’un fragment à l’autre. Dès lors surgit

    "Dans ce chaudron sans fond

    l'enfer des miracles"(p. 31)

    La sensation n'est plus proustienne. Elle devient le médium privilégié par lequel s’opère la révélation. Celle-ci ne se contente plus de ressusciter ou de ressasser les traits du passé. La mise en perspective est beaucoup plus intéressante et porte l'écriture loin des sentiers battus. Derrière les fragments qui s’enchaînent sur le mode disjonctif une autre "scénarisation" prend racine et pose la question d’un effet diégétique global : tout participe à l’élaboration progressive d’un espace alternatif qui permet au lecteur d'être renvoyé à sa propre expérience du monde.

     

    Nous sommes donc loin des longues intercessions qui peuvent accompagner dans la poésie l’expression du sentiment intime lorsqu'il est par trop narcissique. Aucun détour, aucune spéculation formelle ne préludent à notre entrée de plain-pied dans cette intériorité annoncée comme telle mais dont le but n’est pas de raconter un « moi ». L'ensemble crée un parcours atypique et un étrange discours sur un poème fantôme dont la ligne de fuite ultime, rescapée lointaine de l’éboulis initial, renvoie l’espérance habitable au cœur de tout lecteur quand le discours s’achève. Cette détermination du foyer de l’expérience d'écriture résulte d’un choix plus que stylistique : vital. Il refuse toute neutralité au profit d'un engagement intime essentiel puisque chez Francesca Y. Caroutch l'intime n'est pas de l'ordre de l'événement il est de l'ordre de l'écriture, de son avènement.

                                                                                      

     

    Jean-Paul Gavard-Perret

     

     

     

     

  • FRAGMENTS (2)

    Gérard Paris

     

    La Porte, Laon.

    Gérard Paris refuse qu’on en reste au rien même si il y a une grande limpidité à croire ne plus être. Mais cela s’appelle renoncer, être « sans âme, mutilé à jamais ». Et même si dans le rien l’être croit peser de tout son poids il faut franchir les limites et rejoindre cette dimension quasi sacrée où le mot n’est plus seulement tache ou trou noir.

     

    Il s’agit donc de se fonder dans le lieu où nous sommes, contre la belle et précaire assurance de nos alibis de toutes sortes. Il faut donc se porter là où Gérard Paris, dans son écriture fragmentée et faussement aphoristique, indique la voie : le lieu au delà de la frontière du silence où pourtant on peut dire encore, on doit encore parler. Bref aller où le silence a quelque chose d’intéressant à dire, pour savoir ce qui hante l’humain jusqu’à « cueillir les couteaux de gel » pour « affûter l’être ».

     

    Paris dit ce qu’on doit accepter et refuser pour affronter la perte inhérente à chaque vie. C’est là sa leçon (grandiose) d’humilité afin sinon de dépasser, du moins de savoir le peu qu’on est. Il y va donc d’un consummatum mais qui permet de rebondir, de (re)commencer. C’est à ce moment que l’on reprend conscience, que s’efface cette fameuse vitre dont abusent les poètes sans oser la briser. 

    Jean-Paul Gavard-Perret

     

  • Le procès de la vieille dame - Éloge de la poésie -

    PROCES L RAY.jpg

    Lionel Ray

     

     

     

     

     

    Éditions de La Différence

     

    N° ISBN : 978-2-7291-1741-2

    Date de parution : 2008

    Nbre Pages : 223                  

     

    Un entretien de Lionel Ray à propos du livre

                                                       

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    « Le poète, rien ne peut le justifier que lui-même » c’est par cette phrase que débute le dernier des paragraphes du livre de Lionel Ray Le procès de la vieille dame - Éloge de la poésie -. Il se poursuit quelques lignes après ainsi : « En revanche, il y a une sorte de loi secrète qu’il porte en lui et qui cherche à s’exprimer dans le poème. » C’est probablement par cette affirmation qu’il faut envisager la lecture du livre et voir ici la motivation de Lionel Ray à son écriture. Un véritable fil d’Ariane qui a conduit Lionel Ray à écrire ces études, consacrées à des poètes et à leur œuvre. Elles ont paru dans des journaux, des revues et des magazines entre 1983 et 2007 et sont aujourd’hui rassemblées dans ce livre qui est édité par les Éditions de La Différence.

     

    Poètes disparus ou contemporains vivants, la lecture de leurs livres suscite chez l’auteur un vif intérêt à percer « cette loi secrète » que les poètes porteraient en eux et qui les révélerait au monde par le poème. C’est là qu’il faut voir le postulat de Lionel Ray dans sa quête à reconnaître le poète dans l’être, l’être dans le poète. Il y a dans la poésie – singulière à chaque poète – l’univers d’un être unique. En lisant pour chercher signes et sens dans les mots, le rythme, la forme qui structurent le poème, Lionel Ray emprunte sans doute l’un des plus courts chemins qui va d’un être à un autre.

     

    C’est ainsi une vingtaine de poètes que Lionel Ray interroge par la lecture de leurs poèmes. De Louise Labé à Hélène Dorion, de Aragon à Supervielle, de Victor Hugo à Bernard Hreglich, Lionel Ray fouille le poème, interroge les mots, questionne la forme ou passe même au crible le patronyme, comme lorsqu’il débute l’étude sur Jean Mettelus en faisant parler les lettres de son nom. « …un nom qui prend appui solide du (m) initial, posé sur ses trois jambes, et qui suggère autant que l’ancrage, la mesure et l’immensité d’un monde. »

     

    Dès le début du premier paragraphe éponyme du livre, Lionel Ray tente de circonscrire son espace en bornant les limites de son questionnement sur la poésie de langue française. Sous le regard de Gracq, il souligne que la poésie fut jusqu’à la fin du XIX siècle une « transmission de pouvoirs » dans une continuité et constate qu’à partir de Mallarmé, il y a rupture de cette progression. Il s’ouvre alors avec Reverdy, Claudel, Tzara, Breton, Supervielle, Michaux…une période nouvelle. Celle des « explorateurs solitaires », celle de la différence.

    Avec la mort de la poésie, le poétisme, les méfaits du lettrisme mais aussi, le vers et la prose, le lyrisme, la tension de la langue, le retour des formes Lionel Ray instruit les pièces au dossier de ce Procès de la vieille dame. Et ouvre dans le même élan sa propre (en)quête en s’appuyant sur son questionnement des œuvres. Sans doute à l’aune d’une phrase que j’avais relevée dans un texte critique de Lionel Ray « on peut dire de la poésie n’importe quoi, pas du poème… » (1)

     

    Lionel Ray nous entraîne alors dans les livres et dans la poésie de nombreux poètes, en tentant par son investigation de montrer les reflets de leurs éclats. Le livre de poésie propose une autre forme de la conversation intime. Et la singularité des œuvres, sise dans – cette loi secrète –, se révèle comme éclairée par cette conversation de lecture. L’œuvre, le poète, le poème sont envisagés dans leur singularité dont Lionel Ray esquisse les traits. Ce qu’ils proposent de faire entendre, c’est l’unicité d’un être dans son rapport au monde. Paul Claudel, René Char, Alain Bosquet, Georges-Emmanuel Clancier, Eugène Guillevic, Claude Esteban, Gaston Miron et d’autres encore, trouvent place dans ce livre. Nombreux sont les textes qui invitent à lire ou relire ces poètes, accompagnés dès lors dans sa lecture par l’acuité de Lionel Ray.

    L’étude consacrée à René Char m’a particulièrement touchée : une concision qui approche de très près l’écriture de René Char. Elle tente de préciser les limites où cette poésie existe, entre dit et non dit. Une poésie en lisière, celle du mot et de l’image, du sens et du désir. Cette partie est marquante par l’approche de cette poésie brève, ténue, sibylline et foisonnante. Lionel Ray suit les arcanes des possibles significations. Il fouille autant qu’il est possible dans cette poésie énigmatique pour tenter d’élucider les sources qui président à ses sens.

    À propos de Jean Cocteau, Lionel Ray souligne que la poésie n’est pas seulement écrite « …Cocteau, qu’il s’agisse de roman, de dessin, de ballet, de théâtre, dans la mouvance de Diaghilev ou de Radiguet ou de quelques autres, ne fait jamais que de la poésie qui reste le commun dénominateur, identique à elle-même sous tant de formes diverses… » Souvent mis à l’écart pour son éclectisme, Jean Cocteau est ici reconnu explicitement comme un poète à part entière, hors du champ de toute suspicion de ses pairs. Nombreuses encore sont les pistes que Lionel Ray ouvre pour aller à la découverte des poètes, de la poésie, du poème. Ce livre a reçu le Grand Prix de la critique 2008.

     

    (1) – Revue Incendits N° 21-22         

     

    HM             

  • Le site d'Incertain regard

    Le site de la revue   http://www.incertainregard.fr aura dans les premiers jours de mai une nouvelle apparence...

  • FRAGMENTS des BUSCALTS suivi de TERRE HABITEE - Paul BADIN - Rencontres avec René CHAR

     

     

     

    Éditions Poiêtês

    94 p – 2 trim 2008 – 17 €

    2 ième trimestre 2008

     

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    Les Busclats, c’est le nom de cette maison de berger qu’habitait René Char à L’Isle Sur Sorgue

    près des monts du Vaucluse. C’est là que Paul Badin le rencontra à plusieurs reprises durant l’été de 1978. Ce livre – une réédition – est le fruit de ces rencontres grâce aux notes que Paul Badin engrangea minutieusement avec la passion de ceux qui estiment la valeur d’une récolte à la qualité d’un terroir. En l’occurrence, un terroir de chair, de poésie et de mémoire ! La fidélité au propos de René Char souhaitée par Paul Badin est marquée ici par la volonté, effective, de son effacement, – fidèle jusqu’à l’effacement – peut-on lire dans le préambule. Paul Badin place ainsi au centre du livre la parole de René Char qui se voudrait intacte de toute altération. Autant qu’il est possible !

     

    Ces Fragments des Busclats  sont suivis par Terre habitée, un ensemble de poèmes écrits entre 1979 et 1988, date de la mort du poète. Ils font écho à l’emprunte laissée dans la mémoire de Paul Badin lors de ces rencontres et au vif intérêt qu’elles suscitèrent en lui /Qu’importe la profondeur du puits à l’homme qui a soif./ Rencontres toutes emplies de la  présence de René Char et qui résonnent, en ces poèmes, sur le versant sensible de la mémoire / Cette visite m’a laissé au cœur une ivresse étrange. /

     

    En amont, ces  fragments, les propos de René Char, courts le plus souvent sont rassemblés par thèmes, au premier desquels la poésie et le poème  « On n’entre pas dans le poème. On y est. » Dès la première ligne du livre le ton est donné. Une ligne d’horizon est tracée vers laquelle tout au long du livre, sous l’auspice des divers sujets abordés, le lecteur progressera dans sa lecture éprouvant les éclats d’une parole vraie et claire.

    Ainsi la poésie ; l’édition et les livres de René Char ; les poètes ; ses relations d’amitiés avec Eluard, Breton, Camus ou Heidegger ; Ses filiations littéraires ; le Surréalisme ; la Provence, son pays ; la résistance ; les arts avec la photographie, la musique, la peinture et ses amis Braque, Giacommetti, Picasso…

     

    Ces souvenirs sont parsemés d’épisodes, tels celui d’une actrice italienne qui joua Claire dans la pièce éponyme de René Char, montrant ici la défiance du poète envers la psychanalyse, ou cet autre, qui retrace l’histoire du patronyme familiale Char-magne… Le livre est réjouissant. La clarté et la simplicité des propos nous convainquent. Le lecteur s’arrête ça ou là au détour d’un propos lorsque saisi, il reconnaît dans les mots qu’il vient de lire les signes de l’exactitude ou des reflets de ses propres convictions. Il poursuit sa lecture par « Mais il n’y a pas de vérité. Seulement des débuts de vérité » et se ressaisit alors, avant de découvrir d’autres propos, qui auraient pu être écrits récemment,  « J’ai toujours foi en l’homme mais je ne crois plus à la paix et je fais de moins en moins confiance à l’avenir de notre société. » Et d’autres affirmations plus pérennes « seule compte la générosité juvénile »

     

    On peut relire ce livre en l’ouvrant au hasard, on trouvera toujours quelques lignes pour emplir en nous ce qui nous tient éveillé. Et de garder au creux de soi et à jamais cette pensée :

    Le poète pense qu’il ne faut jamais attendre quoi que ce soit de nos gestes et de nos actions. Partir après.

     

  • LA SOIREE EXCEPTIONNELLE à LA MAISON DE LA POESIE DE PARIS

    ACTUALITE.S..   INFORMATIONS...
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    Le contenu de cette page est extraite du site REMUE.NET
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    Mardi 13 janvier | La poésie contre la Sensure
     

    UNE JOURNÉE EXCEPTIONNELLE À LA MAISON DE LA POÉSIE
    mardi 13 janvier de 19 heures à minuit
    Passage Molière 157 rue Saint-Martin Paris 3e
    Téléphone 01.44.54.53.00

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    à 19 heures
    LA RÉPUBLIQUE DES POETES #12
    Conçue et animée par Marc Blanchet
    André Markowicz
    Foyer de la Maison de la Poésie
    Entrée libre dans la limite des places disponibles

    Programmation et animation Marc Blanchet
    Présentations, lectures, dialogues, à propos de l’actualité de la poésie.

    En ce mois de janvier, notre invité est André Markowicz, écrivain (Figures, éditions du Seuil, 2007 et Les gens de cendre, publie.net, 2008), traducteur du russe (toute l’œuvre de Dostoïevski, l’œuvre de Pouchkine, le théâtre de Tchekhov, la poésie d’Aïgui, etc.) et du théâtre anglais (Shakespeare, Marlowe). Une intégralité des œuvres de Shakespeare est en cours. Il vient de faire paraître aux éditions Les Solitaires Intempestifs, Macbeth et Mesure pour mesure de Shakespeare, Les Estivants et Les Enfants du soleil de Maxime Gorki et Edouard II de Christopher Marlowe, dans la collection « Traductions du XXIe siècle ».

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    à 21 heures
    LA POÉSIE CONTRE LA « SENSURE »
    Cédric Demangeot, Bernard Noël, Florence Pazzottu et Christian Prigent,

    conception Bernard Noël et Patrick Zuzalla
    Réalisation Patrick Zuzalla
    Avec la participation de remue.net
    Avec la participation des acteurs Rodolphe Blanchet, Damien Houssier, Claire Anne Menaucourt, et de Claude Guerre
    La soirée sera retransmise en direct sur internet
    Avec la participation de l’INA (Institut national de l’audiovisuel)
    Grande salle

    « Les anciens régimes s’essoufflaient à interdire, censurer, contrôler sans réussir à maîtriser le lieu de la pensée, qui pouvait toujours travailler silencieusement contre eux. Le pouvoir actuel peut occuper ce lieu de la pensée sans jouer de la moindre contrainte : il lui suffit de laisser agir la privation de sens. Et, privé de sens, l’homme glisse tout naturellement dans l’acceptation servile. »

    En 2006, les éditions Barre parallèle réunissaient autour de Bernard Noël trois poètes pour penser par la poésie cette notion de « sensure » encore d’actualité, qui, déjà identifiée par Bernard Noël dans L’Outrage aux mots en 1975, « par rapport à l’autre (la censure) indiquerait la privation de sens et non la privation de parole. La privation de sens est la forme la plus subtile du lavage de cerveau, car elle s’opère à l’insu de sa victime. Et le culte de l’information raffine encore cette privation en ayant l’air de nous gaver de savoir ». Ce livre prit pour titre clair La Privation de sens.

    Trois ans après, c’est au tour de la Maison de la Poésie d’inviter des poètes, dont Bernard Noël, à continuer de nous tenir éveillés et vigilants face à cette forme de conditionnement toujours à l’œuvre. Ce sont donc les poèmes qui mèneront la pensée, la poésie étant à même de convoquer la télévision, les systèmes médiatique et financier, la consommation, la violence policière, la censure, le nouveau rapport au corps et au collectif, et cætera, pour en faire des matériaux incisifs de langue.

    Les textes seront lus par les poètes ou les acteurs.

    Programme :
    Bernard Noël
    La privation de sens, 2006
    L’outrage aux mots, 13/20 février 1975, précédé d’un extrait du Château de Cène, 1969
    « Éloge du consommé », in Moriturus, n°5, 2005
    La Castration mentale, 1997, extraits
    Sonnets de la mort

    Christian Prigent
    Le Monde est marrant, 2008, dont « Bonne nuit, les petits », 2006
    « Je suis illisible », « Stress & strass », in Une erreur de la nature, 1996

    Cédric Demangeot
    « Fenêtre sur le bleu », mars 2006
    « Les haltes de l’idiot », in Obstaculaire, 2004
    « D’un corps placé devant la police », in Mortibus, 2008
    Philoctète, 2008, extraits
    « Aurore ultimatum », « Éléplégie », « La soif », « Prosopopée », in Éléplégie, 2007
    bartlebricepety, 2008

    Florence Pazzottu
    La Tête de l’homme, 2008, extraits
    s’il tranche, 2008, poèmes de U à Z
    « Sarcome collectif », décembre 2005
    « où sont les vers », 2008
    « L’incise », in Action poétique, 2007-2008

    Brice Petit
    « La fiction de la mort », 2006
    « Lettre ouverte à Monsieur Dominique de Villepin, ministre de l’Intérieur », in Moriturus, n°5, 2005

    Pier Paolo Pasolini
    « Les ballades de la violence », 1962
    « La poésie est dans la vie », 20 septembre 1967
    « Contre la télévision », 1966, « Contre la terreur », 6 août 1968, « Mon indépendance provocatrice », 11 janvier 1969, in Contre la télévision

    Sade
    « Français, encore un effort si vous voulez être républicains », in La Philosophie dans le boudoir, 1795, extraits

    Christophe Tarkos
    « L’argent », in Écrits poétiques, 1999
    Auto-présentation du 22 novembre 1993, in Écrits poétiques

    Roberto Juarroz
    « Presque raison », extrait, in Fragments verticaux

    André Leroi-Gourhan
    Le Geste et la Parole, 1964-1965, extrait

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    Pour suivre et participer à la soirée :

    - les textes des intervenants de la soirée
    - un forum où vous pourrez intervenir en direct lors de cette soirée et qui sera diffusé sur le site et sur grand écran à la Maison de la Poésie, vous pourrez y envoyer vos prises de paroles et vos textes, ce forum sera modéré.

    13 janvier 2009
  • N4728 N°14

                                                           Revue N4728

     Paul Badin,  6, Quai de Port-Boulet 49080 Bouchemaine

    Publié par l’association  Le Chant  des mots  à Angers

    Revue semestriel (Janvier / Juin)

     12 € le numéro / 25 € l’abonnement à 2 numéros

     

    Avec la découverte de voix multiples, c’est une poésie entre prose et vers qui nous est proposée dans ce N° 14 de la revue N4728. Une bonne trentaine de voix pour ce numéro de la revue qui a commencé à paraître dès septembre 2001. Du retour à la ligne du vers dont usent Hamid Tibouchi, Edith Azam ou encore François Teyssandier pour ne citer qu’eux, aux poèmes se présentant comme de courtes proses et où l’écriture tente d’imposer dans les rythmes de la langue, comme des appuis sûrs - lire Bernard Moreau,  la poésie montre l’étendue de sa diversité. Et garde de n’opposer une forme à l’autre, car quoi ressemble tant au retour à la ligne du vers que la lecture d’un texte en forme de prose qui voudrait imprégner à la voix et au corps, le rythme d’un souffle qui palpite. Du vers ténu de Nicolas Grégoire limité à un ou deux mots, à la prose d’Emmanuel Vaslin la poésie cherche dans l’écriture des chemins qui la mènent vers nous.

     

    Le sommaire de la revue se compose en trois parties dont celle traitant des notes de lectures à la fin de l’ouvrage. Les deux autres, Mémoire vives et Plurielles, proposent des poèmes qui placent la revue sous le double signe de l’ouverture et de l’exigence.

    On découvrira dans ce numéro des textes de Werner Lambersy, Antonio Rodriguez, Philippe Lonchamp, Jean-Marie Barnaud, Serge Ritman, Jeanpyer Poëls… Et tant d’autres encore. Mon attention s’est particulièrement fixée sur les textes de Patricia Nolan, Sophie G. Lucas, Yves Jouan, SabineChagnaud, Cécile Guyvarch ou Armelle Leclercq. L’écriture de François Boddaert, précise, au vocabulaire rare, qui exhume de la mémoire collective des épisodes des guerres européennes (Consolations, délire d’Europe) nous propose ici des extraits de Batailles dont quelques vers rappellent en moi un épisode particulier.

    Lâche la rampe, soldat, ne lâche rien, Ces champs d’incertitudes, ces champs où nous allâmes (compagnons du devoir d’aller) dans la crevante chaleur d’août ;…

     

    N4728 est une revue qui ouvre largement ses pages à la diversité, semblant chercher dans l’écriture hors de toute considération préconçue, les signes d’un singulier poétique. Le quinzième numéro de la revue paraîtra en janvier 2009.

     

    Hervé Martin

     

    Pour s'abonner:

    N4728
    Paul Badin
    6 quai Port-Boulet
    49080 Bouchemaine
    paul.badin@wanadoo.fr
    2009:  25 € le N°15 et N°16 port inclus.

     

  • ATLANTIDES - Gérard NOIRET

    Action Poétique Éditions  - Collection Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne

     

    -N°  ISBN :    978-2-85463-181-4         

    Date de parution : avril 2008          

    Nbre Pages :    64     

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    Atlantides ( héroic poésie) de Gérard Noiret vient de paraître chez Action Poétique Édition dans la collection  de la biennale des poètes en Val-de-Marne que dirige Henri Deluy.

    On remarque dès les premiers poèmes une absence de ponctuation. Seules des lettres majuscules semblent ponctuer dans les vers comme une articulation de l’écriture où le vers n’userait pas seulement du retour à la ligne.

     

    Notre nom est absent du Mérite Celui qui existe par notre labeur Aime l’effacement /

     

    Pas de ponctuation donc dans le livre autre que des tirets de dialogues. Généralement utilisés dans les textes de théâtre, ils libèrent ici une parole pour la laisser vivre en bouche. La primauté donnée à la personne humaine m’apparaît dans ce choix qui d’une certaine manière donne la parole à l’autre. Ecrits parfois en versets  mais le plus souvent en vers courts, les poèmes chez Gérard Noiret semblent susciter un écho, vouloir ouvrir un dialogue. Aérés de blancs, les vers attendent comme une réplique qui serait née d’une méditation intime. À moins que chaque vers ne soit écrit pour être dit par chacun d’entre nous ? Alors, la poésie de Gérard Noiret serait, selon l’affirmation de Lautréamont – comme faite par tous, dans ce partage de la voix et cette construction relative et collective du poème. Mais l’absence de ponctuation, l’emploi d’italiques ou l’utilisation de majuscules mettent en valeur d’autres sèmes qu’il conviendrait d’interroger plus longuement.

     

    Le livre intitulé ATLANTIDES ( héroic poésie) est dédié à Ariane Mnouchkine. Gérard Noiret a pratiqué le théâtre de nombreuses années et il a longtemps travaillé aux pratiques de mise en voix de poèmes. Sans doute recherche-t-il là une incarnation de l’écriture comme pour rendre au vivant de la langue la chair de la parole poétique. Est-ce pour cette raison que certains poèmes, Gérard Noiret les nomme poèmes polyphoniques, sont écrits avec des vers se présentant comme une succession de monologues ? Ces prises de parole successives, ces partages de la voix qui fondent ensemble un poème collectif étaient déjà présents dans les livres précédents comme Pris dans les choses ou Toutes voix confondues. Il y a dans la poésie de Gérard Noiret une volonté de restituer au poème l’intelligence et la richesse de la diversité d’une parole collective.

     

     

     Désormais nous savons les reconnaître

              - S’ils se mêlent à nos colères

              - C’est par dépit

              - S’ils entonnent nos prières

              - C’est afin d’officier

              - S’ils louent nos manières

              - C’est pour être applaudis

     

    À l’orée de ce siècle commençant et au regard des sombres prédictions que l’on nous annonce pour les temps à venir, le projet du livre est à considérer comme celui écrit à la mémoire d’un monde qui s’achève. Composé en trois parties le livre établi comme l’état des lieux d’un pouvoir et de sa cour, d’un royaume et de ses possessions, d’une déchéance suivie de ses maux. ATLANTIDES, au pluriel, est une épopée poétique sur nos temps finissant. La fin d’un monde qui s’écroule par pans et dont le premier signe serait le renoncement aux espérances liées à l’esprit des lumières. Si ce n’est un veilleur face aux bouleversements du monde dont chacun peut constater l’évolution funeste, le poète est ici le héraut nécessaire, nu d’intérêt personnel qui livre avec les armes de l’écriture et de la voix, comme un ultime combat.

     

    Au centre du livre - une parure, compose l’ensemble ARTISANAT. Deux poèmes en forme de calligramme « bracelet » et « boucles d’oreille » viennent au juste de MIDI, tout au centre du livre comme préciser l’objectif  du Livre :

     

    - boucles  d’oreille -

     

    MIDI

    peut-on concevoir une

    organisation de

    phrases

    ?

    §§§

     

    MIDI

    susceptible de servir

    de support à

    l’esprit

    ?

     

    Mais peut-être plus encore,  inscrire en filigrane le désir initial que le poète met au cœur de son projet d’écriture. Cette fresque littéraire que Gérard Noiret conçoit depuis plusieurs années livre après livre.

     

    L’écriture de Gérard Noiret est sobre, ciselée. Elle recherche la précision dans la justesse de ce qu’elle relève utilisant parfois un registre de langue qui s’émancipe de la tonalité intime de l’auteur. Elle use de la description et du récit évitant tout lyrisme mais proposant à l’imaginaire du lecteur des projections possibles vers des horizons ouverts qui nous laissent grave en refermant le livre.

     

    Tu peux revenir à marche forcée De jour comme de / nuit Quoi que tu fasses / Tu ne seras pas au rendez-vous

     

     

                                              

     

     HM

     

    Cette note a paru dans le N°22 automne-hiver 2008 de la revue rehauts

  • Grande liberté de l'air au-dessus du fleuve

    de Jean-Marie Perret

    Éditions Obsidiane            Collection  Le legs prosodique ,

    Sonates 1

    ISBN : 2.911914.55.4    11 €

     

    4e trimestre 2002

     

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    Ce premier livre de Jean-Marie Perret inaugure la collection Le legs prosodique que François Boddaert a créé en 2002 chez Obsidiane. Cette dernière tient son nom de cette formulation  le legs prosodique extraite de Crise du vers de Stéphane Mallarmé et qui est rappelée en avant-propos du livre. On se met à penser après la lecture du livre que ce premier ouvrage pourrait être aussi le texte initiateur de cette nouvelle collection.

     

    Grande liberté de l’air au-dessus du fleuve nous invite en témoin, au partage de rencontres inouïes. Celles solitaires que Jean-Marie Perret en marche pour des moissons inespérées a eues durant près de trois années avec des paysages : territoires et cieux, campagnes et villes, arbres et bêtes du pays de l’Yonne.

     

    Le titre déjà, qui emprunte celui d’une des 47 proses poétiques qui composent le livre, à lui seul nous invite au voyage vers des horizons larges et nous accoutume aux paysages avec la volubilité d’une langue qui tient ses promesses tout au long du livre.

    Dès les premiers poèmes – en prose, ce qui nous parle et nous séduit, c’est cette langue vive. Elle nous tient éveillés avec ses rythmes, la gourmandise de ses mots, la précision des descriptions, l’acuité du regard qui la nourrit.

     

    Mais quoi d’autre, dans l’herbe rase, cette feuille brune collée sur une pomme qu’a marquée la dent d’un lérot — la pomme, sous la pluie, de jaune a tourné au vert, et où le lérot a mordu, le jaune est plus vif encore

     

    On croirait fermant les yeux que ces courtes proses sont des tableaux. Des miniatures ou des croquis instantanés, des approches impressionnistes que les rencontres, ressenties comme présentes par le lecteur, ont libérées dans l’écriture.

     

    Cette pierre coiffant muret, portant sur sa peau toute sa durée, calcaire blanc que le temps grise et noircit de carbonates, lavis tout en finesse où s’étalent des lichens ronds sans épaisseur (certains lisses, d’autres ridés) d’un blanc vert, ou gris très clair, d’autres jaune d’or, en disques, arcs, festons : on a marché dessus rayé ou abrasé la belle composition…

     

    Ces poèmes en proses sont soutenus par le rythme de cette langue au vocabulaire usant d’un registre étendu et d’une digression au service de la précision et de la musicalité de la phrase. En témoigne ce sous-titre Sonates, 1 qui précise l’intention du poète sous le nom de l’auteur à l’ouverture du livre.

    Pour qui chercherait une langue vivante en voici une qui traverse ce livre. Accompagnons là ! Elle nous remue, réactive nos sensations dans les élans du souffle et les éclats de paysages qui exhalent un air humant bon ces éprouvés des sens.

    La lecture des textes dévoile leur genèse à mesure que nous les découvrons. Nous imaginons l’instant de leur écriture, au fil d’un regard scrutant la ligne d’horizon qui sépare le ciel - son air et la terre où coule le fleuve dans la campagne de l’Yonne. S’aventurant là en sous-bois, ici par quelques passages insoupçonnés ces proses poétiques – ce legs prosodique semble s’écrire en marchant au rythme d’un pas solitaire embrassant de tout son être, la campagne et le sel de la vie.

     

    Heureux à qui advient l’air, la lumière, la disparition d’une bête à fourrure dans la fétuque des fossés, les frondaisons des chênes secoués au-dessus des villages…

    HM

  • UN JOUR SUR CETTE TERRE - Reiner KUNZE

    Cheyne Éditeur Collection   D’une voix l’autre

    ISBN :978-2-84116-059-4   

    20 €

    2 ième trimestre 2007

     

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    Traduit de l’allemand par Mireille Gansel pour les Éditions du Cheyne, le livre de Reiner Kunze Un jour sur cette terre est proposé en version bilingue dans la collection D’une voix l’autre. Il rassemble des poèmes extraits des livres de Reiner Kunze composant l’œuvre écrite durant la deuxième partie du vingtième siècle.

     

    Lauréat du prix Trakl et du prix Büchner en 1977, Reiner Kunze a reçu le prix Holderlin en 1999. Reiner Kunze est né dans une famille modeste de l’ancienne RDA dont il immigrera dès 1977 pour des raisons politiques à la suite de son engagement pour le Printemps de Prague. Il vit aujourd’hui en Allemagne à Passau à la frontière autrichienne au confluent du Danube et des deux rivières, l’Inn et l’Ilz.

     

    Le livre nous est présenté par Emmanuel Terray dans une belle préface qui met en perspective l’homme, le poète et l’œuvre. Elle pointe le poème, en phase avec la vie de l’homme et les valeurs existentielles de l’être qui élaboreront dans l’opiniâtreté du quotidien l’œuvre de Reiner Kunze telle qu’elle nous parvient aujourd’hui.

     S’en tenir / à la terre // Ne pas jeter d’ombre / sur d’autres // Être dans l’ombre des autres/ une clarté.

     

    Les poèmes proposés sont extraits de livres écrits entre 1956 et 1998. Ils sont généralement courts, jouant parfois de métaphores mais évitant toute emphase pouvant contrarier une écriture sensible captée au plus proche du réel. Scènes, pensées ou observations minutieusement préservées de l’oubli et de l’apparente banalité des jours, nourrissent des poèmes qui montrent une détermination à la fois sereine et tenace.

    Avoir un coin de pays et le monde/ et jamais plus au mensonge ne devoir / baiser la bague.

     

    Beaucoup d’entre eux montrent l’attachement du poète à la mémoire et à la fidélité. Comme celle à l’égard poète et ami Jan Skâcel dont plusieurs poèmes écrits à des périodes différentes rappellent l’importance, soit par une dédicace ou par une citation de Skâcel en exergue. Ou encore, l’hommage rendu à Ryszard Krynicki, le  Poète éditeur de poètes, dans un poème éponyme qui lui est dédié.

     

    C’est durant près de 40 ans que Reiner Kunze écrit ces poèmes dont la forme et la tonalité au cours de cette période n’ont guère varié. Poèmes de quelques vers au style épuré qui nous renvoient à la réalité des choses simples observées ou vécues. À la lecture on ressent l’expression d’une humilité et parfois une espèce de gravité augurale.

    Encore bras dessus dessous / nous nous éloignons l’un de l’autre // Jusqu’à ce qu’un jour d’hiver / sur la manche de l’un / il y aura seulement de la neige.

     

    Si l’ascète s’isole physiquement du monde, Kunze se retranche en lui-même pour ressentir, capter puis dire sa confrontation au monde. Comme un feu qui couve de poème en poème la poésie de Reiner Kunze transporte l’essence du poète dans une progression lente mais inextinguible. On ressent alors comme une justesse et une humanité dont les échos nous parviennent et nous touchent :

    Meurs avant moi, juste un peu / avant // Afin que ce ne soit pas toi / qui aies à revenir seule / sur le chemin de la maison.

     

     

     HM

     

     

    Cette note à paru dans le numéro 9 de la revue Ici é là.

     

  • Le Livre des trente ans 1978-2008

     

     

    De Leïla Lovato

    Éditions Obsidiane        

    ISBN : 978-2-916447-16-2    15  

     

    1er trimestre 2008

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    À raison d’une moyenne annuelle de 350 manuscrits reçus par les éditions Obsidiane, au moins  10 000 auteurs seront potentiellement intéressés par cet ouvrage qui partage 30 ans de vie des éditions Obsidiane. Élus ou postulants malheureux à l’édition de leur manuscrit, tous trouveront plaisir à découvrir ici l’histoire de cette maison d’édition et l’aventure humaine qui s’est agrégée autour de l’éditeur François Boddaert. Les autres, lecteurs auront même plaisir en lisant les pages de cette Vie d’Obsidiane écrit par Leïla Lovato en regard d’un travail universitaire qui rassemble de nombreux textes des auteurs et acteurs de cette aventure littéraire et humaine.

     

    Créée par François Boddaert et Gilles Ortlieb en 1978 autour de la figure tutélaire d’Henri Thomas qui inscrira brièvement son nom au comité de rédaction, la revue Obsidiane s’est fondée avec le soutien d’un petit groupe de jeunes gens de Sens dont les frères Boddaert, Pascal Coumes, Soline Petit et Raoul Fabrègues, un poète parisien. D’abord concentrée autour de la poésie étrangère alors mal diffusée en France la revue s’est mue au fil des années en cette maison d’édition que nous connaissons aujourd’hui. Elle a sans cesse puisé son énergie de création  au sein d’un groupe réuni par l’amitié et la passion de la poésie et composé de personnalités singulières éclairées en matière littéraire.

     

    Obsidiane tient son nom de l’obsidienne cette pierre brillante du désert devenue symbole de création et de l’Être. Ceux qui au sein du comité de rédaction deviendront plus tard les mâche-lauriers se sont saisis de ce symbole pour porter haut leur nécessité du vrai et du beau dans leur quête de poésie.

    Le livre dévoile dans ses méandres l’histoire de cette maison d’édition au fil de témoignages écrits par ceux qu’elle a accompagnés.

     

    C’est en janvier 1994 que paraît le premier numéro de la revue de poésie Le Mâche-Laurier soit quelques années après l’arrêt de la revue Obsidiane en 1986 avec son trentième numéro. Alors

    que l’objectif de la revue Obsidiane était de diffuser de la poésie étrangère, Le Mâche-Laurier lui veut donner un espace aux poètes et au vers contemporain de langues françaises. Tâche qu’il accomplira avec une sobriété dans sa facture, une exigence dans le choix des textes et en proposant aux lecteurs des sommaires éclectiques où des noms d’auteurs (re)connus côtoient ceux parfois méconnus mis en avant par la revue. La revue poursuivra son travail jusqu’à ce début d’année avec la parution de l’ultime numéro du Mâche-Laurier. Sans cesse, les deux revues auront été de véritables laboratoires pour les textes et les futurs auteurs des différentes collections des éditions Obsidiane.

                                                 

    Entre 1978 et 2008 les éditions Obsidiane ont édité 100 auteurs notamment dans la collection  Les Solitudes avec des auteurs tels que Dimitri T. Analis, Marie-Claire Bancquart, Mathieu Bénézet, Gérard Cartier, Pascal Commère, Bernard Vargaftig ou encore Franck Venaille.

     

    Mais ce livre des 30 ans ne met pas fin à cette aventure éditoriale et humaine, les pages non numérotées de ce livre en témoignent. D’autres nombreuses encore, souhaitons-le s’écriront. Á commencer peut-être par celles d’une prochaine revue ? Espérons-le et souhaitons-le pour les éditions Obsidiane, pour les poètes et les lecteurs de poésie.

    HM

  • Je sais - Ito NAGA

    Cheyne Éditeur  - Collections Grands Fonds

    3ième édition - 3 ième trimestre 2007

     

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    J’ai pris un vif plaisir à découvrir ce livre. L’envie de découvrir ces courts textes s’est accrue au fil de la lecture de ces pensées. Mais peut-être conviendrait-il mieux à leur propos de parler de réflexions, d’observations ou encore d’affirmations ? A vrai dire je suis bien ennuyé pour les nommer ! Écrit sur le mode de Je me souviens de Georges Perec et de I Remenber de Joe Brainard, le livre rassemble 469 très courts textes débutant par Je sais. Ces observations cognitives précieusement recensées sont rassemblées ici pour le grand plaisir du lecteur.

    L’auteur qui écrit sous le pseudonyme de Ito Naga est astrophysicien. Derrière l’inventaire de ces micro événements de la vie, pointent l’acuité d’un regard et une méthode d’observation scientifique. Mais ici le regard scientifique se mue en une écriture claire et lisible pour tous, qui désigne et révèle les singularités de la vie. Sans doute est-il utile de rappeler que certains esprits passionnés par les sciences sont aussi parfois poètes tels Queneau, Vian, ou plus près de nous Jacques Roubaud. Probablement que l’interrogation systématique, ordonnée et rationnelle des mystères de l’univers, appliquée ici au quotidien des jours, n’est pas étrangère à la moisson poétique de ces énumérations cognitives. Souvent, elles nous rapprochent de l’auteur ou de nos semblables par le biais de situations similaires croisées au cours de notre propre existence. Et ces notes, en forme de relevés autobiographiques nous rencontrent en nous faisant sourire, s’esclaffer, s’étonner ou parfois rester grave.

    Certaines nous renvoient à des croyances populaires :

    Je sais qu’il m’arrive de passer sous une échelle. Juste pour voir.

    Il y a celles qui nous amusent,

    Je sais qu’en Inde, il n’y a pas d’insectes écrasés sur le pare-brise des voitures. Elles ne roulent pas assez vite.

    ; ou d’autres qui nous interrogent

    Je sais qu’avant d’être le nom d’un pays, « Vietnam » est le nom d’une guerre, qu’avant d’être le nom d’une ville, « Hiroshima » est le nom de l’enfer.

    ;Quand quelques-unes nous déconcertent, nous laissant coi,

    Je sais que dans un zoo anglais, un requin est mort paniqué par le plongeon d’un type dans son bassin.

    Ou parfois grave, Je sais qu’on finit par se demander :  « Ca sert à quoi d’être sensible ? »

    On passe ainsi de l’étonnement à la gravité, du rire à l’introspection, du général au singulier quand de l’autre à soi nous faisons nôtre le révélé de ce que nous lisons. Ces notes recensent des observations du réel, jouent parfois de l’équivoque et nous touchent. L’auteur isole du quotidien ces courts instants précieux, qui parsèment l’existence en de petites touches. Le poète ici est celui qui écrit, pour révéler ce que chacun se souvient avoir vécu de façon semblable sans toutefois avoir pu l’extirper du brouhaha de ses jours. Le poète est dans ce regard porté dont l’acuité précise un écart de sens qui résonne en nous. Écart entre un sens usuel et celui d’une interprétation singulière ou insolite, qui crée en nous une hésitation suivie souvent d’une surprise.

    Le livre d’Ito Naga nous fait du bien. On devrait en prescrire quotidiennement quelques observations piochées au fil des pages et ne jamais l’avoir très loin de soi pour lutter contre la morosité de certains jours en cas d’urgence.

     

     

     

     HM

     

    Cette note à paru dans le numéro 9 de la revue Ici é là.

     

  • Baltiques - Œuvres complètes 1954-2004- Tomas TRANSTROMER

    La poéthèque : bibliographie de Tomas TRANSTROMER

    Poésie Gallimard

    N° ISBN : 2070317102

    3e Trim. 2004

    7.00 €

     

    Une approche de Tomas Tranströmer

     

    Ce n’est pas le volume des pages écrites qui détermine l’impact et le retentissement d’une œuvre. Cet ouvrage de 350 pages de la collection poésie Gallimard réunit les œuvres complètes du poète suédois Tomas Tranströmer,  - seulement une douzaine de titres - écrites durant le demi siècle passé. Une vie d’écriture ! Et si il faut croire Jacques Outin dans la préface qu’il consacre à ce livre, l’œuvre poétique de Tomas Tranströmer est considérée dans le monde comme une œuvre de première importance. Traduite en plus de trente langues l’œuvre a été récompensée par des prix littéraires dans de nombreux pays. En France, tous les livres ont été édités par Le Castor Astral.

     

    Au coeur de la fabrique poétique

    Dès les premiers poèmes du livre, la lecture de Tomas Tranströmer révèle un monde d’images en perpétuelle mutation. Nous découvrons un univers composé d’éléments naturels – forêt, mer, terre, vent – ; de choses et d’objets – maisons, bateaux, lignes téléphoniques –. Souvent ils portent en eux tous les signes du vivant. Ils en ont les attributs et s’en parent. C’est ainsi que dans un poème titré – Tableau météorologique – l’océan semble pourvu des nageoires de ses  chimères; des aboiements sont perçus comme des hiéroglyphes et l’absence même est signe de ce qui fut « Il n’y a plus rien qui rappelle / le vertige blanc des régates ». Tous les éléments visuels ou auditifs – leurs absences – sont des signes, des médiateurs entre le poète et l’univers. Ils captent une atmosphère et sont les moyens d’interpréter le monde. Nous sommes au coeur de la fabrique poétique. Ici opère une médiation entre la réalité du monde et la palpitation du corps. Et on distingue en de nombreux poèmes du livre l ‘élaboration de ce processus poétique.Comme dans les premiers vers du poème suivant – Les quatre tempéraments – :

    « L’œil scrutateur mue les rayons du soleil en matraques  policières

    Ici, la métaphore est claire, directe, expressive. Il suffit simplement d’observer une scène pour que l’imagination fertilise l’écriture du poète. 

    Ou encore dans cet autre vers :

    « Il suffit de fermer les yeux pour entendre distinctement que les mouettes font tinter les cloches dominicales... »

     

    Comme un saut hors du rêve, un passage

    Il convient donc d’ouvrir ou de fermer les yeux selon le sens par lequel opérera la médiation créatrice. Cette création poétique qui transpose ce qui arrive aux sens du poète – ces signes que sont les odeurs, les sons, les visions... –  est vive chez  Tranströmer. Il n’invente pas et nous le dit dès le premier vers du livre « L’éveil est un saut en parachute hors du rêve ». Et c’est bien la réalité qui habite l’univers du poète ( ici le soleil, les mouettes...)  Mais où se situent les limites de cette réalité là? Où commence ce « saut »  du rêve à la réalité  ou de la réalité au rêve? Saut que l’on peut qualifier de passage et dont Tranströmer ne cesse de  franchir la frontière. Ce saut  - ce passage – me semble symbolisé ici, dans ce vers décrivant la persistance rétinienne dont chacun a pu éprouver les effets :

    « Ils éteignent la lampe et son globe rayonne / un instant avant de se dissoudre / comme un comprimé dans un verre d’obscurité. »

     

    La distorsion des sens

    La vue ici, mais l’ouie également, lorsque les sons créent l’impression que les végétaux ou les choses sont vivants. Ainsi le son de la pluie sur le feuillage ou sur le sol donne l’impression que l’arbre marche (L’arbre et le firmament); et la vivacité des couleurs celle que le sol bondit (Face à face). Alors dans ce processus poétique l’univers se transforme. Ce qui était inerte est  porteur d’une initiative vivante et même le poème à un moment va  prendre la place du poète.(Oiseaux du matin). Un poème de Tranströmer peut naître dans la quotidienneté du matin et le bruit d’un rasoir électrique. L’imagination emporte le poète dans les airs quand le son se mue en un vacarme de moteur d’hélicoptère. L’alchimie poétique est sans cesse opérante. L’imagination transforme puis transforme encore ce qui est entendu, observé ou ressenti. Dans cette poésie, des mutations  peuvent apparaître sous l’influence révélatrice du ciel, de la lumière ou de la couleur du temps et celle de la distorsion des sens. Comme dans le poème  Plus loin encore :

    »Soudain, le soleil incandescent / est au milieu du pare-brise / et me submerge. Je suis translucide / et une écriture inscrit / en moi / des mots tracés à l’encre sympathique / qui surgissent / lorsqu’on tient le papier au-dessus de la flamme ! »

    Soudain, un passage  est ouvert que le poète emprunte. Il est alors emporté – Plus loin encore  – par le processus de son écriture, de la monotonie d’un embouteillage citadin bien réel, à l’imaginaire d’une pierre parmi les pierres, mais  précieuse d’un pouvoir omnipotent à résoudre les grandes énigmes de l’univers. L’imagination poétique laisse ici carte blanche au poète. Dans un autre poème encore des masques japonais et tibétains se muent en visages. Ils respirent, questionnent, interrogent...Et les souvenirs du poète à fleur de peau et de l’être, se tenant juste en lisière du corps resurgissent ici, sous l’aspect de visages amis, côtoyés ou connus et qui réapparaissent dès lors que le silence ou la solitude gagne l’espace du poète.

     

    La transmutation

    Ainsi, le principe de création de l’écriture poétique chez Tranströmer s’observe tout au long du livre dans ces transmutations qui s’opèrent à l’instant même ou la vie s’écoule. La réalité se mue en un tout autre monde fait de souvenirs, de visions ou de créations. Chez le poète, des mondes contigus cohabitent, avec entre eux toujours une porte entre ouverte. Mais où se trouve-t-elle précisément ? Quelle en est la clef qui fera basculer le poète d’un monde vers l’autre ? Ce processus poétique n’est pas sans rappeler celui qui préside à la fertile imagination de l’enfant à l’instinct rêveur. Sans doute Tomas Tranströmer a-t-il su préserver l’enfant en lui lorsqu’il s’échappe par le poème dans un imaginaire nourrit de souvenirs, de connaissances, de douleurs ou d’espoirs. Comme à nouveau dans ce poème « Courte pause durant le concert d’orgue »  où le bourdonnement du trafic routier, assimilé à un grand orgue, se substitue à l’orgue de l’église. Alors progressivement et à l’aune de cette substitution, la vie et le monde autour du poète se transforment encore. Une vision s’installe comme une diffraction de la réalité. Les sons perdent leur nature audible et deviennent combats d’ombres, la pulsation du pouls démesurément se transforme en cascade, les colonnes sont des arbres et le toit de l’église  une crête. Et c’est enfin un imaginaire nourrit d’inconscient qui affleure dans ce poème lorsque le désir de revoir un ami, surgit en une lumière, une couleur lilas.

     

    Le mot, le langage, la poésie

    Comment comprendre ce poème intitulé En mars – 79 ?

    «  Las de tous ceux qui viennent avec des mots, / des mots, mais pas de langage, / je partis pour l’île recouverte de neige. / L’indomptable n’a pas de mots. / Ses pages blanches s’étalent dans tous les sens ! / Je tombe sur les traces de pattes d’un cerf dans la neige./ Pas de mots, mais un langage. »

    Peut-on y déchiffrer une tentative du poète pour  définir sa poésie,  qui  par ailleurs opposerait le langage au mot ? Dans ce court poème pouvons nous assimiler les mots aux  traces de pattes d’un cerf dans la neige et apparenter le possible de leur trajectoire sur la neige  au langage ? Nous pourrions alors considérer que pour Tranströmer  les mots soient jugés  trop précis et de fait trop restreints pour justifier de sensations parfois fugaces et d’une large palette de sentiments vécus et ressentis. Trop restreints pour fixer en eux seuls ce qui par définition est fuyant et qui est éprouvé de seconde en seconde dans le corps vivant du poète. Le langage lui, assemble les mots en une combinaison inouïe. Comme le sillage d’une trajectoire, il peut-être témoin de la vie singulière d’un être. Il en a la richesse, la force d’évocation et peut se déployer sous différents registres. Le langage permettrait alors de dire autre chose que ce disent isolément les mots. Le langage est l’élément d’articulation des mots et il est cette énergie qui propulse l’être hors de lui-même. La poésie est le langage de la singularité d’une vie. Elle est la  trace de trajectoires intimes dans les multiples registres du possible.

     

    L’indomptable n’a pas de mot

    Ce que nous vivons – en et hors de nous – ne peut être réduit en des mots seulement mais plutôt en une articulation de mots – le langage –,  par un enchevêtrement de sens qui se heurtent, s’assemblent, s’agglomèrent ou se contrarient. La nature de la poésie se situerait peut-être dans la distance qu’il existe entre soi – ce qui est ressenti – et l’expression de ce qui est ressenti. Distance entre ce qui est vécu et la manière choisie pour l’exprimer. Quelle est la distance langagière qui existe entre une douleur affective qui ébranle le corps et son expression poétique en des mots, une forme, un rythme, des sonorités ? Écrire serait alors  réduire cette distance entre le ressenti et son expression  sur la page en employant tous les registres du langage. Il faut lire Baltique œuvres complètes et se laisser conduire par le poète à travers le dédale de passages que nous ouvre sa poésie

     

    Hervé Martin

     

     

  • A wonderful day - François DOMINIQUE

    wonderfulDAY.jpgÉditions Le temps qu'il fait

    77 pages

    N° ISBN : 2-86853-388-4

    Oct 2003

    14 €

     

    Biobibliographie de François Dominique

    A wonderful day est paru aux éditions Le temps qu’il fait en octobre 2003. Ce livre de François Dominique est accompagné de photographies, noir et blanc, de Bernard Plossu. Elles résonnent de sujets suscitant désirs ou quêtes (jambes de femmes, tableau de nus, une porte, une étoile dans une nuit) et montrent parfois des horizons scindés. Comme cette photographie sur la page de couverture laissant deviner comme une règle de topographe coupant verticalement un paysage. Le poète à sa manière est aussi topographe, il use des mots pour jauger les territoires de l’être.

    A wonderful day, littéralement une journée merveilleuse use de cet adjectif emprunté au Merveilleux, ce monde en marge de la réalité tangible.

    Merveilleux ? Que pourrions-nous bien qualifier de merveilleux dans notre société ? Tant et tant de choses à la fois auxquelles nous ne croirions pas vraiment. Hormis peut-être les rêves des enfants qui nourrissent dans leurs songes les plus inconscients leur bel avenir en devenir. Alors, A wonderful day serait possiblement ce nouveau jour à naître. Un jour inaugural qui porterait en lui une lumière révélatrice de toutes les promesses. Un horizon d’espérance qui transformerait le jour à vivre en une quête durant la vie entière.

       / J’ai rêvé que le « Traité de l’iris » était à l’abri des regards depuis trois siècles, dans un mur, et que je le découvrais en plaçant devant mes yeux une manière de sextant composé de trois phrases : noir secret de la vue/par échange de rayons/la lumière est du temps/  

    Qui n’a jamais rêvé de percer un secret ? Que recèle l’œuvre ou les vies de Spinoza, Vick Muniz, Modigliani cités dans le livre et dont la nature interroge François Dominique ? Quel mystère, quel mutisme incantatoire les suscitent ? /« Can things be dust ? » Est-ce que les choses sont de poussière…/ Ce vers est peut-être celui qui sous-tend le livre. Cette question sous jacente qui poème après poème interroge le monde.

    La poésie en petites proses questionne l’innocuité du blanc, là où l’œil n’y voit goutte :

    / Mais le poème approche, fouille la neige, tel un chien de montagne flairant sous l’avalanche un souffle enseveli./ 

    Ce que nous cache le monde, la poésie peut le révéler!

    Comme le surgissement d’une espérance et la réalisation de ce qui est implicitement promis dès l’enfance, cette journée merveilleuse s’ouvrirait sur l’Autre dans une vraie rencontre qui ne décevrait - enfin !- aucune attente :

    /  La main se tend, une main attend, ne donne rien, ne reçoit pas, aucune main ne donne rien, aucune main prise, aucun don, les mains se ferment, nul ne les voit, nul ne les compte, le monde est vaste, les gestes vides,… /

    L’homme serait-il un individu fragmenté, traversé d’une fracture séparant l’enfant de l’adulte devenu ? Une brisure en lui qui dissocierait dans le même temps le postulat du rêve et sa réalisation. N’existe-t-il donc aucune possibilité de relier les rives de ces deux horizons ? Des isthmes invisibles pourtant les relient quand la poésie  conçoit cet      œuf né du vent       ou fait entendre cet accord       de blues unique au monde      se jouant sur les cordes de sentiments intimes qui s’emmêlent, s’opposent  et  s’accordent dans le même temps. Alors oui dans ces instants la poésie peut réparer le monde.

     

    / Voici le centre de la pensée /

    Cette phrase extraite d’une prose a surgi de la rencontre du regard et d’une scène saisie au cœur d’une forêt, sans que le poème ne s’écrive sur la page. Parfois, la vie peut se suffire à elle-même lorsque la réalité comble l’entier du désir. La poésie nous dit aussi cela.

    J’entends  A wonderful day  comme la quête d’un état merveilleux où possédé par tous ses sens, l’être, — Poète devenu — l’instant d’un instant, vibre en symbiose avec le réel en éprouvant une plénitude intense. Ce livre est une quête qui tente de circonscrire ces instants merveilleux.

    Le calepin du mendiant   cité dans un poème est assurément le carnet dont le Poète est muni pour saisir ces éclairs soudains qui le submergent. Qu’y note-t-il ? Peut-être ces quelques mots extraits d’un poème :  / J’ai reconnu Robert et Clara Schumann… / Cette annotation, fruit d’une anamorphose poétique est alchimie complexe œuvrant à l’élaboration du poème.

    Entre le jaillissement d’un instant inouï qui préside à l’écriture du poème d’une part et le désir, le manque, la quête du pays perdu de l’enfance d’autre part, le livre balance sans cesse, en  recherche d’un territoire rêvé. Celui d’un monde où ne serions simplement  plus humains et où l’esprit des lumières avait souhaité nous conduire. À ce "rêve qu'on appelle nous" un vers de Tristan Tzara que François Dominique ne renierait pas.

     Hervé Martin

     

  • Humanités - François DOMINIQUE

    Bibliographie de François DOMINIQUE

    Obsidiane   /  Collections Le Legs prosodique

    N° ISBN : 2. 911914. 88. 0 

    4e Trim. 2005 

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    On ne sort pas indemne de la lecture d’un tel livre. Avec pour titre évocateur – Humanités – les éditions Obsidiane ont choisi pour lui un format hors norme. Quelque soit l’acception du mot humanité admise par le  lecteur celle-ci sera réajustée gravement, à hauteur du saisissement que dès premiers poèmes la lecture aura provoquée en lui.

     

    On verse dans le trou de voix / La bouillie de plomb fondu / Afin que la voix dise ce qu’elle ne saurait dire.

    Avec l’emploi d’un pluriel le titre use de l’équivoque.  Qu’il désigne la nature de l’espèce humaine et ses civilisations ou résonne des qualités vertueuses et philanthropes que le mot peut évoquer, la lecture des premiers poèmes nous éclaire sur la part occultée de ce mot. – Au pluriel n’était-il pas synonyme d’une formation à forte inclinaison altruiste et humaine ? Ne disait-on pas  « faire ses humanités « ? – . Alors, poème après poème, le livre lui rend une épaisseur qui révèle ses facettes monstrueuses. Il apparaît soudain comme aux antipodes de ses connotations philanthropiques. À bien y regarder, cet éclairage rend à ce mot des acceptions qui avaient été tronquées du sens communément admis. En nous rappelant cette part sombre, le livre trace dans cette  humanité un parcours des hommes qui est plus en phase avec les réalités de l’histoire. N’y a-t-il pas d’ailleurs comme un acte manqué dans l’oubli de cette part d’ombre ? Comme si la parole commune souhaitait effacer une honte et un crime sur le chemin des civilisations humaines.

    La poésie nous en dit plus ! La réhabilitation que ce livre opère sur le mot « Humanités » le rend plus  proche du parcours réel de l’homme au cours de l’histoire. Et cette trace, laissée rouge, est souvent occultée au profit des victoires, des conquêtes d’empires qui ne doivent leur magnificence qu’au prix du sang versé et  exigé  de suppliciés. Ces hommes, ces femmes  – ces enfants ! – suppliciés, torturés, expurgés soudain de ce cette condition d’homme par une barbarie, hélas ! trop humaine.

    L’histoire oublie trop aisément ses parts d’ombres et de sang. Qui se souviens des noms de ceux qui sont morts suppliciés? Qui pourrait les nommer comme on nomme aujourd’hui le nom de batailles victorieuses ? Ni tout à fait pareil, ni vraiment différent, l’histoire repasse les plats autrement. Et aux suppliciés d’hier, d’autres demain augmenteront la liste. Car rien n’est blanc tout à fait, rosé tout au plus ambré du sang de ceux qui périssent de la cruauté d’autres hommes, « c’est l’histoire » dira-t-on ! Mais l’histoire humaine – faut-il le rappeler ?–, à travers plusieurs civilisations revisitée ici à l’aune de la souffrance d’oubliés. Vingt poèmes pour baliser nos vingt siècles finissant. De la civilisation  grecque à la barbarie télévisuelle d’aujourd’hui, les passionnés d’histoire trouveront des points de repères pour  les identifications chronologiques. Sur les pages de droites des dessins  d’Alfieri  Gardone accompagnent et résonnent avec les textes sur l’autre versant des pages. Ces encres, je les croirai détails, gros plans, vues macroscopiques, pudeur et témoignages pour affronter cette tourmente de violences et de barbaries évoquée par les poèmes. Le pire est que cet inconcevable a existé et que des êtres humains ont enduré ces supplices. Songeons y et n’oublions pas nos contemporains, les prisons d’Irak, celles de Guantanamo, les secrètes dispersées en Europe… N’occultons pas que cela existe  toujours et  craignons aujourd’hui que les cris ne fasse plus résonner nos douleurs. Sachons que sous les allures festives et colorées de notre société la barbarie est bien à notre porte.  

     

    Les bourreaux savent toujours distinguer / l’âme du corps / Pour les attaquer séparément

     

    À la lecture de ces textes,  nous vérifions tristement que l’esprit humain ne tarit pas d’invention pour faire souffrir son pareil. Alors « Humanités » ne resplendit plus seulement de l’éclat des lumières quand le livre rappelle qu’en l’homme demeure la part de la bête. La culture, la connaissance de soi, des autres et du monde peuvent seuls répondre à la désolation des barbaries. Humanités ? Vers laquelle allons nous ? Le livre nous pose la question.

     

     

    Hervé Martin